Herbe haute

L’ancien champion analyse les débuts bousculés du tournoi sur herbe.

Wimbledon a ses partisans et ses détracteurs, monotone et dépassé selon les uns, spectaculaire et formidablement traditionnel aux yeux des autres. L’ All England LawnTennis and Croquet Club suinte la classe mais nulle part ailleurs, l’élitisme du tennis n’est aussi manifeste. Les vedettes y sont traitées avec les plus grands égards tandis que le reste est superbement ignoré. L’organisation a quand même réalisé de gros investissements dans l’infrastructure et tout le monde a droit à un vestiaire décent. Wimbledon a franchi une étape importante en direction du tennis moderne, puisqu’il a également établi 32 têtes de série.

L’aménagement des surfaces de jeu tente de balayer l’argument selon lequel le tennis sur gazon serait l’affaire de spécialistes. Le gazon en question est un rien plus haut et donc un peu plus lent. Les balles sont un peu plus grandes, dans la même optique.

Et puis, il y a le nivellement du tennis masculin. Comment expliquer autrement les ravages provoqués dans les rangs des favoris lors des premiers jours? Le début du tournoi a constitué un véritable bain de sang pour les vedettes. Les finalistes de l’édition précédente sont déjà éliminés..

Thomas Johansson, vainqueur de l’Open d’Australie, a été battu par un Brésilien inconnu, Sarreta. Dans le passé, les compatriotes de Ronaldo préféraient les plages brésiliennes à Wimbledon et Kuerten perpétue cette tradition mais les spécialistes de la terre battue savent qu’ils ont maintenant leurs chances sur gazon aussi.

Federer, le joueur le plus élégant du circuit, voué à la réussite à Londres, a été balayé par un anonyme de Split. Du coup, Mario Ancic a été baptisé le nouveau Goran mais au tour suivant, le Croate est retombé les pieds sur terre. Bob Brett, un entraîneur renommé qui se trompe rarement, sait qu’il a du pain sur la planche, aussi bon soit son pupille.

En dix ans, Pete Sampras n’avait perdu que deux matches sur la pelouse londonienne. Il a été battu par un joueur qui ne comptait que deux victoires à Wimbledon et que Sampras aurait balayé, il y a deux ans encore. Andre Agassi, son vieux rival, a fait ses bagages après deux tours. Un plat thaïlandais l’a rendu malade et même le joueur le plus talentueux du circuit a besoin de tous ses moyens dans le tennis actuel.

La perf d’Oli

Le Russe Marat Safin est doué aussi mais son élimination, des oeuvres de notre compatriote, Olivier Rochus, était dans l’air. A Roland Garros, tous deux s’étaient déjà livré un duel passionnant mais Safin l’avait emporté grâce à sa rage de vaincre. Sur le gazon londonien, le petit Oli était évidemment désavantagé face au géant mais il a compensé ce handicap par une touche de balle brillante et un centre de gravité très bas. Il a nettement mieux contrôlé les balles basses que le numéro deux mondial. Comme il y a deux ans, quand il avait surpris un autre numéro deux, Magnus Norman, au deuxième tour. Dommage que le citoyen d’Auvelais n’ait pu poursuivre sa démonstration face au TGV Arnaud Clément.. Durant ce match, Rochus n’a longtemps été que l’ombre de lui-même, ne parvenant pas à trouver son rythme de croisière.

Le moteur de Malisse lui tourne à plein régime. Il commence à aligner les exploits avec la régularité d’un métronome et ceux-ci ne sont même plus considérés comme des coups d’éclat. Le Courtraisien semble jouer facilement et, grâce à une démonstration de classe, n’a guère éprouvé de difficultés à éliminer Kafelnikov, qui n’est pas un néophyte du gazon. Malisse, qui a encore changé d’entraîneur, doit maintenant confirmer en émergeant dans un des Grands Chelems. Un brin de chance au tirage au sort et une bonne dose de rage de vaincre devraient lui permettre de se glisser parmi l’élite. Sa polyvalence fait de lui un candidat sérieux sur toutes les surfaces de jeu. Entre-temps, vous savez où il en est sur le revêtement qu’il apprécie le moins. Au quatrième tour, il était opposé à un monstre du service, Greg Rusedski, qui n’est pas un véritable Britannique mais était soutenu par toute une nation. Ce match a dû être intéressant du point de vue mental.

Malisse y croit plus

Xavier a changésur ce plan-là aussi, comme il l’a prouvé lors d’une interview, après sa victoire sur la cinquième tête de série russe. Il a déclaré que la Fédération belge avait effectué du bon travail et poursuivait sur sa lancée. Et d’ajouter qu’il avait travaillé dans une excellente atmosphère avec l’école flamande de tennis. Pour rappel, Malisse avait claqué la porte, suite à une dispute concernant son manque de discipline, et avait opté pour le soleil de la Floride. Jusqu’il y a peu, il n’avait plus de contact avec la Fédération.

Les hommes belges émergent donc de l’ombre des dames. Le mérite en revient aux joueurs eux-mêmes mais il faut admettre que les étoiles féminines belges faiblissent quelque peu, ces temps-ci.

Kim Clijsters peine, même si elle a des circonstances atténuantes. Son épaule lui joue des tours, comme le manque de rythme qu’induit la fragilité de son articulation. A Wimbledon aussi, son jeu a manqué d’assurance. Elle n’a jamais trouvé son rythme. La suite de la saison ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Jusqu’à la fin de l’année, elle va devoir ménager son épaule. Quand on connaît l’amour que Kim porte à son sport et sa générosité naturelle à l’entraînement, on comprend qu’elle vive mal ce dilemme permanent. Il faut espérer qu’elle puisse prendre assez de repos en hiver pour guérir définitivement. Les pessimistes rappelleront que la trêve hivernale ne dure qu’un mois et demi et que les blessures chroniques sont difficiles à traiter. Accordons-lui le bénéfice du doute et espérons qu’elle guérisse.

Justine Henin portait donc tous les espoirs belges. Concentrée, elle n’a pas toujours affiché la verve qui la caractérise. Il n’est pas évident de supporter la pression induite par son statut d’ancienne finaliste. Peut-être avons-nous été trop gâtés ces dernières années, aussi. Non seulement il faut que les bons résultats suivent mais en plus, ils doivent s’accompagner de chiffres nets et d’un tennis convaincant. Henin a en tout cas compris qu’on ne distribue pas de prix de beauté. Elle ne s’attarde plus sur des matches gagnés avec moins de panache: la victoire est toujours bonne à prendre. Sans état d’âme.

Sinon, le circuit féminin ne distille guère de nouveautés. Le top 7, malgré une délégation belge diminuée, a traversé la première semaine du tournoi avec une belle décontraction. Ce qui aurait pu constituer la plus grande surprise est venue d’ Els Callens s’est aisément qualifiée pour le tournoi final, où elle a compliqué la vie de Serena Williams. L’Anversoise a livré un match brillant. Son tennis offensif a sérieusement perturbé le bulldozer de Floride. La cadette des Williams a dû mettre toute sa puissance dans les deux tie-breaks pour emporter, bien péniblement, le match. Il sera extrêmement difficile d’éviter une finale entre les deux soeurs sur la pelouse londonienne.

Les finalistes touchent d’ailleurs moins d’argent que leurs collègues masculins. Chaque année, ça constitue un sujet de discussion à Wimbledon mais en cette matière aussi, la tradition l’emporte sur l’émancipation. On ne peut comparer les aptitudes physiques des deux sexes mais on ne peut davantage nier que les messieurs doivent se battre davantage que les femmes dès les premiers tours. Cette édition aussi a eu son lot de rencontres très difficiles côté masculin alors que Jennifer Capriati déclarait, souriante, que son premier tour constituait une expérience intéressante, dans la mesure où elle avait dû se concentrer, de temps en temps. Ses collègues masculins ont dû sursauter.

En tout cas, le tennis féminin a gagné en puissance et est devenu plus animé que le tennis masculin, qui manque de personnalités. Mais le débat est éternel. Le comité d’organisation y restera sourd, pour suivre son bonhomme de chemin.

Wimbledon est un tournoi compassé, que les vieilles tantes en uniforme de circonstance qui officient comme juges personnifient parfaitement, mais il conserve un charme désuet. Où d’autre sur cette planète trouve-t-on encore un événement de cette envergure qui n’est pas massacré par les partenaires commerciaux, où on privilégie le vert aux énormes panneaux publicitaires et où les gens font preuve de discipline, comme il se doit lorsqu’on respecte la tradition? Rien que pour ça, Wimbledon mérite bien sa place au calendrier.

Filip Dewulf

Le jeu est plus lent qu’avant

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