» Défendre, c’est attaquer sans ballon « 

Le coach allemand est conscient de devoir améliorer la qualité du jeu mais il ne se cantonne pas au terrain.

Christoph Daum vient de dispenser un speech sur la façon dont il conçoit le coaching, au profit de l’assemblée générale du Club. C’est un brillant orateur, parfois docte mais toujours passionné. Il décortique toutes les facettes du football. Ses visites à des clubs anglais lui ont appris ce qu’on pouvait encore améliorer au fonctionnement d’un club.

C’est une de ses missions à Bruges car il ne se considère pas comme un passant. Il veut placer son sceau, motiver, corriger et structurer.  » Je me suis présenté au premier rendez-vous avec un catalogue de questions, ce qui a surpris tout le monde : Que voulez-vous atteindre, en combien de temps et comment ? Le soir, j’ai confié à ma femme que si je devais structurer un club, je m’y prendrais comme les dirigeants de Bruges. Une fois au travail, j’ai dû utiliser cette vision. J’ai multiplié les réunions pendant le premier mois. A certains points de vue, j’ai dû faire preuve de patience mais c’est normal. A chacun, j’ai posé la même question : – Comment voyez-vous votre job ? J’ai insisté pour qu’ils parlent librement car sans communication franche, on n’arrive à rien. Le Club n’est pas aussi loin que le pensait la direction. Nous avons modifié certaines choses, sur le plan médical par exemple. Il faut toujours se demander ce qu’il est possible d’améliorer et transmettre les structures internes de communication à tous.  »

Cela paraît compliqué.

Christoph Daum : Cela ne l’est pas. J’ai ainsi demandé au président s’il savait qu’il avait en quelque sorte deux clubs, le stade et des bureaux ici puis un autre bâtiment, cent mètres plus loin, avec les services administratifs, où je ne connaissais personne. J’ai proposé de se réunir une fois par semaine autour d’un café, pour créer un sentiment d’appartenance. Vincent Mannaert passe maintenant régulièrement au stade, ce qu’il ne faisait pas avant. Bart Verhaeghe a révolutionné ce club, comme si un jour, quelqu’un poussait la porte et disait : -Demain, on ne parle plus qu’espagnol. Il faut simplement tester et renforcer les nouvelles structures pour tirer profit du changement. Les gens sont très motivés, ouverts à d’autres idées. J’implique davantage le coach mental dans l’équipe car il faut aussi entraîner le cerveau. C’est un entraînement dans l’entraînement.

 » Rinus Michels est ma bible « 

Vous avez d’abord remanié la défense.

C’est un principe de base. Défendre n’est rien d’autre qu’attaquer sans ballon. Quand on perd le ballon, le premier objectif est de le récupérer en étant organisé, non ? En perte de balle, on coupe les espaces puis on cherche les brèches une fois le ballon récupéré. Rinus Michels est ma bible. Tout ce qu’il a raconté dans les années 70 reste d’actualité. C’est lui qui a expliqué qu’il y avait de moins en moins d’espaces et de temps, qu’il fallait anticiper. J’ai beaucoup discuté avec lui quand il entraînait Leverkusen et que je travaillais à Cologne.

Michels l’a écrit quand il était à l’Ajax. Le pressing est une arme offensive, même si on l’entame en défense. Le football n’a guère changé. Il suit simplement l’évolution de la société : tout est plus rapide. Après tout, on n’a plus recours à des chevaux postaux ! Il faut adapter les entraînements à cette vitesse et aux qualités athlétiques des joueurs. Au lieu de dispenser la technique sous forme d’exercices spécifiques, on le fait au moyen de petits matches, faute de temps pour des séances individuelles. Tout tourne autour de la vitesse d’exécution. On n’a plus le temps de stopper le ballon puis de le passer. Je suis très attentif à la première touche de balle de mes joueurs.

Pour les joueurs, très offensifs sous Adrie Koster, c’est un fameux changement. On a parfois eu l’impression qu’ils ne savaient pas où aller.

Je n’ai fait qu’observer et écouter lors du premier entraînement. Je n’ai entendu que -Pressing élevé ! Mais on ne peut attaquer sans organisation et celui qui perd le ballon doit placer son rival sous pression pour éviter une passe en profondeur. En perte de balle, il faut boucler l’entrejeu avant de presser. Cet aspect m’a beaucoup occupé.

D’où l’impression que le Club jouait défensivement ?

Au début, nous avons été défensifs et le contraste était grand avec le passé mais ma réorganisation n’est pas aussi spectaculaire. Il fallait limiter le risque d’erreurs. Une fois que l’organisation est en place, que la défense est une certitude, on a des chances de préserver ses filets et on peut progresser, introduire plus de créativité, plus d’attractivité dans le jeu.

Travaillez-vous toujours ainsi ?

C’est comme ça que je débute et je garantis toujours que ma méthode conduira à un jeu attrayant.

 » J’estime que nous sommes à 75 % de notre potentiel  »

Où en est l’équipe ?

Il faut plutôt se demander ce dont elle est capable. Je dois m’adapter aux conditions que je trouve ici, sans poser d’exigences impossibles.

Deuxième question : quels joueurs sont prêts à me suivre ? Je ne peux faire progresser un footballeur qui n’est pas disposé à m’accompagner dans ce processus. Pour en revenir à votre question, j’estime que nous sommes à 75 % de notre potentiel. Il ne faut pas viser 90 ni même 95 % mais 96, 97, voire 98 %. Ces quelques pourcents font la différence : avec 96 %, vous êtes quatrième, avec 97, vous êtes deuxième, vous pouvez être champion à 98 % et si vous atteignez les 100 %, vous émargez à l’élite européenne. Certains footballeurs pensent que 96 % est déjà une norme d’exception. Nous devons travailler dur à la discipline tactique, à une concentration sans faille. Cet aspect m’occupe en permanence : comment entraîner la concentration ? On peut donner constamment des instructions, fixer des règles. Jouez un petit match à deux contacts et vous verrez comme ce sera vite oublié alors que c’est l’exercice le plus simple.

Cette équipe a du potentiel et nous allons le développer ensemble, avec l’accord des joueurs. Comment dit-on encore ? Un entraînement commence quand le joueur est prêt, pas quand l’entraîneur le veut.

La route est donc encore longue ?

Enorme, sur le plan national et international, sans perdre de vue le budget, l’infrastructure, les possibilités.

Décelez-vous une progression depuis vos débuts ? La combinaison semble meilleure depuis quelques matches.

Les manquements à la discipline m’ont terriblement énervé. La discipline est la clef du succès alors même que celui-ci la réduit parfois à néant. On l’a vu à Louvain. Nous avons fait match nul contre Braga, terminé premiers de notre poule, tout le monde danse et chante. Puis on remarque que la discipline s’est relâchée, surtout avant le match.

Comment l’avez-vous décelé ?

Des joueurs ont donné l’impression qu’OHL ne serait que l’oiseau pour le chat. C’est pour cela que nous avons mis la pression d’emblée, pour la première fois. Je voulais éveiller les joueurs. Ne pouvant en remplacer quatre ou cinq, j’ai opté pour une correction tactique, curieux de voir comment ils la géreraient. Nous avons bien débuté mais l’exclusion a bouleversé l’organisation. Il faut programmer l’équipe en mode succès continu.

Quels sont les aspects à améliorer ?

Je serais un mauvais entraîneur si je disais : tout. Nous pouvons progresser dans tous les domaines quand même et nous y £uvrons.

Vous avez aussi l’intention de renforcer l’équipe ?

En effet. Le Club a déjà effectué du scouting avant mon arrivée. Les positions sont toutes pourvues, tout est planifié, je reprends les idées des scouts. Vous ne verrez ma véritable vision que la saison prochaine. Pour le moment, nous procédons à une analyse, qui me semble bonne.

Vous voulez dire que le Club cherche un arrière, un médian défensif et un attaquant ?

Exact. Tout dépend du type de joueur qu’on enrôle mais je ne dirai pas qui il faut prendre, tout au plus qu’il ne faut pas embaucher tel joueur. D’un autre côté, comment devrai-je m’y prendre ? Tous les joueurs présents sur la liste sont visionnés depuis des mois et sont satisfaisants. Je n’en ai vu aucun en direct, tout au plus sur vidéo, ce qui ne me permet pas de me faire une idée.

 » Je suis une grande gueule même quand je ne dis rien  »

Que voulez-vous atteindre cette saison avec Bruges ?

Nous sommes en plein processus de développement. Un entraîneur veut parfois aller plus vite mais alors, il encaisse un contrecoup et doit reculer pour répéter certaines choses. Vous voyez bien que tout n’est pas encore parfaitement assimilé. C’est pour cela que je suis là mais travailler ici est très intéressant. J’ai de bons joueurs, que je dois faire progresser. Prenez Maxime Lestienne, surdoué. Il est en bonne voie mais poursuivra-t-il de manière conséquente ?

Vous êtes omniprésent au Club et pour le moment, vous ne voyez pas l’intérêt des entraîneurs de lignes ?

Attention : ce concept est excellent, comme je l’ai expliqué aux intéressés mais pour le moment, je dois vivre avec l’équipe. Celle-ci doit me comprendre et il vaut mieux que je travaille seul pour le moment. Je discute beaucoup avec les entraîneurs spécifiques, qui m’ont d’ailleurs remis de la documentation. Nous parlons après chaque match et nous essayons de travailler de manière plus structurée. Ils seront plus impliqués dès le mois de janvier.

Vous travaillez beaucoup l’aspect mental. Comme vous le dites, la tête est la troisième jambe…

On m’a démoli en Allemagne, suite à cette comparaison, simplement parce que certains cherchaient à me critiquer à tout prix. D’aucuns ont commenté : – Daum a trébuché sur sa troisième jambe plus souvent qu’à son tour. Cela me laisse froid. On apprend à encaisser quand on travaille en Turquie.

La presse allemande vous considère comme un artiste de la motivation.

Alors que ça ne représente que 10 % de mon travail. Les étiquettes… Ralf Rangnick est surnommé le Professeur et Felix Magath le Bourreau. Moi, je suis le Motivateur parce que j’ai été un des premiers entraîneurs à s’intéresser au coaching et au suivi mental. Dès le début de ma carrière, je me suis demandé comment je pouvais faire la différence. Je me suis plongé dans le psychisme humain, j’ai assisté à des conférences parce que je pense qu’on peut entraîner l’âme. C’était révolutionnaire dans les années 80 et je ne parviens pas à me défaire de cette image : je suis une grande gueule même quand je ne dis rien.

 » Même sur mon lit de mort, je dirai encore que je ne mourrai pas  »

Vous n’aviez plus de perspectives en Allemagne, après avoir échoué à maintenir l’Eintracht Francfort en Bundesliga, la saison passée.

Un entraîneur qui échoue dans sa mission, en l’occurrence assurer le maintien, doit assumer ses responsabilités. Je l’ai fait. J’ai démissionné, alors que les banques et les sponsors souhaitaient me conserver pour former une nouvelle équipe. Moi, j’ai jugé préférable de ne pas rester pour faire place à d’autres. A ce moment, de fait, je n’avais aucune possibilité d’entraîner un club de Bundesliga. Après mon passage à Francfort, on a dressé de moi un certain portrait mais je ne souhaite pas m’étendre là-dessus.

J’ai donc attendu. J’ai eu des contacts avec l’étranger mais en juin, on m’a diagnostiqué un cancer de la peau, par le plus pur hasard. J’ai conduit mon fils à la clinique car il avait mal aux dents et dans le couloir, j’ai aperçu un panneau  » dermatologue « . Je suis entré et je lui ai montré quelques taches, que j’avais depuis un moment. L’une d’elles était très grande. Le médecin m’a dit de rester : -Vous ne sortez pas de cet hôpital. Peu impressionné, j’ai rétorqué que j’allais rentrer à la maison boire mon café, ce que j’ai fait. Je suis revenu l’après-midi. On m’a prélevé un morceau de peau et deux jours plus tard, on m’a annoncé qu’il s’agissait d’un mélanome malin, la pire maladie cutanée.

Votre petit monde s’est effondré ?

Pas vraiment. J’ai gardé mon calme. Le médecin m’a dit que je ne pourrais pas travailler un an. Un fameux psychologue, hein ? J’ai cherché les meilleurs hôpitaux en matière de cancer cutané et je me suis fait opérer à Münster. On m’a pris tant de chair qu’on aurait dit un steak. Le médecin ne voulait courir aucun risque. Chaque fois, j’ai dû attendre de nouveaux examens. Cela a été le pire, même si je me suis répété que tout rentrerait en ordre. Je suis ainsi fait : même sur mon lit de mort, je dirai encore que je ne mourrai pas. Ma famille s’est tracassée davantage. J’ai continué à mener une vie normale, j’ai joué au golf comme si rien ne s’était passé, pour éviter de réfléchir. J’ai subi une seconde opération en septembre et j’ai évidemment dû dire non à tous les clubs qui s’étaient manifestés.

Jusqu’à l’arrivée de Bruges.

Pouvoir travailler ici m’a paru fantastique et je constate que je suis suivi. Récemment, Rudi Verkempinck m’a dit qu’il travaille 80 heures par semaine et je lui ai répondu qu’il était temps de réduire ça mais il a trouvé que non, au contraire. C’est magnifique ! Dany Verlinden travaille aussi dur. Il a constitué une vidéothèque, il consigne des informations sur la façon dont des joueurs bottent un penalty ou un coup franc. Cela prend beaucoup de temps. J’essaie de continuer à me former. J’ai visité des clubs anglais pour étudier leurs méthodes et leurs structures. Je me suis rendu à Manchester United chez Alex Ferguson puis à Tottenham chez Harry Redknapp, même si je dois avouer que je ne l’ai pas compris tant son accent est atroce ! On m’a accueilli comme si je faisais partie des meubles. J’apprécie beaucoup que des gens soient prêts à partager leur science. J’ai toujours considéré comme un devoir de tenter d’évoluer personnellement jour après jour. C’est ainsi qu’on découvre des horizons et qu’on a des idées.

PAR JACQUES SYS

 » Le Club n’est pas aussi loin que le pensait la direction « 

 » Ah les étiquettes… Je suis le Motivateur parce que j’ai été un des premiers entraîneurs à s’intéresser au suivi mental. « 

 » J’ai eu des contacts à l’étranger mais en juin, on m’a diagnostiqué un cancer de la peau. « 

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