« Contre le ronron »

Bruno Govers

L’entraîneur de La Gantoise n’a pas encore obtenu ce qu’il aurait voulu en prévision de la saison nouvelle. Mais il ne s’en émeut pas.

Après Lokeren à la mi-juin, La Gantoise aura été le deuxième club de notre élite à reprendre le collier en vue de la campagne 2001-2002. Mais les rôles auraient fort bien pu être inversés. On se souviendra, en effet, que ces deux équipes terminèrent la saison à stricte égalité -16 victoires, 9 revers et autant de nuls pour un total de 57 points- et qu’un test-match était donc nécessaire pour déterminer lequel d’entre eux hériterait de la quatrième place derrière Anderlecht, le Club Brugeois et le Standard.

La donne n’était pas dénuée d’importance dans la mesure où l’équipe la moins bien classée allait être la toute première à devoir se produire en Coupe Intertoto. Finalement, les deux clubs se résignèrent à livrer une rencontre d’appui, préférant s’en remettre à un tirage au sort qui fut favorable aux Buffalos. Leur coach, Patrick Remy, n’est pas mécontent de la tournure des événements. Mais il n’en jure pas moins que, sous sa férule, le hasard ne déterminera plus jamais le futur des siens.

Patrick Remy : Le championnat avait été à ce point long et harassant que personne n’avait vraiment envie de faire des heures supplémentaires. La fortune nous aura en définitive souri et j’en suis particulièrement heureux. A l’avenir, je me garderai tout de même d’être tributaire de la bonne fortune en la matière. Car son impact est tout simplement beaucoup trop important sur le cours des événements. Si j’avais dû sonner le grand rassemblement des troupes aux alentours du 10 ou du 12 juin, mes hommes n’auraient eu droit qu’à trois semaines de congé. C’est trop peu. Il faut une coupure d’un mois pour repartir sur de bonnes bases, tant au niveau physique que psychique. Aussi, si le sort ne nous avait pas été clément, j’aurais fait appel au noyau B pour affronter en lieu et place de Lokeren l’équipe féringienne de Toftir. Face à pareil adversaire, la qualification n’aurait probablement pas posé de problème. Mais les ennuis auraient commencé au deuxième tour. Qui aurais-je alors dû aligner au stade suivant de l’épreuve, face à une phalange automatiquement plus huppée : les mêmes éléments, ou bien les A qui, à ce moment-là, auraient tout juste renoué avec les entraînements? Je préfère ne pas avoir ce genre de casse-tête.

La direction gantoise n’était pas chaude à l’idée de disputer la Coupe Intertoto. C’est vous qui l’y avez poussée, dit-on.

C’est exact. Depuis que je suis entraîneur, j’ai toujours eu pour habitude de jouer les premiers matches de préparation en vue d’une nouvelle saison au tout début du mois de juillet. C’est peut-être inhabituel en Belgique mais en raison du nombre plus important d’équipes engagées dans le championnat de France et de la longue trêve hivernale qu’on observe là-bas, les clubs de l’Hexagone sont toujours très tôt sur la brèche chaque été. Je n’ai pas voulu déroger à cette règle. Au lieu de croiser le fer contre des sans-grade, pourquoi se priver de confrontations face à des adversaires d’un autre tonneau? Ces matches-là constituent, à mes yeux, la meilleure entrée en matière qui soit. C’est en se frottant à des formations de qualité, dès l’entame de la saison, que l’on peut discerner le ou les manquements dans son équipe. Il va de soi qu’une joute contre une équipe de série provinciale ne sert pas de révélateur de la même façon. Je suis dès lors favorable à cette compétition. Mais à condition qu’elle serve réellement de préparation en vue des choses sérieuses. Et c’est bel et bien de cette manière que je l’aborde. Et j’ose espérer qu’en haut lieu, on ne pense pas autrement. Car si on y était réfractaire à l’idée d’une participation, il ne faut pas non plus nourrir soudain de grandes aspirations parce qu’on en est partie prenante. Dès lors, quel que soit le parcours effectué, on n’a pas le droit de se montrer déçu.

La Coupe Intertoto n’est-elle pas un pis-aller pour La Gantoise, qui espérait secrètement accrocher le wagon de la Coupe de l’UEFA, à l’image de ce qui s’était produit il y a un an?

Dès l’instant où deux places, à peine, étaient attribuées en UEFA, une qualification dans cette épreuve aurait tenur du miracle pour nous cette saison. Pourquoi La Gantoise avait-elle décroché un ticket européen en l’an 2000? Tout bonnement parce que le Standard n’avait pas du tout répondu à l’attente. A l’intersaison, la direction de ce club a mis les petits plats dans les grands pour présenter à nouveau un groupe compétitif. Pour ce faire, elle a notamment acquis Ole-Martin Aarst, qui avait été meilleur buteur de la compétition conjointement avec Toni Brogno. Ce transfert-là, à savoir l’acquisition d’un homme-clé chez un rival potentiel, La Gantoise n’aurait pas pu le réaliser. En effet, au plan financier, nous ne jouons pas dans la même pièce que les Rouches. Avec un budget sensiblement supérieur au nôtre, il est tout à fait normal que les Liégeois aient terminé avant nous cette saison. Je dirais même plus : c’est une performance que nous soyons parvenus à pousser les gars de Michel Preud’homme dans leurs derniers retranchements. A un moment donné, nous étions même revenus à la même hauteur qu’eux avant de devoir nous incliner, logiquement, à l’heure de leur rendre visite en fin de saison. C’est un mérite pour nous d’avoir entretenu le suspense jusque-là. Au bout du compte, nous n’avons jamais échoué que d’un fifrelin.

Qu’aura-t-il manqué à La Gantoise pour prétendre à plus?

Davantage de moyens financiers qui nous auraient permis un meilleur équilibre sur le terrain. L’équipe aura furieusement penché à gauche d’un bout à l’autre de la saison. Dans ce secteur, j’étais paré avec Vital Borkelmans, Gunther Schepens et même Ahmed Hossam. De l’autre côté du terrain, malheureusement, je n’ai jamais trouvé la panacée. Ce n’est pas faute d’essais car j’ai réellement tout tenté avec Sasö Gajser, Aldo Olcese, Gaby Mudingayi et Jérôme Brocard. Mais aucune de ces formules ne m’aura procuré les mêmes satisfactions qu’à gauche. J’aurais été heureux si j’avais pu compter, pour ce poste-là, sur un Michaël Goossens, qui était alors réserviste au Standard. Et pour bien situer la grande différence de potentiel entre les deux clubs, je serais même enclin à ajouter que d’autres doublures de luxe chez les Liégeois, comme Liviu Ciobotariu ou Petr Vlcek auraient été accueillis à bras ouverts à Gand. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de regrets à éprouver. J’ai tiré la quintessence de ce groupe.

La saison passée, par la force des choses, vous aviez dû prendre le train en marche puisque vous aviez succédé à Herman Vermeulen, qui avait lui-même pris le relais d’Henk Houwaart. Cette fois, vous avez pu composer vous-même la rame. A ce propos, quelles auront été vos lignes directrices?

Un entraîneur prend toujours le train en marche puisqu’il doit automatiquement composer pendant un certain temps avec des choix effectués par ses devanciers. Dans le football actuel, je ne connais qu’un coach qui a vraiment pu façonner une équipe : Alex Ferguson, qui a la chance d’être en place depuis plus de dix ans à Manchester United et qui a donc vu défiler au moins une génération de joueurs. Dans mon cas, je ne puis procéder évidemment que par petites touches et compte tenu des possibilités du club. Alors que nous avons repris les choses sérieuses, je suis bien obligé de reconnaître que deux lacunes restent à combler. Je suis toujours dans l’expectative pour mon flanc droit, d’une part et, de l’autre, je dois encore pourvoir au remplacement d’Ahmed Hossam. Mine de rien, voilà deux saisons, coup sur coup, que La Gantoise perd son exécuteur des hautes oeuvres. Il a trouvé la parade la première fois mais il est bien sûr utopique de croire que nous aurons une solution de rechange chaque année.

Mido, c’est votre trouvaille.

Je pars du principe qu’on ne découvre pas un grand talent. C’est lui, au contraire, qui se présente et qui vous interpelle. Honnêtement, il ne fallait pas être grand devin pour deviner de la graine de grand joueur en lui. Le tout, c’était de favoriser son expression et de faire en sorte que le positif prime les aspects négatifs chez lui. Car c’est vrai qu’il avait des côtés dérangeants, parfois, pour ses partenaires. Personnellement, je pars du principe qu’il faut accepter tout le monde, avec ses qualités et ses défauts et en tirer le meilleur amalgame possible. Je me souviens qu’un jour il avait excédé pas mal de ses coéquipiers et moi-même en rentrant prématurément aux vestiaires sous prétexte que quelque chose ne lui avait pas plu à l’entraînement. Devant tout le monde, j’ai dit qu’une mesure disciplinaire s’imposait peut-être mais que j’étais prêt à reconsidérer ma position s’il se rachetait en cours de semaine et s’il débloquait la situation sur le terrain le week-end suivant. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Quand quelqu’un a du talent, je trouve qu’il faut pouvoir lui pardonner ses incartades au nom de ce qu’il est capable d’apporter sur un terrain. Du moins est-ce ma philosophie.

Vous venez d’hériter d’une autre tête brûlée : Darko Anic. Les caractères bien trempés ne vous font manifestement pas peur?

Dans un groupe, comme dans un couple, il n’est jamais bon que tout ronronne. Il faut parfois des frictions ou des tensions. C’est pourquoi je n’étais pas du tout opposé à la venue de Darko Anic qui ne laissera personne indifférent. J’avoue que je ne connaissais pas ce joueur. C’est à l’instigation du président Ivan De Witte et du manager Michel Louwagie que ce garçon a été acquis. Ils m’en ont dressé le même tableau que vous. Pour moi, dès l’instant où il est bon et susceptible d’apporter un plus, il est le bienvenu. Je suis même prêt à des concessions dans ce cas. Et après quelques jours de travail en commun, j’ai effectivement l’impression que je vais devoir changer mon fusil d’épaule. Personnellement, il m’aurait plu de jouer en 4-2-4 cette année, avec deux numéros 8 (médians de liaison) au milieu, deux ailiers et deux numéros neuf au centre de l’attaque. Mais avec Darko Anic, je dispose à présent d’un numéro 10. Dans le même compartiment, le nouveau transfuge Mathieu Verschuere est un 6 (médian défensif) alors que l’ancien Lokerenois Nenad Vanic est un 6 aussi. Aussi, toute mon approche du jeu est-elle susceptible de changer. Mais je ne m’en plains pas, que du contraire.

Cette nouvelle donne exigera peut-être un temps d’adaptation. Or, aux dires du président, les aspirations seront une fois encore très grandes cette saison car La Gantoise vise l’Europe. Vu les efforts déployés par d’autres clubs qui n’ont pas tenu la distance la saison passée, comme Genk ou Mouscron, ne craignez-vous pas que la tâche soit très ardue et qu’il sera peut-être difficile de terminer à la quatrième place?

Je ne me fixe pas sur un rang à obtenir. Cela ne veut pas dire grand-chose finalement. En 2000-2001, quatre points à peine séparaient La Gantoise, quatrième, de Westerlo, huitième. Aurais-je été un mauvais entraîneur si j’avais occupé ce huitième strapontin ou une des places intermédiaires? J’espère que non. Aujourd’hui, un bilan n’est plus seulement sportif. Il est à la fois sportif et financier. Et, sous cet angle, j’estime avoir livré du bon boulot la saison passée. Non seulement en tirant le maximum du groupe mais aussi en permettant au club d’apurer ses dettes grâce à la vente d’Ahmed Hossam. Que demander de plus dans ces conditions?

Une dernière question : depuis votre arrivée, le KAA Gent ne cesse de se franciser, faisant de plus en plus honneur à son ancienne appellation de La Gantoise. Pourquoi votre préférence pour ce marché?

Je crois que d’autres l’ont déjà dit avant moi dans vos colonnes : en vertu du rapport qualité-prix, les bonnes affaires ne s’effectuent pas avec des footballeurs belges mais avec des éléments venus d’ailleurs. Sous prétexte que j’avais recruté mes compatriotes Jérôme Brocard et Jérôme Lempereur en cours de saison passée, on m’a collé cette étiquette qui ne rime à rien. Je me fous éperdument de la nationalité de ceux avec qui je bosse. Tout ce que je demande, c’est qu’ils soient le plus performant possible. Si onze Français peuvent faire l’affaire, je prendrai onze Français. Si onze Ukrainiens s’imposaient, je me ferais un plaisir de travailler avec eux. D’ailleurs, s’il y a un club qui suscite l’admiration chez moi, dans ce pays, ce n’est ni Anderlecht, ni Bruges, ni le Standard mais Lokeren : avec des moyens vraiment limités, il a réalisé des résultats extraordinaires en faisant ample moisson de footballeurs africains. Il n’y a pas meilleur que le club de Daknam en la matière. C’est pourquoi il a toute ma considération.

Bruno Govers

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