Chic mais mal-aimé

Chelsea a réécrit son histoire depuis l’arrivée de Roman Abramovitch mais est-ce une réussite totale ?

Un périple à Chelsea commence à Sloane Square, petite place aux allures mondaines, d’où part l’artère chic qui traverse tout le quartier : King’s Road. Les boutiques Armani, Gucci, Prada succèdent à celle de Vivienne Westwood qui, dans les années 70 s’érigea, avec Malcolm McLaren, en inspiratrice de la mode punk. Chelsea, c’est un mélange de chic et d’artistes d’avant-garde. Du moment que les prix enflent…

Puis, ça continue. Fulham Road, West Brompton, arrêt Fulham Broadway sur la district line du métro londonien. Là, Chelsea n’est plus vraiment Chelsea. On a changé de quartier et on se trouve à… Fulham, où l’équipe de Chelsea évolue. Allez comprendre. D’autant plus que tout part d’un banal troc raté, lorsqu’en 1905, les frères Gus et Joseph Mears décidèrent d’adjoindre au stade d’athlétisme un stade de football. Ils se mirent alors à chercher un club pour occuper leur enceinte et se tournèrent naturellement vers le plus proche, le FC Fulham, qui refusa poliment l’invitation. Ils ne leur restèrent plus qu’une solution : fonder leur propre équipe. Ce qu’ils firent. Mais il fallait donner un nom à ce nouveau-né. On pensa au FC London, ce qui provoqua une levée de boucliers des autres formations de la capitale. Finalement, on piqua la dénomination du quartier chic voisin.

Aujourd’hui, une balade autour du stade, où se mélangent les grosses cylindrées des dirigeants, suffit pour affirmer que décidément ce club colle parfaitement à son environnement.  » Aucun club à Londres ne rejette autant son caractère populaire que Chelsea. Du moins, en surface « , explique Martin Lipton, journaliste au Daily Mirror.  » Les frasques de l’ère Abramovitch jusqu’à la physionomie du stade qui a l’air d’un quartier résidentiel bien gardé se fondent parfaitement dans l’univers so chic de l’endroit. Aujourd’hui, les jeunes touristes ne connaissent pas vraiment ce qui fait l’identité de ce club. Ils s’en tiennent à la dernière décennie. On peut donc se poser la question : Chelsea a-t-il trahi son identité ou au contraire l’a-t-il enfin trouvée en se réinventant ? »

Pendant 50 ans, Chelsea faisait davantage figure de club décati, criant à gorges déployées sa nostalgie de 1955, année du premier et seul titre des Blues.  » Dans les années 80 et début des années 90, on aimait un peu Chelsea par romantisme. Ou par opposition à ce qui se faisait à Arsenal ou Tottenham. Un peu comme on aime aujourd’hui Nottingham Forrest, Leeds ou Ipswich Town « , relate Lipton.

On aimait également Chelsea pour se battre. Car, les Chelsea Headhunters, réputés pour leurs bastons contre leurs homologues de Millwall et West Ham, et proches du parti d’extrême droite, faisaient partie des groupes d’hooligans les plus violents de Londres.

 » C’est vrai que la Shed, la tribune la plus populaire de Stamford Bridge, n’a rien à envier aux tribunes les plus fameuses d’Angleterre comme le Kop d’Anfield, le Stetford End de Manchester United ou le Shelf de Tottenham et que durant les périodes de disette, certains versaient dans la violence « , reconnaît un des représentants des supporters de Chelsea, Andy Peach,  » C’est à partir de la relégation en 1975 qu’on a assisté aux premiers débordements. Avant, les skinheads avaient fait leur apparition dans la Shed mais se mêlaient à tout le monde. En 1975, on a commencé à entendre les premières abuse songs, ces chansons qui stigmatisaient la police ou les adversaires. Ces années symbolisent à la fois toutes les déchéances du club mais également tout ce qui l’a forgé. D’un côté, il y avait le hooliganisme mais de l’autre, malgré les mauvais résultats, il y avait une ferveur et une fidélité peu communes. En 1983, la tribune était remplie lors d’une rencontre capitale pour ne pas descendre en D2. A l’époque, on trouvait surtout des ouvriers des usines proches, comme la centrale électrique de Battersea.  »

Une image bien lointaine de celle des loges aujourd’hui copieusement garnies par les hommes d’affaires du quartier.

Chelsea piégé à Stamford Bridge

Tout cela a été balayé par un oligarque russe. Abramovitch a repris le club en 2003, avec un montage financier nébuleux dans lequel des mouvements d’argent par les Iles Cook et les Iles Vierges apparaissaient. What ever. Il rachetait les parts de Ken Bates pour 42,5 millions d’euros et épongeait les dettes de 110 millions d’euros. Depuis lors, Chelsea s’est mondialisé beaucoup, s’est glamourisé un peu mais s’est profondément modifié.

 » Pourtant, il ne faut pas non plus avoir la mémoire courte « , nuance Lipton,  » Abramovitch a sorti le chéquier et a créé une entreprise mais Chelsea avait déjà commencé sa mue avant son arrivée.  » Pour preuve, le retour des trophées fin des années 90 lorsque la bande italienne articulée autour de Gianluca Vialli, Gianfranco Zola et Roberto Di Matteo raflèrent la Cup en 1997 et 2000, la Coupe de la Ligue en 1998 et la Coupe des Coupes la même année. C’est également à cette époque que le stade subit son dernier lifting. Et change de concept. Bienvenue au Chelsea Village.

Quand on y entre, on remarque de suite le haut mur d’enceinte, un peu comme un vestige romain, hérissé de tessons de bouteilles, qui sépare le Village des dernières habitations. Sur le mur, des photos des stars de l’histoire de Chelsea. Hormis Denis Wise et Jimmy Greaves, il n’y a que des joueurs de ces dernières saisons. La preuve que Chelsea est en train de modeler sa légende. Une fois le mur passé, une statue de Peter Osgood, surnommé The King of Stamford Bridge dans les années 70 et dont les cendres sont enfouies sous le point de penalty face au Shed, nous accueille.

A l’intérieur, le stade se fait discret, caché par les appartements construits à la West Stand. Ou comment voir un match en direct tout en restant chez soi. Un peu plus loin, deux hôtels, le Millenium Hotel qui occupe la South Stand et le Copthone en retrait. Un café tendance. Et nouveauté Abramovitch : une discothèque, sous le stade, baptisée Under the bridge, une référence à la chanson des Red Hot Chili Peppers. Il faut faire tout le tour pour enfin apercevoir une tribune. Oui, on est bien dans un stade de foot !

 » Le nouveau Stamford Bridge ne porte pas la griffe Abramovitch mais celle de Bates « , dit Lipton.  » Ce qui ennuie profondément les nouveaux dirigeants car pour eux, le projet n’est pas bien pensé. Les hôtels bloquent le développement au sud et aujourd’hui, certains n’hésitent pas à dire qu’on ne vient pas au stade pour dormir… Le stade est également coincé par deux lignes de chemin de fer au nord. « 

De plus, il n’y a qu’une seule artère qui mène au stade, au sud. Un agrandissement de Stamford Bridge ne recevrait pas l’aval des services de sécurité et de pompiers. Pour pallier ces contraintes, les dirigeants ont déjà évoqué un déménagement. Mais dans le quartier, il y a peu de terrains à bâtir et les rares encore disponibles sont hors de prix. C’est pour cette raison que certains pensaient que Chelsea sauterait sur l’occasion du stade olympique ou sur Wembley.

 » C’est mal connaître la mentalité londonienne « , dit Peach.  » Chelsea est une équipe du sud-ouest de Londres. Personne, à part les supporters étrangers, ne comprendrait un déménagement au nord ou au nord-est. Wimbledon a perdu beaucoup de fans en déménageant à Milton Keynes. « 

 » Peut-être qu’Abramovitch y a pensé mais si c’est le cas, il a vite été dissuadé « , ajoute Lipton.  » De plus, Abramovitch aime se sentir chez lui, comme un king in his palace. Or, si le club avait déménagé dans un temple dédié à un autre événement, cela ne lui aurait pas convenu.  » D’autres possibilités ont été étudiées, comme celles d’un déménagement au Earls Court Exhibition Center, au Battersea Power Station ou aux Chelsea Barracks, toutes des solutions au sud-ouest. Mais sans grande avancée.

No Rules, great club

Et voilà Chelsea contraint à vivre quasiment en autarcie, fermé sur lui-même. En Angleterre, selon un sondage récent, Chelski ne fait pas fureur. On aime surtout le détester. Deuxième club d’Angleterre le plus détesté derrière le Leeds de Don Revie, qui durant les années 70, écrivit les plus belles pages du club du Yorkshire en développant un jeu peu académique et en n’hésitant pas à multiplier les fautes et les provocations.

 » Ce sondage n’est pas surprenant « , nuance Lipton.  » En Angleterre, on n’a jamais aimé les clubs qui dominaient, exception faite peut-être de Liverpool. Manchester United occupe la troisième place de ce classement ! De plus, à la domination sportive, Chelsea a ajouté l’arrogance financière de nouveaux riches. « 

Un peu comme la publicité d’une marque de whisky bien connue : No rules, great club. Parce que, pendant des années, le club d’Abramovitch s’est pensé tout permis, dévoyant les joueurs, même ceux qui avaient promis allégeance à leurs couleurs, à coups de millions. En 2005, Peter Kenyon, le directeur exécutif avait même été montré du doigt par la Fédération anglaise pour avoir dépassé ses sacro-saintes lois et contacté un joueur et un dirigeant ( Ashley Cole et Frank Arnesen), hors mercato, sans passer par les clubs concernés. Shocking !

Et puis, même s’il fut un entraîneur gagnant sur le plan national (notamment deux titres), José Mourinho n’a rien gagné en Europe avec Chelsea et n’a pas contribué à rendre son club sympa. Finalement, on est loin de ce qu’on pourrait espérer d’un club qui a dominé une décennie…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: REPORTERS

 » Dans les années 70 et 80, les headhunters étaient un des groupes d’hooligans les plus violents d’Angleterre. « 

 » Les dirigeants actuels râlent sur la transformation de Stamford Bridge effectuée par le président précédent. « 

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