AU FOND DES FILETS

Comment il est tombé au moment où la Belgique reconnaissait enfin son talent.

Coup d’oeil sur la presse du 29 mars 2013. Pour la première fois, il est manifeste que Jean-François Gillet, le gardien de Torino, international belge, est dans de sales draps. La veille, comme tous les footballeurs qui portaient le maillot de Bari durant la période concernée, il a été interrogé par la justice italienne dans le cadre d’une affaire de matches truqués. En cause, deux rencontres que Bari aurait délibérément perdues : l’une contre Trévise en mai 2008 et l’autre contre Salernitana en mai 2009, quand Bari était assuré de sa promotion en Série A. Dans La Dernière Heure du 29 mars, Antonio D’Alesio, son avocat, déclare que l’entrevue avec les magistrats s’est bien passée et qu’il est confiant en une issue favorable à son client.

La Gazzetto dello Sport du même jour emploie un autre ton. Son titre ( » Une défense faible « ) en dit long. Gillet a été interrogé pendant plus de deux heures.  » A leur sortie, les avocats de Gillet ont tenté de minimiser l’affaire, mais le parquet a délivré un autre son de cloche « , écrit le quotidien. Il cite un magistrat anonyme :  » Ce fut une vraie bagarre. Gillet se place dans une situation délicate en continuant à nier alors que d’anciens coéquipiers ont donné une autre version de son rôle et ont admis avoir reçu de l’argent pour les deux matches. Gillet risque une longue suspension.  »

C’est la première fois qu’on précise le rôle du gardien, qui n’était qu’un des 36 suspects – dont 27 joueurs, presque tous de Bari, accusés de fraude sportive.

Bodart et Guardiola…

Sur la photo d’équipe du Standard, à l’aube de la saison 1997-1998, Jean-François Gillet, alors âgé de 18 ans, est au premier rang, à côté de Gilbert Bodart, qui revient de Bordeaux. De l’autre côté, Peter Maes, titulaire l’année d’avant. Aad de Mos entraîne l’équipe. La saison précédente, Gillet a effectué ses débuts en D1 sous les ordres de Jos Daerden, et il revient du Mondial pour Espoirs en Malaisie. Il y a brillé, sous la direction d’Ariel Jacobs, mais sa prestation d’ensemble a été éclipsée par la raclée 10-0 prise contre le Brésil. Bodart signe, de son côté, une excellente saison.

Sur la photo de l’année suivante, avec Tomislav Ivic au coaching, Gillet sourit, plein d’espoir, mais un nouveau visage, à ses côtés, arbore une mine déterminée : c’est Vedran Runje, un fameux rival. Pour ne pas moisir sur le banc, Gillet se tourne vers l’étranger. En 1999, il rejoint Monza, un club de Série B qui le titularise d’emblée. Après quatre journées, la saison suivante, Bari le transfère pour 5 milliards de lires, soit 2,5 millions d’euros. Le jeune Gillet est, avec Antonio Cassano, une des rares éclaircies de cette phalange qui lutte toute la saison contre la relégation. Gillet accompagne Bari en D2 et en porte le maillot pendant huit ans, avec une étiquette : trop bon pour la Série B mais trop cher pour les clubs de Série A intéressés.

En janvier 2001, il est contrôlé positif à la nandrolone et il n’est pas le seul : neuf footballeurs de l’élite sont positifs à cette hormone, parmi lesquels Jaap Stam (Lazio) et Pep Guardiola (Brescia). En appel, Gillet est gracié : la loi sur le dopage en sport n’existe pas encore. De plus, on ne peut déterminer si Gillet a consommé délibérément de la nandrolone ou si elle lui a été administrée à son insu.

En 2004-2005, il est loué à un autre club de Série B, Trévise, faute de s’entendre avec le nouvel entraîneur de Bari, Marco Tardelli. Durant toutes ces années, il obtient d’excellentes cotes mais Bari exige une somme trop élevée.

En 2007, Antonio Conte débarque dans les Pouilles. L’ancien médian de la Juventus a tout gagné. Il regorge d’ambition et secoue le vestiaire. Durant sa deuxième saison, Bari est assuré de sa promotion plusieurs semaines avant la fin de la compétition. Comme cela arrive souvent en Italie à cette époque, les joueurs auraient alors décidé de lever le pied lors de certains matches.

Accusé par d’anciens équipiers

En mai 2009, Bari est champion avant de se déplacer à Salernitana. Celle-ci demande si on peut arranger le match, puisque Bari est déjà assuré de sa montée et que Salernitana a besoin des trois points. Les supporters des deux camps sont très proches. On organise une rencontre le long de l’autoroute puis on convoque le noyau de Bari, qui refuse d’abord la proposition. Il n’y a pas de gratuité en football, et l’année précédente, il y a eu un précédent : Bari-Trévise, quand Trévise avait besoin de points et avait offert de l’argent à quelques joueurs en échange d’un  » geste sportif « . Le 10 mai 2008, le match s’était achevé sur le score de 0-1 et Trévise avait assuré son maintien.

Un an plus tard, selon ses propres dires, Christian Stellini, un ancien joueur de Bari, est contacté par des joueurs de Salernitana. Durant son interrogatoire, il explique avoir convoqué les joueurs, de concert avec Gillet, la veille du déplacement à Salerne.  » J’ai dit au vestiaire que si une seule personne n’était pas d’accord, nous n’accepterions pas. Personne n’a bronché. Une semaine plus tard, le vestiaire était en possession de l’argent – j’ignore la somme exacte. Gillet n’a pas faussé le match mais il a organisé la réunion avec moi.  »

Un autre ancien joueur, Vitali Kutozov, accuse plus formellementGillet.  » C’est en sa qualité de capitaine qu’il nous a proposé de ne pas jouer à fond car les supporters des deux équipes étaient en bons termes et nous étions déjà champions.  »

Les déclarations des joueurs ne vont pas toutes dans le même sens et Gillet nie toute implication. Ils sont unanimes sur un point : l’entraîneur, Antonio Conte, n’était au courant de rien. Durant son interrogatoire, l’actuel entraîneur de la Juventus a soutenu n’avoir jamais remarqué d’irrégularités et avoir été plutôt stupide. Son innocence a été formellement reconnue, après une absence de plusieurs mois du banc de la Juventus, décidée par la commission sportive.

L’affaire n’éclate qu’en 2012 et d’autres clubs sont impliqués dans le scandale des paris mais le nom de Gillet n’apparaît pas immédiatement. Par contre, un autre dossier révèle que le 20 mars 2011, après Bari-Chievo, des Ultras ont menacé les joueurs et les ont sommés de perdre les matches Cesena-Bari et Bari-Sampdoria (probablement dans le cadre de paris), ce qui s’est d’ailleurs produit. Comme Gillet a refusé, ils auraient mis sur pied une expédition punitive contre le Belge, qui habitait et jouait à Bologne à ce moment-là, un plan contrecarré in extremis.

Citoyen d’honneur

Le 12 septembre 2010, Gillet bat le record du nombre de matches pour Bari : 319. À son départ, en 2011, il en est à 353. Il est fait citoyen d’honneur. Le bourgmestre Michele Emiliano lui offre les clefs de la ville. C’est une belle marque de reconnaissance pour un étranger devenu à moitié italien – il vit depuis dix ans avec une Italienne, qu’il a épousée entre-temps. Début juin de cette année, quand il est pris dans la tourmente, Gillet écrit au maire pour lui proposer de rendre les clefs jusqu’à ce qu’on ait prouvé son innocence. A ce moment, son avocat est encore convaincu d’une issue favorable.  » Aucun accusé ayant participé à l’enquête n’est parvenu à expliquer quand, comment et où Gillet aurait perçu de l’argent. Il n’a pas davantage joué un rôle décisif dans la falsification de matches.  »

L’épée de Damoclès tombe début juillet. Le procureur requiert quatre ans de suspension pour Gillet et deux coéquipiers, trois ans et demi pour les autres. Le 15 juillet, le Belge est condamné à trois ans et sept mois de suspension, une peine confirmée en appel, bien que ses avocats aient invoqué des circonstances atténuantes :  » En tant que capitaine, il a commis une faute grave en ne dénonçant pas les faits, mais il n’a pas joué de rôle actif dans la fraude.  »

Dix footballeurs auraient reçu chacun 7.000 euros pour fausser Bari-Trévise. Le montant aurait été identique pour le match contre Salernitana. On découvre que Bari pratiquait des tarifs fixes pour la vente des matches : 7.000 euros par joueur pour un match de Série B, de 30 à 50.000 euros par tête pour une partie de Série A. Trois joueurs auraient prouvé qu’ils n’avaient pas voulu être mêlés à l’affaire. L’un d’eux, l’international italien Andrea Ranocchia, acquitté, joue à l’Inter.

Ultime espoir : le TAS

Gillet, 34 ans, est déchu alors que, ces quatre dernières années, il avait enfin vu son talent reconnu, après dix ans de patience. Il a d’abord quitté la Belgique avec l’étiquette de talent ignoré. Ensuite, ses qualités sont restées noyées dans l’anonymat de la D2 italienne. La chance lui a souri en 2009 avec le retour de Bari parmi l’élite. Au même moment, à 30 ans, il faisait ses débuts avec les Diables Rouges. Après la rétrogradation de Bari, des clubs de Série A ont fait la file pour s’assurer ses services. Bologne a versé 1,4 million en 2011. Un an plus tard, Torino, à peine promu, a déboursé 1,7 million. Giampiero Ventura, l’entraîneur turinois, avait insisté pour adjoindre de vieilles connaissances à l’équipe afin d’assurer son maintien. Trois joueurs avec lesquels il avait travaillé à Bari l’ont rejoint. Fin mars, quand on a découvert son implication dans le scandale, Gillet se battait pour le maintien de Torino. Ses soucis n’ont pas eu la moindre influence sur ses prestations. C’est en grande partie à Gillet que Torino doit son maintien. Cette saison, il aurait dû rester titulaire. Mais la fin de sa carrière a sonné avec cette suspension de trois ans et sept mois. Son tout dernier espoir ? Obtenir raison devant le TAS. ?

PAR GEERT FOUTRÉ – PHOTOS : IMAGEGLOBE

 » C’est en sa qualité de capitaine qu’il nous a proposé de ne pas jouer à fond.  » Vitali Kutozov, ex-coéquipier

Gillet écrit au maire de Bari pour lui rendre les clefs de la ville jusqu’à ce qu’on ait prouvé son innocence.

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