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Téléconsultations: « Si on n’avait pas régulé, on aurait pu avoir des médecins consultant depuis la Roumanie ou le Maghreb »

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les téléconsultations sont désormais payantes et balisées. Pour Jean Macq, professeur à l’UCL, si l’Inami n’avait pas pris les devants, ce serait la porte ouverte à toutes les dérives marchandes.

La téléconsultation est-elle une évolution inévitable, boostée par le Covid?

Le Covid est évidemment un élément déclencheur, du moins un accélérateur. Sans lui, l’évolution aurait tout de même eu lieu mais sans doute plus lentement. Il faut savoir que, si on ne régule pas un système de téléconsultation aujourd’hui, nous risquons de voir prospérer une marchandisation extrême de la santé, avec des médecins qui consultent à distance depuis le Maghreb ou la Roumanie, par exemple, avec des tarifs hors concurrence et un risque évident pour le diagnostic. Cette marchandisation existe déjà pour les médicaments qu’on peut acheter sur Internet. Sans régulation, il y aura des dérives.

Ce système de téléconsultation existe-t-il ailleurs?

La télémédecine se développe dans beaucoup de pays. En France, par exemple, le département de Corrèze vient d’inaugurer une première borne de téléconsultation qui permet d’obtenir, sans rendez-vous, un avis médical, voire une ordonnance, pour des symptômes légers. Ce genre de système est amené à se multiplier, sans aucun doute, surtout dans des pays qui connaissent une désertification médicale. Cela étant, établir un diagnostic à distance est compliqué, a fortiori si le médecin ne connaît pas le patient.

La relation préalable entre le médecin et le patient est une condition fixée par l’Inami pour la téléconsultation. Comment le contrôler?

Les données dont dispose l’Inami permettent de le faire, grâce au dossier médical global (DMG) qui n’est entretenu que par un seul médecin généraliste. Pour la consultation d’un spécialiste à distance, cela paraît plus complexe. L’Inami prévoit toutefois cette possibilité si le patient est dirigé vers le spécialiste par un «autre médecin». On peut supposer qu’il s’agit du médecin traitant qui gère le DMG, ce qui est alors une garantie.

Quelle est la limite de la téléconsultation?

Lorsque le patient fait état de symptômes vagues, peu clairs, par exemple: on parle alors d’une situation de soins complexe qui nécessite une visite physique. Pour des symptômes comme un mal de gorge, une gastro, une conjonctivite, la téléconsultation peut avoir du sens si le médecin connaît déjà son patient. La limite est la complexité, l’imprécision et/ou la gravité des symptômes. Il faut aussi tenir compte du contexte social, familial, du patient.

La mesure de paramètres peut-elle se faire à distance?

De plus en plus, oui. Pour le diabète, on peut contrôler la glycémie à distance. Pour la maladie de Crohn, qui est un trouble inflammatoire du système digestif, on peut monitorer à domicile la calprotectine, un biomarqueur spécifique. Idem pour des paramètres cardiaques. Bref, la technologie et la recherche offrent de plus en plus de possibilités. Cela n’a du sens, encore une fois, que si patient et médecin se connaissent préalablement.

Les tarifs fixés par l’Inami vous semblent-ils justes?

Je suis favorable à un paiement forfaitaire via l’Inami. Le médecin qui gère mon dossier global recevrait une somme fixe qui couvrirait annuellement tous les actes dont je bénéficierais. Cela remplacerait le paiement à l’acte et éviterait les discussions sans fin sur le tarif de chaque acte. Deux études belges ont montré que cela n’engendre pas de surconsommation médicale, un peu plus chez les médecins de première ligne mais moins chez les spécialistes, et cela coûte même un peu moins cher pour le système de santé.

jean marcq
Jean Macq, professeur en santé publique à l’Institut de recherche de santé et société (IRSS) de l’UCLouvain. © dr

La téléconsultation ne risque-t-elle pas, à terme, de prendre le pas sur les consultations physiques?

Le risque existe. On verra lors du bilan qui aura lieu dans un an. Je crois que les médecins ont une éthique importante. Faire de la téléconsultation, au bout de sept ans d’études, ce n’est pas très intéressant. En Belgique, les médecins, sauf de rares exceptions, ne sont pas des businessmen.

La téléconsultation ne renforcera-t-elle pas la centralisation des soins en cours dans les hôpitaux?

Actuellement, cela semble peu probable. Ni les médecins ni les patients en général ne semblent demandeurs. Mais rendez-vous dans quinze ans pour faire le point! Avec les développements technologiques, on ne peut pas vraiment prédire quelle place prendra la téléconsultation à moyen terme et encore moins à long terme.

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