Dali était un adepte de la sieste "flash". A son réveil, les idées jaillissaient. © getty images

La « sieste créative » ou « Eurêka » : pourquoi quelques secondes de sommeil peuvent booster la créativité

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Entre veille et sommeil, il existe un très court moment qui favorise la créativité. Un sorte de «sieste Eurêka».

C’est une «presque» sieste. Sa technique demande de s’asseoir un objet à la main. Au bout de quelques minutes, le bruit soudain de sa chute sur le sol fait bondir. C’est la fin de la sieste «flash». Elle n’est d’ailleurs ni confortable ni vraiment reposante, mais elle a le pouvoir de déclencher des idées. Longtemps boudée par les neurosciences cognitives, elle a récemment été mise en pratique par des chercheurs français et son existence scientifiquement prouvée: la «sieste créative» ou «moment Eurêka» existe bel et bien.

Il ne s’agit donc pas réellement d’une sieste, mais d’une phase très courte – quelques secondes – juste avant l’endormissement, appelée «sommeil N1», au cours de laquelle le cerveau se situe dans un état de semi-conscience rapidement interrompu. Un état cognitif proche du sommeil paradoxal, dans la mesure où il est, ici aussi, comme libéré des associations stéréotypées, efficaces et guidées, qu’opère le cerveau en veille. L’inventeur Thomas Edison, le physicien Albert Einstein ou encore le peintre Salvador Dali pratiquaient la méthode. Thomas Edison, par exemple, avait pour habitude de faire des siestes assis dans un fauteuil, une boule métallique à la main. Il se réveillait en sursaut quand elle tombait, juste à temps pour noter ses flashs de créativité. Salvador Dali avait mis au point une technique très similaire, où une lourde clé remplaçait la sphère. A son réveil, les idées, les images jaillissaient.

Avec de l’entraînement, on peut plonger dans cet état créatif à volonté.

Y aurait-il, dans le sommeil, un lieu véritablement propice à la création? Pour le savoir, une équipe de chercheurs en neurosciences à l’Institut du cerveau de la Pitié Salpêtrière, à Paris, a utilisé la «méthode Edison» auprès d’une centaine de volontaires. L’équipe leur a demandé de résoudre une suite de problèmes arithmétiques simples le plus rapidement possible, avec une même astuce cachée qui leur permettait d’aller plus vite dans la résolution. Puis elle a proposé à ceux qui n’ont pas trouvé la règle de se reposer, une bouteille en plastique à la main, pour que sa chute les réveille, avant de repasser les tests mathématiques.

Les résultats, publiés dans Science Advances, en décembre 2021, suggèrent que l’endormissement est une zone de créativité idéale, un creative sweet spot. «Passer au moins quinze secondes dans cette toute première phase de sommeil après l’endormissement triplait les chances de trouver cette règle cachée, par l’effet du fameux «Eurêka», précise Célia Lacaux, l’une des autrices de l’étude. Ainsi, 83% des participants qui sont passés par cet état «hypnagogique» (semi-conscience entre veille et sommeil) de quelques minutes ont trouvé la solution, contre 30% des personnes restées éveillées. Cet effet disparaissait par contre pour ceux qui avaient dormi profondément et atteint la phase N2 du sommeil: seuls 14% ont trouvé la solution. En d’autres termes, le pic de créativité ne survient que pendant cette phase de somnolence, qui ne dure qu’une à deux minutes, mais il tombe dans l’oubli dès que l’on s’endort.

Faut-il toutefois avoir des facilités à entrer dans cette première et fugace phase du sommeil? Selon les chercheurs, tout le monde est capable de mettre à profit ces hypnagogies, des sortes de rêves, à condition de ne pas être trop fatigué, au risque de sombrer directement en phase N2. Avec de l’entraînement, on peut plonger dans cet état créatif à volonté. Cependant, «contrairement aux anecdotes relatant un Eurêka dès le réveil, nos participants découvraient l’astuce cachée plus tardivement, nuance Delphine Oudiette, également autrice de l’étude. Comme le sommeil paradoxal, cette hypnagogie permet à l’esprit de retraiter pensées, idées, souvenirs et émotions, et d’établir des liens souvent distants entre différents concepts, pas de découvrir une règle mathématique ex nihilo.» Bref, en paraphrasant Albert Einstein, le génie, c’est 1% de microsieste, 99% de travail.

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