Un tiers des diabétiques s’ignorent. © getty images

«J’aurais dû me méfier…»: pourquoi une épidémie silencieuse de diabète sévit en Belgique

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

En quelques décennies, il s’est imposé comme le mal du siècle. Avec plus de prévention, une amélioration du suivi et de l’hygiène de vie des patients, le diabète pourrait reculer.

Pour Didier, le diagnostic est tombé comme un couperet. De façon irréversible, aussi. Un samedi, il rentre chez lui au volant de sa voiture lorsque sa vue se trouble. Verdict de l’ophtalmologue: un début de rétinopathie diabétique, une atteinte de la rétine due à un excès de sucre dans le sang. Prise à temps, elle se soigne. Pour le quinquagénaire, il est trop tard: «Certes, je me sentais fatigué, mais c’est une plainte plutôt générale aujourd’hui.». Ses levers nocturnes pour uriner? «J’ai pensé… à la prostate. Lorsque la maladie m’est tombée dessus, je ne m’y attendais pas.» Avec le recul, Didier mentionne d’autres symptômes évocateurs: des picotements aux extrémités, aux pieds surtout, et une sécheresse buccale. «J’aurais dû me méfier…»

En Belgique, on ne meurt pas du diabète, plutôt de ses complications.

Etre diabétique sans le savoir? Un malentendu lié à la maladie elle-même: dans sa forme la plus courante, le type 2, le diabète sait se faire discret. En pratique, la médecine ne le détecte pas. Indolore et silencieux, il avance masqué sans que rien ne laisse supposer son existence. Pendant des années, les gens ne se sentent pas malades. Et c’est bien le problème. «Dans la grande majorité des cas, le diabète est découvert chez des personnes qui n’ont pas de symptômes, lors d’une prise de sang», rapporte Agnès Burniat, endocrinologue à l’hôpital Erasme et professeure à la faculté de médecine de l’ULB. Ce n’est que lorsqu’elle est installée que les premiers signaux se manifestent. «Le patient peut, par exemple, se mettre à uriner et à boire plus que la normale. On parle de symptômes polyuro-polydipsiques.» Ce phénomène s’explique par un mécanisme d’adaptation: quand la glycémie est trop élevée, l’organisme élimine ce trop de sucre dans les urines, ce qui déshydrate et fait boire davantage. «Il peut aussi y avoir des infections urinaires à répétition, favorisées par le glucose en excès dans les urines», ajoute la spécialiste. Mais l’alerte peut être nettement plus grave, comme un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral. A ce stade, la maladie a déjà progressé.

Diabète: un mal insidieux

Dans un corps sain, l’insuline, hormone fabriquée dans le pancréas, régule la glycémie en permettant au glucose de pénétrer les cellules pour être utilisé comme source d’énergie. Chez un sujet diabétique, la concentration de glucose dans le sang demeure élevée. Son pancréas ne produit pas d’insuline, c’est un diabète de type 1. Ou sécrète une insuline peu efficace ou insuffisante, c’est un diabète de type 2: en réponse, il doit en produire plus et finit par s’épuiser. En effet, les cellules n’absorbent plus assez de glucose. Ce qui entraîne logiquement une concentration trop élevée dans le sang, c’est l’hyperglycémie.

Ce n’est pas rien. Faute de traitement, des hyperglycémies répétées et prolongées endommagent à long terme nerfs et vaisseaux sanguins et causent des complications chroniques ainsi qu’un risque de mortalité précoce: risques cardio- vasculaires, dont les AVC, atteintes rétiniennes (provoquant la cécité), rénales (conduisant à la dialyse) ou des lésions des pieds pouvant conduire à des amputations… «Aujourd’hui, en Belgique, on ne meurt pas du diabète, plutôt de ses complications», pointe Agnès Burniat. Un mal insidieux donc, qui se traite mais ne se guérit pas encore. Une maladie qui, surtout, se répand à toute vitesse: d’après des projections publiées en juin 2023 dans la revue scientifique britannique The Lancet, la planète comptera plus de 1,3 milliard de diabétiques en 2050. La prévalence de cette pathologie, c’est-à-dire la part de malades dans une population donnée, est passée de 3,2% en 1990 à 6,1% en 2021 et devrait atteindre 9,8% en 2050. Une épidémie silencieuse, à laquelle la Belgique n’échappe pas.

La maladie est l’une des plus exigeantes en matière de traitement.
La maladie est l’une des plus exigeantes en matière de traitement. © getty images

Selon Sciensano, l’institut de santé publique qui mesure la prévalence de la maladie, 770 000 personnes de plus de 15 ans étaient traitées pour un diabète en 2021 – c’est presque un tiers de plus qu’en 2011 – dont la très grande majorité souffrent d’un type 2. C’est dans cette catégorie que l’on trouve un certain nombre de malades de l’ombre: un tiers des diabétiques s’ignorent. Au-delà de 65 ans, un Belge sur dix présente un diabète de type 2, mais un sur deux n’a pas été dépisté. Il s’écoule ainsi, en moyenne, sept ans entre l’apparition des premières hyperglycémies et le diagnostic. «Des chiffres inquiétants, tant en matière de santé publique que de financement du système de soins», alerte l’endocrinologue. Les dépenses liées au diabète atteignent déjà 5,82 milliards d’euros en 2018, et pourraient augmenter encore de façon exponentielle.

L’alerte, le tour de taille

Rien de tout cela, pourtant, n’est inéluctable, du moins pour le diabète de type 2, qui concerne plus de 90% des patients. Autrement dit, le diabète le plus fréquent peut bel et bien être prévenu et pris en charge tôt, voire même… avant son apparition. Pour les spécialistes, il s’agit d’intervenir au stade prédiabétique, zone grise entre l’état normal et le diabète. Mesuré à jeun, le taux de sucre dans le sang est normal en dessous de 1 g/l, au-delà de 1,25 g/l, il confirme le diabète. Une glycémie entre 1 g et 1,25 g/l indique un état prédiabètique. «Cela signifie que votre pancréas ne fonctionne déjà plus très bien», confirme la Pr. Agnès Burniat. Le prédiabète est donc bien souvent la première marche avant l’apparition du diabète.

«C’est vers ces prédiabétiques (NDLR: estimés à environ 600 000 individus) qu’il faut orienter nos efforts de prévention. D’autant que la mise en évidence du diabète ne se révèle ni complexe ni coûteuse. En pratique, une simple prise de sang suffit. Or, en routine, la glycémie n’est pas systématiquement mesurée. Les failles du dépistage résultent aussi du trop faible intérêt que l’on porte aux résultats qui, sans être franchement anormaux, s’approchent du seuil. On parle ainsi, à tort, de «petite tendance au diabète».

Comme les études l’ont montré, chez les prédiabétiques, les mesures hygiéno- diététiques bien suivies réduisent de 60% le risque de développer un diabète dans les deux ans, voire l’éloigne définitivement. Perdre du poids et pratiquer une activité physique régulière de trente minutes par jour ramènent la glycémie à un niveau normal. Ainsi, une réduction de 5% du poids a une efficacité sur le contrôle glycémique aussi importante qu’un médicament.

Encore faut-il repérer les individus à risque. La liste est simple. Tous ceux dont l’un des parents au moins est diabétique, les hypertendus qui ont trop de cholestérol, les fumeurs (dont le risque de diabète est augmenté) ou encore les femmes ayant eu du diabète lors de leur grossesse.

Mais le facteur de risque majeur est la graisse périviscérale, soit le tour de taille, qui pousse la paroi abdominale. Elle peut aussi être invisible quand elle se loge à l’intérieur de l’abdomen, autour des intestins et du foie. La graisse abdominale, la plus délétère, est en effet très différente de celle du tissu adipeux sous-cutané, car elle contient des cellules capables de communiquer avec le reste de l’organisme, notamment les adipokines, vectrices d’inflammation à bas bruit continue, cause majeure de l’insulinorésistance, favorisant ainsi l’apparition du diabète de type 2 chez les personnes prédisposées.

Le prédiabète est réversible, pas le diabète. «On ne guérit pas du diabète. C’est une rémission, jamais une guérison», alerte Didier. Depuis son diagnostic, il a subi plusieurs opérations au laser. Il le reconnaît, il a parfois été laxiste dans la gestion de son diabète, par exemple en décalant les injections après le repas, en raison de contraintes professionnelles. Pour améliorer le contrôle de sa maladie, l’équipe médicale lui a proposé la mise en place d’une pompe à insuline. «En plus de devoir accepter la maladie, le malade doit se l’approprier et subir le fardeau du traitement», avoue Agnès Burniat. A la longue, le patient peut ressentir une forme d’épuisement, la maladie se révélant l’une des plus exigeantes en matière d’adhésion aux prescriptions médicamenteuses, aux recommandations d’activité physique et d’alimentation ainsi que de sérieux dans le suivi des examens.

Malgré les initiatives, seulement un patient sur deux se conforme aux indications médicales. Etude après étude, cette proportion de 50% reste assez stable, avec quelques variations selon les maladies chroniques. En Belgique, l’observance serait ainsi de 42% dans le diabète de type 2. «Améliorer l’adhésion du patient à un traitement chronique devrait s’avérer plus bénéfique que n’importe quelle découverte biomédicale», soulignait l’Organisation mondiale de la santé dans un rapport de… 2003.

Type 1 vs type 2

Le diabète de type 1 (DT1) est une pathologie auto-immune caractérisée par une carence totale de production d’insuline. Ainsi, des anticorps détruisent les cellules bêta, productrices d’insuline dans le pancréas. L’arrêt est souvent soudain et les symptômes se manifestent aussi brutalement. Diagnostiqué le plus souvent dès l’enfance ou chez un sujet jeune, le DT1 concerne environ cinquante mille personnes en Belgique. Ses causes demeurent encore inconnues.

Dans le diabète de type 2 (DT2), le pancréas produit encore de l’insuline, mais elle est moins efficace ou en quantité inadaptée. On parle d’insulinorésistance.

6,8% de la population belge avait un diagnostic connu de diabète en 2021, contre 5,4% en 2011.

92% des diabétiques souffrent du diabète de type 2 contre 6% du type 1, selon la Fédération internationale du diabète. Les autres types concernent les 2% restants (diabète secondaire à certaines maladies ou prises de médicaments).

2,1% des 25-44 ans souffrent du diabète de type 2, ils étaient 1,5% en 2011.

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