© Getty Images

Guérir par les plantes

Barbara Witkowska Journaliste

La phytothérapie existe depuis la nuit des temps. Mais au XXème siècle, un engouement excessif pour le « tout-chimique » et les molécules de synthèse l’a renvoyée dans les oubliettes. Depuis le début des années 2000, son retour en grâce connaît un essor considérable. La phytothérapie nouvelle et « médicale » prend son envol, en utilisant les plantes selon des critères scientifiques et modernes, en conformité totale avec le cahier des charges établi par les pouvoirs publics.

On peut parler d’un effet de balancier. Au siècle dernier, l’explosion des médicaments purifiés ou de synthèse (l’aspirine, la quinine, la pénicilline, …), basée sur les preuves scientifiques, a fait perdre aux plantes leur superbe. Elles sont devenues juste bonnes pour certains bobos abonnés à la « tisanothérapie ». Alors pourquoi ce come-back spectaculaire ? Pour combler nos envies de vivre de manière plus « naturelle » ? Oui, en partie, sans doute. Les plantes sont surtout de retour car la science avance à pas de géant. Les plantes sont mieux étudiées, leurs propriétés sont identifiées et (pour certaines) démontrées scientifiquement. Et surtout, les méthodes d’extraction sont devenues extrêmement performantes. « Au XXème siècle, les méthodes extractives étaient artisanales, note Yvan Dierckxsens, directeur scientifique des Laboratoires Tilman, spécialisés dans les produits pharmaceutiques à base de plantes médicinales. Dans le passé, il y a eu de mauvaises expériences, car on ne connaissait pas la composition des plantes. Ce n’est que depuis une quinzaine d’années qu’on maîtrise les méthodes analytiques destinées à la connaissance de leur composition complexe ».

Le « cocktail », c’est mieux !

Environ 50 % des médicaments actuels ont pour origine le végétal au sens large. On extrait de la plante des molécules intéressantes puis on les reconstitue au laboratoire, soit par la synthèse, soit par la biotechnologie. L’acide salicylique dans l’aspirine en est le meilleur exemple. Autrement dit, on sait se débrouiller sans la plante. « Aujourd’hui, on sait que les molécules isolées modifiées ne sont pas tous aussi fiables, comparés aux mélanges complexes originales dans les plantes, poursuit Yvan Dierckxsens. En effet, en cherchant à améliorer leur efficacité, on a augmenté, parfois, leur toxicité et leurs effets secondaires. Dans certaines molécules, la distance entre la marge toxique et la marge thérapeutique est extrêmement ténue. Il y a quelques années, les scientifiques ont découvert que l’efficacité thérapeutique d’un médicament à base de plantes est beaucoup plus puissante quand on utilise plusieurs molécules agissant en synergie. On appelle ce mélange de principes actifs un extrait standardisé et il faut le retrouver dans son intégralité et son intégrité dans le produit final qu’on appelle aujourd’hui « phytomédicament » ou médicament à base de plantes ».

Le phytomédicament, c’est quoi?

C’est un médicament qui contient non pas une molécule unique issue de la plante (comme dans les médicaments classiques) mais des extraits standardisés (par exemple de la racine) de plantes. Dans les feuilles, les racines et les fleurs des plantes, des centaines de composés interagissent avec une incroyable synergie. L’efficacité de l’ensemble des molécules actives et utiles de la plante (appelé totum) est de loin supérieure à la somme des propriétés de chacun de ses constituants. Le but ? Se soigner mieux et avec plus dé sécurité. En Belgique, les phytomédicaments peuvent être commercialisés, uniquement dans les pharmacies, après avoir obtenu le feu vert de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). Ils suivent donc la même procédure que les médicaments classiques même si le dossier d’enregistrement est plus « allégé ». Le statut des plantes étant complexe et compliqué, l’Europe a décidé d’y mettre son grain de sel. Pour harmoniser les mises sur le marché, on a mis en place des outils destinés aux firmes qui souhaitent commercialiser des phytomédicaments. En 2004, un « comité des médicaments à base de plantes » a été créé au sein de l’Agence européenne du médicament (EMA). Son rôle consiste à rédiger des monographies sur les plantes médicinales. Les monographies détaillent la composition des médicaments, la forme pharmaceutique, la posologie, les indications et les contre-indications, les effets indésirables, etc. « Ce sont des répertoires des propriétés médicinales des plantes, explique Michel Frédérich, professeur et chercheur au département de pharmacie de l’Université de Liège. Sur le plan européen, ces monographies concernent quelque 200 phytomédicaments. La Belgique en a autorisé l’enregistrement d’une cinquantaine de ces phytomédicaments. Pourquoi? Pour la simple raison qu’en Belgique nous n’utilisons pas les mêmes plantes qu’en Ukraine, par exemple. Les phytomédicaments autorisés ont, entre autres, les indications suivantes : troubles du système respiratoire, troubles du système digestif, troubles du système nerveux central (sommeil, dépression, stress), troubles de la sphère uro-génitale et troubles hormonaux. Un exemple : dans le traitement de l’hypertrophie bénigne de la prostate, un problème très fréquent chez les hommes à partir de 50 ans, outre le palmier de Floride, plante tropicale à usage reconnu, la racine d’ortie ou les pépins de courge, plantes qu’on trouve en Belgique, sont largement utilisés ». Les phytomédicaments peuvent être enregistrés quand les plantes ont été sélectionnées selon l' »usage bien établi » ou selon l' »usage traditionnel ». Dans le premier cas, leur efficacité a été prouvée par des études scientifiques. En font partie, notamment, l’échinacée, la valériane, le millepertuis, le marron d’Inde ou le lierre. Dans le cas de l' »usage traditionnel » les études scientifiques n’existent pas ou ne sont pas jugées de qualité suffisante. Seule, l’expérience « prouve » la sécurité du produit. Pour qu’une plante puisse revendiquer le statut de phytomédicament, elle doit être utilisée traditionnellement depuis au moins 30 ans. Prenons l’exemple de la camomille. Ses bénéfices n’ont jamais été prouvés scientifiquement, mais tout le monde sait que « ça marche » : la camomille allemande est anti-inflammatoire, antispasmodique et favorise la digestion.

Phyto-médicament versus complément alimentaire

« Le phytomédicament est produit selon les normes pharmaceutiques et est vendu uniquement en pharmacie, insiste Caroline Stévigny, chargée de cours à la Faculté de pharmacie de l’Université Libre de Bruxelles. Un complément alimentaire n’est pas produit selon les normes pharmaceutiques mais selon les normes alimentaires. Il bénéficie d’un circuit de vente plus large. On peut le trouver partout y compris sur Internet. Une grande confusion continue à régner dans l’esprit des gens sur ce sujet. Répétons une fois de plus : pour se procurer les phytomédicaments ou les compléments alimentaires de qualité il faut se rendre au bon endroit, à savoir en pharmacie. Les pharmaciens sont formés à la connaissance des plantes ». Parmi les compléments alimentaires, il y a une grande hétérogénéité. Avant de les acheter dans un point de vente de proximité, il est utile de se poser quelques bonnes questions. Qu’absorbe-t-on réellement en avalant une gélule de « vitamines » ? Où a-t-elle été fabriquée ? Comment les vitamines ont-elles été extraites ? A l’aide de quels solvants ? En général, les notices des compléments alimentaires sont muettes sur ces questions. « Quand on n’a pas de formation, les plantes sont difficiles à comprendre, souligne Michel Frédérich. Quand on les achète en pharmacie, on est sûr de la qualité du produit. Et gare aux compléments alimentaires vendus sur Internet ! Mes collègues de l’université de Toulouse ont réalisé une enquête qui a été publiée en 2012 par « Sciences et Avenir ». Sur 100 compléments alimentaires à base de plantes testés (essentiellement des produits améliorant les performances sexuelles ou des amaigrissants), plus de deux tiers contenaient des produits non conformes. Par ailleurs, une étude parue dans Le Journal of Pharmaceutical and Biomedical Analysis en 2015 a démontré que 61 % des produits testés ont été adultérés ».

La phytothérapie est-elle une médecine douce ?

« Non ! », s’exclament en choeur nos interlocuteurs. « La confusion au sein du public est toujours énorme, martèle Caroline Stévigny. C’est bien ancré dans la tête des gens : les plantes étant considérées comme « naturelles », on classe souvent la phytothérapie dans les médecines douces. La phytothérapie n’est pas une médecine douce ! Prenez le champignon Amanite phalloïde, c’est naturel mais très toxique. La digitale est toxique, elle peut entrainer des problèmes cardiaques ». Ne perdons donc jamais de vue que la nature n’est pas si douce. Ce qui est « naturel » n’est pas forcément sain. Et évitons cette croyance naïve qui nous fait considérer que, parce que c’est une plante, c’est bon pour la santé. « On peut se tuer avec les plantes, note Michel Frédérich. Pensez à la belladone ou à l’aconit. Cette dernière, plante d’altitude, certes rare en Belgique, est la plante la plus toxique d’Europe ! Ou encore la cigüe, très fréquente en Belgique. Elle pousse le long des routes et ressemble à la carotte sauvage. Il y a des plantes qui ont des toxicités chroniques. La consoude est déconseillée en usage interne car, à long terme, elle est toxique pour le foie. En revanche, en usage externe, sous forme de pommade ou de lotion, cette plante est reconnue dans le traitement des lésions musculaires et ligamentaires.

Quand on récolte soi-même les plantes sauvages, attention à ne pas commettre d’erreurs d’identification « Il faut avoir de bonnes notions de botanique et bien maîtriser la récolte, poursuit Caroline Stévigny. Même les connaisseurs peuvent se tromper. C’est comme avec les champignons ». Un autre exemple : le muguet est l’une des plantes les plus toxiques de Belgique. Il vaut mieux le savoir, car il pousse aux mêmes endroits que l’ail des ours que l’on récolte de plus en plus souvent pour en faire des soupes, très bonnes d’ailleurs. Quand on cueille les plantes soi-même, il faut respecter aussi certaines règles de séchage. Chaque plante doit être traitée différemment. Certaines plantes sont plus intéressantes quand elles sont fraîches, d’autres quand elles sont sèches. Dans la valériane, par exemple, on utilise la racine séchée. Attention aussi à l’endroit de la récolte. Il faut s’éloigner des zones urbaines et des déjections des animaux, cueillir uniquement ce dont on est tout à fait sûr et bien se laver les mains après ».

Le cas des insomnies

« Aujourd’hui, les pathologies les plus importantes sont les pathologies chroniques, telles le diabète, les rhumatismes, l’hypertension et la dépression, décrypte Yvan Dierckxsens. Ces pathologies sont traitées à long voire à très long terme. Par conséquent, les traitements doivent s’accompagner d’une grande sécurité. Or, les médicaments classiques ne sont pas très adéquats dans les traitements de longue durée, car ils ont été conçus pour des situations aigues. Prenons l’exemple de l’insomnie. Pour la traiter, on prescrit des benzodiazépines. Ces molécules sont très efficaces et très actives pendant une période de courte durée. Le problème avec les insomnies, c’est que la majorité sont chroniques. A la longue, le produit devient dangereux. Il provoque des pertes de vigilance et de mémoire, il augmente le risque des fractures et le risque de la maladie d’Alzheimer. Les cas de démence sont bien connus dans les maisons de retraite. Les benzodiazépines posent aussi le problème d’accoutumance. On se contente d’augmenter les doses, le patient ne peut plus s’en passer, ça devient une drogue. Environ 10 % de la population est addicte aux benzodiazépines, alors que leur usage est conseillé pendant maximum trois semaines ! Les gens ne sont pas toujours conscients du fait que la consommation continue de certains médicaments altère la qualité de vie ».

Quand on souffre d’insomnies, certaines plantes sont très bien indiquées. Elles ne créent ni de dépendance, ni d’accoutumance et leur effet augmente avec le temps. Deux plantes méritent l’attention dans la gestion de l’insomnie chronique. La valériane est une plante qui pousse en Belgique à l’état sauvage dans les régions humides et peut atteindre deux mètres. Elle s’avère particulièrement intéressante dans la phase du sommeil paradoxal (la phase des rêves), car elle assure une meilleure qualité du sommeil et une meilleure vigilance pendant la journée, ce qui n’est pas le cas avec les benzodiazépines. Dans l’approche chronique, la valériane est très intéressante sur long terme. Dans les problèmes d’endormissement, en revanche, la passiflore est la mieux adaptée (c’est la seule plante qui ne pousse pas en Belgique que nous citons dans ce dossier). Originaire d’Amérique du Sud, la passiflore décline environ 600 variétés. La sélection a été effectuée par les ancêtres. Ils ont identifié une seule variété active dans le cas d’insomnie. « La passiflore est très bien documentée, intervient Yvan Dierckxsens. Les techniques modernes nous ont aidées à mieux maîtriser les connaissances ancestrales. Son efficacité a été confirmée par des études cliniques. Elle peut également aider dans le sevrage des benzodiazépines. Parmi les personnes âgées, il y en a très peu qui n’utilisent pas les benzodiazépines. Il est plus facile d’assommer les gens. Aujourd’hui, certaines maisons de repos sont des maisons de « zombies » où l’on attend la mort. Or les plantes sont vraiment efficaces pour sortir de cet état de torpeur. Les autorités commencent à prendre conscience du problème de dépendance aux benzodiazépines. Parmi leurs effets indésirables, les risques de chutes sont très importants. Une personne âgée sur trois fait une chute au moins une fois par an. Les femmes chutent deux fois plus que les hommes. Or, les chutes, accompagnées de fractures, ont d’énormes conséquences psychosociales et surtout financières. Ces dernières représentent, pour l’état belge, un coût de 308 millions d’euros par an ! Pour le futur, il est donc très important de changer les mentalités. En Flandre, les choses se mettent à bouger. Depuis cinq ans, les autorités sanitaires mènent chaque année, fin avril, une campagne de prévention et de sensibilisation sur le thème  » Van slaappillen kan je vallen » (Les somnifères peuvent provoquer des chutes, parlez-en à votre médecin). Jusqu’à présent, les campagnes de prévention se contentaient de dire « arrêtez les somnifères », sans proposer d’alternative. Les gens préféraient rester dans leur pseudo-confort. Aujourd’hui, les alternatives à base de plantes sont connues et il est urgent de les promouvoir auprès du grand public ».

Un excellent moyen de prévention

La phytothérapie moderne fait désormais partie des MAC, les médecines alternatives et complémentaires. Selon Caroline Stévigny, les patients sont demandeurs d’une prise en charge médicale globale. A côté de la médecine classique et curative, les patients souhaitent en parallèle et en complément une prise en charge par les MAC, avec leur approche holistique. Et la phytothérapie y a parfaitement sa place. « Il existe de nombreuses pathologies importantes sur lesquelles on peut anticiper, souligne Yvan Dierckxsens. Les plantes sont efficaces dans la prévention. Savez-vous qu’en Chine ancienne les médecins étaient payés quand les gens étaient en bonne santé ? On doit anticiper, on doit prendre en considération les premiers signes. Les gens en sont de plus en plus conscients, les mentalités commencent à évoluer doucement, l’éducation commence à fonctionner ». Même les hommes s’inscrivent de plus en plus dans la démarche préventive ! « Mon père était pharmacien d’officine dans un village près de Durbuy, raconte en conclusion Jean-Noël Tilman, directeur des Laboratoires Tilman. Il a créé son entreprise dans les années 1940 et, en 1948, il a mis au point la formule d’une tisane qu’il a baptisée « Thé du vieil Ardennais ». Elle contenait notamment des feuilles d’olivier, avait bon goût, était efficace contre l’hypertension et a connu un franc succès. Dans la foulée, mon père a créé une vingtaine de tisanes différentes : les Tisanes ardennaises. Quand j’ai repris l’entreprise en 1985, elle employait 5 personnes et aujourd’hui nous sommes 150 ! Je vous fais une confidence : mon père n’a jamais bu une tasse de ses tisanes. Il les a commercialisées sans y croire ! Heureusement, les jeunes d’aujourd’hui sont de plus en plus conscients des vertus de la phytothérapie ! ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire