Perturbateurs endocriniens vêtements
Les très controversés perturbateurs endocriniens, capables d’altérer les fonctions du système hormonal humain, sont partout. Même dans les vêtements, il est difficile, sinon impossible, de les éviter. © Getty Images

Des vêtements bourrés de perturbateurs endocriniens: «Le risque zéro n’existe pas», même avec un tee-shirt 100% coton

Tantôt pour assouplir la fibre, tantôt pour rendre un vêtement imperméable: les perturbateurs endocriniens sont omniprésents dans l’industrie textile. Même le t-shirt 100% coton n’en est pas exempt. Or, ces substances peuvent être délétères pour la santé.

Manger local et bio? Opter pour des produits ménagers et des cosmétiques «naturels»? Mais cela reste insuffisant pour toute personne souhaitant éviter les perturbateurs endocriniens, présents dans la plupart des produits de consommation courante, y compris les vêtements.

L’industrie textile emploie des substances qui en contiennent pour traiter les tissus, les colorer ou leur donner certaines caractéristiques anti-taches, imperméabilisantes ou ignifuges grâce aux composés perfluorés ou polybromés. Ces produits sont souvent utilisés dans la fabrication de matières synthétiques issues de la pétrochimie, lesquelles représentent, selon l’Agence européenne pour l’Environnement (AEE), 60 à 70% des textiles fabriqués aujourd’hui. Selon l’ONG Textile Exchange, ces dérivés du plastique ont supplanté le coton vers le milieu des années 1990. Avec, en tête, le polyester (54% en 2022), devenu, après 2005, la matière la plus utilisée par le secteur. Les prévisions tablent même sur un volume de production près de trois fois supérieur à celui du coton d’ici à 2030.

Du legging de sport au tee-shirt 100% coton

«Les vêtements de sport en sont bourrés, à cause, notamment, de produits visant à réduire les odeurs, expose Patrick Pétrossians, chef de service d’endocrinologie clinique du CHU de Liège et professeur à l’Université de Liège. Quand vous entrez dans un magasin de sport, il est presque impossible d’éviter les perturbateurs endocriniens.» Le constat est identique dans n’importe quel magasin de vêtements: depuis le pantalon mi-lin mi-polyester, jusqu’à la chemise infroissable, en passant par la veste imperméable, il est devenu très difficile de passer entre les mailles de ces substances chimiques.

Perturbateurs endocriniens, kezako?

Les perturbateurs endocriniens sont des substances ou des mélanges de substances chimiques, d’origine naturelle ou artificielle, qui ont la capacité d’altérer les fonctions du système hormonal humain, provoquant des effets délétères pour la santé. Parmi ces perturbateurs endocriniens courants, citons les phtalates, utilisés dans les détergents; les alkylphénols, présents dans les peintures; certains parabènes et l’hydroxyanisol butylé (BHA), employés dans de nombreux cosmétiques; le bisphénol A (BPA) qui sert à la fabrication de plastique; le cadmium dans le tabac; ou encore le téflon dans le revêtement de certains ustensiles de cuisine.

«Toute la difficulté est de déterminer si un produit potentiellement dangereux est capable de pénétrer dans la peau.»

«Le risque zéro n’existe pas», commente Olivier Jolois, responsable recherche et développement au sein du Centre scientifique et technique de l’Industrie textile belge (Centexbel). Même les vêtements en matières 100% naturelles ne sont pas exempts de produits potentiellement nocifs pour la santé. «Vous portez rarement du coton blanc non traité, souligne-t-il. Dans ces traitements, qu’il s’agisse de blanchir le tissu, ou à l’inverse, de le teindre comme pour le denim des jeans, on retrouve inévitablement ces substances controversées.»

Selon le spécialiste, la question n’est pas de savoir si un tee-shirt ou un pantalon contiennent des perturbateurs endocriniens, mais plutôt de déterminer si la quantité présente dans les textiles est suffisante pour engendrer des risques sanitaires. C’est là qu’intervient Centexbel, qui analyse les textiles en laboratoire. «Toute la difficulté est cependant de déterminer si un produit potentiellement dangereux ou allergène est capable de se détacher du textile et de pénétrer dans la peau, et donc d’être mis directement en contact avec les cellules du porteur, souligne Olivier Jolois. Pour certaines substances, on possède déjà la réponse. Celles-ci sont d’ailleurs complètement interdites en Europe, car considérées comme cancérigènes ou néfastes pour la santé.»

Les perturbateurs endocriniens sont omniprésents dans les vêtements en matière synthétique, mais pas seulement. © Getty Images

Et les vêtements chinois?

Ces produits prohibés sont répertoriés dans le règlement européen Reach (Enregistrement, Evaluation, Autorisation et Restriction des substances chimiques). Cette réglementation impose des limites de concentration strictes pour une série de substances dangereuses que l’on peut retrouver dans des produits vendus en Europe. Les fabricants et importateurs «doivent identifier et gérer les risques liés aux substances qu’elles fabriquent et mettent sur le marché au sein de l’UE, indique le SPF Economie. Elles doivent indiquer à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) comment la substance peut être utilisée en toute sécurité et communiquer les mesures de gestion des risques aux utilisateurs.»

«Trop de produits arrivent encore sur le marché intérieur sans respecter la législation européenne sur la sécurité des produits.»

Ces règles, destinées à protéger la santé des consommateurs et l’environnement, ne s’appliquent pas aux entreprises qui produisent et vendent hors de l’Union européenne. Ainsi, il n’existe aucune garantie qu’un tee-shirt acheté aux Etats-Unis ne contienne pas de produits considérés comme dangereux sur le Vieux Continent. Il en va de même pour les produits de la fast fashion vendus sur les sites d’e-commerce.

En mai 2024, Testachats publiait les résultats de l’analyse de 25 vêtements et chaussures pour enfants vendus par Shein. Au moins une substance dangereuse a été retrouvée dans dix de ces articles. Pire encore: pour une paire de chaussures, «les concentrations dépassaient de loin les teneurs autorisées par la législation européenne», souligne l’organisation de consommateurs, qui juge le règlement Reach «trop laxiste». «Trop de produits arrivent encore sur le marché intérieur sans respecter la législation européenne sur la sécurité des produits, dénonce la porte-parole de Testachats, Julie Frère. Nos autorités doivent mener davantage de contrôles. Nous demandons également aux plateformes de prendre au sérieux leurs obligations. Il en va de la sécurité des consommateurs et consommatrices.»

Une surveillance complexe

Puberté précoce et fertilité

«Les perturbateurs endocriniens sont notamment pointés du doigt pour provoquer des pubertés précoces, expose l’endocrinologue Patrick Pétrossians. En particulier chez les filles, dont la puberté est plus complexe que celle des garçons. Certaines d’entre elles, à cause d’une exposition aux perturbateurs endocriniens, potentiellement depuis qu’elles sont dans le ventre de leur mère, peuvent avoir leurs règles et développer des seins à un très jeune âge.»

Les garçons ne sont néanmoins pas immunisés. «Les effets se concentrent surtout sur la fertilité, indique le professeur. On le découvrira donc plus tard, lorsqu’un jeune homme devenu adulte voudra avoir des enfants.»

Le SPF Finances, dont dépend l’Administration générale des Douanes et Accises, explique ne pas être compétent pour empêcher un colis d’entrer en Belgique en raison de soupçons de toxicité. «Sauf si on reçoit une demande spécifique du SPF Santé publique ou du SPF Economie. Dans ce cas, on peut stopper le vêtement et éventuellement l’envoyer pour contrôle», précise Florence Angelici, porte-parole du service public fédéral. Pour les colis individuels provenant de Chine, ce contrôle reste néanmoins difficile, sinon impossible, «car il s’agit souvent de petits colis répartis dans différents conteneurs et adressés à des particuliers», poursuit la porte-parole.

C’est le SPF Santé publique qui supervise les contrôles des colis, y compris importés d’un pays situé en dehors de l’Union européenne. Avec des campagnes de surveillance ciblées «sur les produits de consommation, notamment textiles, lorsqu’il y a un risque potentiel pour la santé», indique sa porte-parole.

En 2024, le service public fédéral a, par exemple, mené une série de contrôles sur des articles de puériculture, incluant des vêtements et textiles pour bébés vendus en ligne. «L’objectif était de détecter la présence de substances chimiques potentiellement nocives, telles que les phtalates, du formaldéhyde ou d’autres perturbateurs endocriniens, indique la porte-parole. Les analyses ont révélé que certaines substances étaient effectivement présentes, mais dans des concentrations inférieures aux seuils légaux européens fixés notamment par le règlement Reach. Cela signifie qu’il n’y avait pas de risque sanitaire avéré pour les consommateurs. Toutefois, les autorités restent vigilantes et mènent des contrôles réguliers sur différents articles pour consommateurs.»



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