Les animaux de laboratoire au coeur d'une intense polémique. © getty images

Covid: l’expérimentation animale s’invite dans la crise

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Alors que les chercheurs se mobilisent pour lutter contre la Covid-19, l’administration wallonne soumet un projet d’arrêté visant à freiner l’expérimentation animale. Une menace pour la recherche dans le sud du pays.

Et de quatre! Le 6 octobre dernier, les universités et les entreprises pharmaceutiques ont reçu de la part de l’administration wallonne chargée du bien-être animal une quatrième version d’un projet d’arrêté encadrant l’expérimentation animale. Ce texte doit compléter le Code wallon du bien-être animal, à l’initiative de l’ex-ministre Carlo Di Antonio (CDH), en 2017. Le ministère exigeait une réponse rapide, soit endéans la quinzaine. Il s’est pris une volée de bois vert. « Ce sont des journées de folie et toutes les équipes sont sur le pont pour chercher, communiquer et lutter contre la Covid-19 », s’agace Eric Muraille, immunologiste et biologiste au laboratoire de parasitologie de l’ULB. Une rallonge de 30 jours a été accordée, et l’avis concerté des universités et des firmes pharmaceutiques vient d’être envoyé à Céline Tellier (Ecolo), la ministre de l’Environnement.

Un avis très critique, dont Le Vif a pris connaissance. Selon les scientifiques, le projet d’arrêté s’avère à nouveau dominé par « la vision extrémiste de certains activistes de la cause animale. Chacun est libre de défendre son point de vue moral sur l’expérimentation animale, évidemment, poursuit le chercheur. Mais, désormais, leurs discours consistent à affirmer qu’il existe une controverse scientifique sur son utilité et sur son efficacité. C’est du révisionnisme historique et un déni de la science. » Ainsi, aujourd’hui, les cultures de cellules (in vitro) et la modélisation mathématique (in silico) permettent de réaliser certains essais toxicologiques et pharmacologiques (1). En revanche, il y a des domaines en recherche biomédicale et fondamentale où il demeure impossible de se passer des animaux de laboratoire. Ils restent essentiels pour comprendre le fonctionnement d’un organisme vivant, le développement des cancers, des graves maladies héréditaires ou du cerveau, pour tester de nouveaux médicaments, de nouveaux traitements contre le cancer, l’épilepsie, le sida, de nouveaux vaccins et dont ceux contre la Covid-19.

Quant à son efficacité, elle a fait ses preuves. Les laboratoires recourent principalement à des mammifères (les rongeurs et les lapins représentent 85%), fruits de la même branche de l’évolution, dont les physiologies sont proches de celles de l’homme.

Taxer l’expérimentation animale

Les objections des scientifiques portent, ensuite, sur d’autres points « majeurs » qui aboutiraient à réduire et, à terme, à rendre inutilisables les modèles animaux. Le texte propose ainsi de taxer l’expérimentation animale, une demande portée par de nombreuses associations de protection animale. Tout chercheur qui souhaite réaliser une expérience impliquant des animaux devrait désormais payer un forfait par projet et une somme dépendante du nombre d’animaux utilisés. « Ce qui équivaudrait à 10% de mon budget de fonctionnement », calcule Eric Muraille. Cette taxe devrait, en tout cas, représenter, au regard des chiffres de 2019, plus de 400 000 euros, alors que les aides accordées par le FNRS aux chercheurs via les crédits de recherche s’élevaient à 4,7 millions d’euros. Un montant qui n’affecterait pas les firmes pharmaceutiques. Mais les chercheurs rappellent que la moitié des animaux de laboratoire en Belgique sont utilisés au sein des universités, très majoritairement financées par l’Etat, via nos impôts ou les dons. D’où cette question soulevée par la motion commune: sur quelle légitimité repose cette taxe? Une taxe qui n’est appliquée nulle part, ni dans les deux autres Régions, ni dans un autre pays européen.

u0022Une administration noyautée par l’idéologie antispécisteu0022

Modifier les commissions

Autre élément dénoncé dans le courrier envoyé à la ministre: la composition des commissions éthiques locales. En pratique, tout chercheur doit soumettre un dossier à la commission éthique de l’université, agréée par le Service public wallon (SPW) et composée d’un panel de scientifiques de l’établissement, d’experts extérieurs, d’un vétérinaire en charge du bien-être et d’un inspecteur vétérinaire de la ministre. Dans le projet d’arrêté, l’administration prévoit d’en modifier le fonctionnement. Non seulement, les défenseurs de la cause animale, désignés « membres de la société civile » dans le texte et dont on n’exige « aucune compétence scientifique » pourraient désormais siéger au sein de ces comités, mais l’agrément d’un dossier se ferait à présent uniquement par consensus et non plus à la majorité. « Cela engendre un risque de blocage systématique de la part de Gaia, de SEA (NDLR: Suppression des expériences sur l’animal) et compagnie », dénonce l’immunologiste. Par ailleurs, l’administration se réserve un droit de veto sur chaque projet. « Pour le scientifique, aucun recours évident n’est mentionné », note encore Eric Muraille.

Facteur de délocalisation

D’autres articles fâchent les signataires. Il en est ainsi de la demande de l’administration de recevoir tous les comptes-rendus, les documents, les rapports, les débats des commissions éthiques locales, alors que l’administration elle-même est membre de ces comités, « auxquels elle participe rarement ». Résultat: « Toutes ces mesures bureaucratiques couplées à la présence de deux personnes issues de la société civile sans compétence scientifique ne permettront plus de garantir la liberté d’expression, le secret d’affaires et la sécurité des personnes », lit-on dans l’avis rédigé à quatre mains. En off, UCB et GSK menaceraient déjà de délocaliser leurs laboratoires. En s’écartant fortement des recommandations européennes et des règlements bruxellois et flamand, l’autorité publique wallonne crée une forte distorsion de concurrence entre les Régions, voire met « en péril l’écosystème biopharmaceutique wallon grâce auquel la Belgique a pu se hisser dans le top mondial ».

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Et pourtant, il n’existe aucun vide juridique ni d’éléments mettant en évidence des entorses au système actuel. Une directive européenne de 2010 harmonise au sein de l’Union les exigences en matière d’expérimentation animale. Elle applique, en guise de boussole, la fameuse règle des 3R (réduire, raffiner, remplacer), c’est-à-dire n’utiliser les animaux que lorsque c’est indispensable et veiller à leur bien-être. Cette directive a déjà été transposée en droit régional, par les Régions bruxelloise et flamande.

Présenté, sous la précédente législature, sous une forme très similaire, le projet de décret avait alors été arrêté in extremis par Carlo Di Antonio. Il ressurgit aujourd’hui. Jusqu’ici, Céline Tellier n’a pas réagi. Des interlocuteurs interrogés se dégage l’impression d’être face à une administration « noyautée par l’idéologie antispéciste » et devenue « incontrôlable ». « Si un cabinet ministériel peut être idéologiquement orienté, cela ne peut être toléré de la part d’une administration qui incarne l’Etat et, donc, doit s’imposer un principe de neutralité », conclut Eric Muraille, rappelant que l’animal n’est pas qu’un « modèle d’étude », mais aussi un « sujet d’étude ». « Il y a beaucoup plus d’animaux que d’humains vaccinés dans le monde, avec pour conséquence un meilleur contrôle des zoonoses, ces virus transmis à l’être humain. »

L’article que vous venez de lire a suscité un droit de réponse de l’Asbl S.E.A. Suppression des Expériences sur l’Animal. Vous pouvez le lire ici.

(1) Depuis 2014, le nombre d’animaux d’expérience utilisés en Région wallonne a été fortement réduit, alors que les projets dans le secteur biopharmaceutique ont suivi une croissance constante.

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