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Comment retrouver sa concentration ?

Vous le sentez probablement: le monde a les nerfs à fleur de peau, les nouvelles vont et viennent très rapidement et le moindre stimulus détourne notre attention. Et non, ce n’est pas votre imagination qui vous joue des tours.

Une étude récente parue dans la revue scientifique Nature Communications effectuée par des chercheurs de l’Université technique du Danemark révèle que l’attention collective dans le monde diminue. En 2013, par exemple, une tendance sur Twitter durait en moyenne 17,5 heures ; en 2016, elle ne durait 11,9 heures.

C’est évidemment dû au tsunami d’informations qui nous submerge tous les jours, qui fait que nous savons à peine où regarder en premier. La quantité de stimuli qui nous parviennent chaque jour a quintuplé depuis les années 1980 et équivaut à 174 journaux par jour. « D’une part, le contenu devient de plus en plus volumineux, ce qui épuise notre attention, et d’autre part, notre soif de nouveauté nous fait basculer collectivement d’un sujet à l’autre », explique Philipp Lorenz-Spreen de l’Institut Max Planck pour le développement humain, qui a participé à l’étude.

Il n’est donc pas inconcevable que ce ping-pong collectif ait un impact sur la façon dont nous évaluons l’information comme individus. Dire que de nos jours notre concentration ne dépasse pas celle d’un poisson rouge serait excessif, mais il est clair qu’il y a un problème. Nous sommes toujours très occupés, mais faisons moins qu’avant.

Le time management se transforme en focus management

Le neuropsychologue néerlandais Mark Tigchelaar le constate également dans son cabinet, où il enseigne aux travailleurs à utiliser leur cerveau de manière à mieux gérer le flux d’informations, à mieux s’isoler des stimuli et à ne pas se noyer dans toutes sortes de projets. Tigchelaar leur apprend à se recentrer pour être plus présents dans leurs conversations privées et à prendre le contrôle de leurs pensées pour, par exemple, s’endormir plus facilement.

Mais par où commencer ? Dans son livre Aan/Uit (On/Off), l’expert brise une série de mythes. Il n’est pas vraiment nécessaire d’être physiquement isolé au travail ou de vérifier vos courriels une seule fois par jour. Cela n’est plus possible en ces temps difficiles. Même une échéance ne doit pas nécessairement faire partie intégrante d’une stratégie de concentration.

Au lieu de cela, Tigchelaar recommande de comprendre comment nos têtes fonctionnent. Car l’effet exercé par notre façon de travailler actuelle sur notre cerveau est pour le moins désastreux : chaque fois que nous sommes dérangés ou que nous faisons autre chose que la tâche actuelle, une partie de notre cerveau reste accroché à ce que nous faisons. Cela réduit temporairement notre QI. Même en jetant un coup d’oeil à notre courriel ou à notre téléphone, notre intelligence diminue temporairement de dix points et il faut au moins une minute à notre cerveau pour revenir à un niveau normal d’intelligence. « En d’autres termes : si nous recevons soixante e-mails par jour et que nous les lisons chaque fois qu’ils arrivent, nous passons une heure de notre journée de travail au niveau de pensée d’un enfant de 11 ans ».

Ces changements cognitifs nous empêchent également d’approfondir les choses. Il est donc important de minimiser le nombre de changements de l’attention. Mieux vous y arriverez, plus vous serez productif et moins vous serez stressé.

Tigchelaar distingue quatre fuites de concentration : trop peu de stimuli, trop de stimuli internes, trop peu de carburant et trop de stimuli externes.

Comblez le vide

Nos cerveaux sont conçus pour être utilisés de manière optimale et quand quelque chose est trop lent, trop simple ou trop ennuyeux, ils cherchent automatiquement des stimuli supplémentaires. Si le travail que vous faites est trop simple pour votre cerveau, vous êtes distrait. L’intelligence joue contre vous. Plus vous êtes intelligent, plus vite vous serez distrait.

Si vous voulez vous isoler de la distraction, vous devrez compenser l’absence de stimuli. Selon Tigchelaar, cela peut se faire, par exemple, en faisant plusieurs choses à la fois. Des études révèlent que faire des gribouillis lors d’un appel téléphonique lent ou ennuyeux augmente notre concentration de 29 %. Pourquoi ? Les gribouillis ne demandent qu’une petite quantité d’activité cérébrale, de sorte que vous pouvez très bien écouter ce qui se dit. D’un autre côté, il faut juste assez d’efforts pour bloquer les pensées distrayantes. Terminer une tâche tout en écoutant votre liste de lecture préférée (pas de nouvelle musique !) est un autre exemple pour combler le vide.

Jusqu’ici on pensait que pour rester concentré il fallait éviter de faire plusieurs choses à la fois. C’est dépassé, écrit Tigchelaar, qui souligne la différence entre le multitâche et le changement de tâche. Dans ce dernier cas, nous switchons en permanence entre deux ou plusieurs tâches telles que conduire et téléphoner par exemple (également en mains libres), ce qui n’est pas bon.

Votre tête n’est pas un bureau

Cependant, si l’on est distrait, ce n’est pas forcément parce qu’on accomplit une tâche trop ennuyeuse. Dans la moitié des cas où nous perdons notre concentration, c’est en fait à cause de nous-mêmes. Nous avons tendance à stocker des centaines de choses à faire et d’autres tâches dans notre tête, mais notre cerveau ne dispose que d’une capacité limitée et après un certain temps, nous perdons notre attention et nous nous fatiguons.

Ici aussi, l’intelligence est désavantagée. Ce sont précisément les plus instruits qui surchargent leur cerveau. Plus quelqu’un est intelligent, plus il a tendance à avoir des choses en tête. Mais cela a un prix.

La solution selon Tigchelaar ? Réintroduisez le stylo et le papier dans votre vie. Les psychologues appellent cela la  » distribution cognitive « . En écrivant littéralement vos pensées, vous créez, pour ainsi dire, un disque dur externe, une tête vide et un carnet de notes rempli. Une autre forme de distribution cognitive sont les routines. Elles nous permettent de moins utiliser notre tête. Et un quart d’heure passé à ruminer nous permet de sortir les irritations ou les doutes de notre tête.

Nos cerveaux ont aussi une préférence innée pour tout ce qui est nouveau. Surtout quand un projet devient un peu délicat, nous cherchons des informations sur Internet ou nous nous débarrassons rapidement de certains mails.

Le pull de Steve Jobs

Les spécialistes du marketing ont bien compris que notre cerveau est victime de toute cette surcharge. C’est pourquoi il y a toujours des barres chocolatées à la caisse d’un supermarché. « Après avoir décidé si nous voulons du fromage maigre ou entier, du riz ou des pâtes et quelle sauce pour pâtes est la plus délicieuse, notre cerveau est fatigué. Il est moins apte à résister à une petite tentation », explique Tigchelaar. Ce choix de stress, par exemple, a conduit à l' »uniforme » typique de Steve Jobs. D’un point de vue technique, il est judicieux de penser le moins possible aux choses quotidiennes et donc de toujours porter le même type de pull et de jeans. Parce qu’alors il y a plus de capacité cérébrale pour le vrai travail.

Il est également évident que lorsque nous sommes fatigués, notre cerveau ne fonctionne pas aussi bien qu’il le devrait. Comme les Occidentaux souffrent d’un manque de sommeil chronique, cela contribue également à notre manque d’attention croissant. Il est donc important de recharger notre cerveau de la bonne façon. Le mot de code est : pause. 5 minutes toutes les 25 minutes pour les tâches simples et 15 minutes toutes les 90 minutes pour les tâches plus complexes.

Traîner et rêvasser

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les pauses sont tout sauf une perte de temps. Le temps que vous perdez à prendre une pause est inférieur à la perte de productivité si vous continuez.

Faire une pause ne signifie pas regarder une vidéo sur YouTube ou faire défiler son fil Facebook, parce que ce n’est pas parce que vous faites quelque chose d' »amusant » que c’est une pause pour votre cerveau. Un exercice intensif après le travail indique toujours que vous êtes concentré. La meilleure pause ? Regarder par la fenêtre, bouger de manière décontractée, traîner et rêvasser. Bref, n’intégrez pas de nouvelles informations.

Tigchelaar plaide pour une journée de travail de six heures. Quand il s’agit de travail de connaissance, nous devrions être heureux si nous pouvons travailler quatre heures par jour à un certain degré de concentration. « Nous devons nous débarrasser de l’idée que faire de longues journées, c’est cool. Ce n’est pas le cas. Ça veut dire que vous n’êtes pas bien organisé. Ce n’est pas un hasard si tout le monde est fatigué à 17 heures précises. Quand on est épuisé, mieux vaut rentrer chez soi. Dans de nombreux cas, cela nécessite un revirement au sein de l’organisation. Les cadres ne devraient pas tenir compte du nombre d’heures de travail d’une personne, mais plutôt des résultats. C’est au siècle dernier qu’on regardait qui était présent, et pendant combien de temps. »

Sans cesse interrompus

Enfin, il y a ce satané open space. Idéal en théorie, un désastre complet en pratique. Curieusement, le trafic numérique dans un tel espace augmente d’environ 30% parce que les gens ont l’impression que tout le monde écoute s’ils veulent se concerter rapidement. Et si le collègue assis à côté de vous raconte son week-end en long et en large à un autre collègue, votre productivité diminuera de plus de 60 %. Cela signifie que nous avons besoin de presque une heure et demie de plus pour faire notre travail. Le travail intellectuel exige un environnement calme.

Mais selon Tigchelaar, vous ne vous rendez pas populaire auprès de vos collègues en vous isolant physiquement. Pour pouvoir travailler plus souvent sans interruption, il faut réarranger le travail : assurez-vous que votre tête soit libre de listes de tâches, car elles remplissent notre cerveau, de sorte que le cortex préfrontal supérieur, qui bloque les stimuli distrayants, a littéralement moins de place pour fonctionner correctement. Le fait de prendre peu de pauses signifie également que notre cortex préfrontal supérieur ne fonctionne pas aussi bien. Et un moyen facile d’augmenter votre productivité est de nettoyer votre bureau. Un bureau en désordre réduit votre concentration de 12 %. Concentration et minimalisme vont très bien ensemble.

De plus, vous n’avez pas besoin de fermer tous vos canaux numériques si vous voulez continuer à travailler. Expliquez clairement à vos collègues que vous n’avez qu’un seul canal pour les messages qui doivent être résolus ou traités dès maintenant, par exemple, par téléphone ou par SMS. Vous ne répondez pas aux messages des autres canaux.

Tétine pour adultes

De nos jours, écrire un livre sur la distraction sans aborder le problème de la dépendance au téléphone mobile et aux réseaux sociaux n’est plus envisageable. Tigchelaar attribue ce problème au fait que les applications sont conçues pour nous rendre dépendants. Là où en 2008, nous avions passé en moyenne 18 minutes par jour au téléphone, en 2018 le temps passé sur notre smartphone a grimpé à trois heures.

Ça aussi, c’est fatal pour la concentration. Vous prenez votre téléphone en vous réveillant le matin? C’est alors que vous entamez la spirale de la dopamine et cela signifie que vous devez faire plus d’efforts pour le reste de la journée afin d’être en mesure de travailler de façon ciblée. Après tout, une injection de dopamine donne à notre cerveau le besoin d’encore plus de dopamine, et même plus….

Consulter sans cesse notre téléphone a également un effet négatif sur notre bien-être à long terme. « Nous avons moins de contacts avec les autres, cela influence notre vie sexuelle, nous dormons moins bien, cela diminue notre productivité et c’est même lié au développement de sentiments dépressifs. Ce n’est guère réjouissant, mais nous continuons encore et encore à prendre notre téléphone », dit Tigchelaar, qui nous conseille de nous débarrasser lentement de cette  » tétine pour adultes « . Ce n’est pas facile, mais c’est un vrai soulagement quand on s’en sort », conclut-il.

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