La neuromodulation est appelée à se développer pour soigner les pathologies liées au cerveau. © getty images

Comment la stimulation électrique peut apaiser la douleur (voire être une alternative aux médicaments)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Surtout utilisée contre la douleur, la stimulation électrique revient en force. Les indications thérapeutiques sont nombreuses: dépression, TOC, schizophrénie, Parkinson…

Contrairement à un médicament, qui agit sur la composante chimique de la douleur, l’électricité opère directement sur la souffrance. Une sorte d’antalgique électrique. Basé sur le principe de la neuromodulation: à savoir la stimulation du système nerveux de manière indolore pour bloquer le message douloureux. Ce «coup de jus» renforce les mécanismes qui, naturellement, à l’intérieur du cerveau tentent de s’opposer à la douleur et à sa chronicisation – des mécanismes débordés en cas de douleurs chroniques.

L’intérêt de la neuromodulation? Sortir du «tout médicament» ou la substituer à un traitement auquel un patient répond mal, voire plus du tout. En effet, un médicament passe dans la circulation sanguine et exerce une action générale et non spécifique dans tous les synapses (qui assurent la transmission des informations entre deux cellules nerveuses). Il «tape large» et peut donc provoquer des effets secondaires, parfois graves. A l’inverse, la neuromodulation offre une action ciblée: elle permet de se concentrer sur les groupes de neurones responsables de la douleur. Reste à savoir comment atteindre ces neurones. En pratique, il existe plusieurs techniques.

Une stimulation invasive…

La plus spectaculaire, réservée pour l’heure à trop peu de patients, est la stimulation invasive. Bien qu’impressionnante, elle ne présente aucun risque particulier. Des électrodes sont implantées chirurgicalement (sans ouvrir la boîte crânienne ) dans le cerveau – ce qu’on appelle la stimulation cérébrale profonde ou corticale – ou dans la moelle épinière – la stimulation médullaire. Cette technologie neurochirurgicale bénéficie à des patients souffrant de la maladie de Parkinson. Concrètement, deux électrodes très fines, implantées dans le cerveau, viennent stimuler deux structures profondes, les noyaux subthalamiques, dont le rôle est crucial dans le contrôle de la marche et de la posture. Elles atténuent, chez les malades, les tremblements, les mouvements incontrôlés et la rigidité. La maladie continue cependant d’évoluer. De nouveaux troubles apparaissent souvent, ciblant la locomotion. «Des électrodes nouvelle génération sont à l’essai pour stimuler plusieurs points à la fois et gagner en efficacité», informe Steven Laureys, neurologue et directeur du Centre du cerveau au CHU de Liège, où ces traitements sont opérés.

L’intérêt? Sortir du «tout médicament» ou remplacer un traitement auquel un patient répond mal, ou plus.

En revanche, pour répondre à des douleurs neuropathiques dans les membres, c’est-à-dire dues à des nerfs abîmés par une chirurgie, un accident ou une maladie, la neuromodulation invasive donne d’excellents résultats. Sur cent patients implantés, entre 80% et 85% constatent un soulagement significatif. Ceux-là sont triés sur le volet et tous ceux qui souffrent de douleurs chroniques n’en profitent pas. Selon Steven Laureys, l’approche thérapeutique invasive est proposée «mais en dernier recours, à ceux en proie à des douleurs neuropathiques importantes et qui résistent aux médicaments. L’objectif est de la diminuer. Il est rare qu’elle disparaisse totalement.»

…et une non invasive

La seconde technique est non invasive et s’est développée, ces dernières années, en pratique clinique. Ici aussi, deux méthodes: la stimulation transcrânienne magnétique répétée (rTMS, utilisant l’énergie magnétique) ou à courant direct (tDCS). Les électrodes ne sont pas implantées dans le cerveau, juste posées à sa surface.

Développée depuis 1985, la rTMS, la plus utilisée, consiste à appliquer une bobine aimantée contre un point précis du crâne. Le but: moduler l’activité des neurones et d’un ensemble de réseaux cérébraux connectés avec la zone initialement stimulée. «Selon le type de stimulation, le fonctionnement de certaines régions du cerveau sera soit activé, soit inhibé, et c’est cette modulation temporaire qui aura un effet thérapeutique dans un grand nombre de maladies qui mettent en jeu le système nerveux central», précise Steven Laureys.

Les données scientifiques sont désormais robustes et, au sein de la communauté scientifique, un consensus existe sur les pathologies pour lesquelles la neuromodulation s’avère largement efficace. Au-delà des traitements des mouvements anormaux (dystonie) et des douleurs chroniques, ses indications sont nombreuses. Elle est ainsi appliquée au traitement des dépressions réfractaires (30% à 40% des patients ne répondent pas aux antidépresseurs) ou des hallucinations auditives dans la schizophrénie. Ou encore expérimentée pour le traitement des troubles obsessionnels compulsifs (TOC), certaines formes d’épilepsie et des céphalées.

Néanmoins, la technologie pâtit de sa lourdeur. L’appareil pèse cinq kilos, et il faut maintenir avec précision une bobine externe sur la tête du patient pendant 45 minutes. Elle oblige donc à rester immobile durant la séance. C’est quasi impossible et un opérateur doit régulièrement intervenir pour repositionner l’appareil. Son coût et sa précision restent aussi controversés (elle ne pénètre pas à plus de 1,5 à deux centimètres de la surface du cerveau). C’est pourquoi les chercheurs explorent, aujourd’hui, la piste des ultrasons, plutôt que l’électricité ou le champ électromagnétique. Encore faut-il calibrer précisément la fréquence, point sur lequel ils achoppent encore. Les basses intensités franchissent mieux la boîte crânienne, mais sont moins précises ; les hautes sont absorbées plus fortement mais peuvent créer des lésions.

On est à l’aube de nouvelles techniques et de l’amélioration des anciens procédés.

L’enjeu est donc de développer des techniques capables de traverser les os du crâne sans dégâts, même à hautes fréquences. Pour Steven Laureys, la neuromodulation pourrait bien devenir un formidable outil pour soigner les maladies liées au cerveau. «On est à l’aube de nouvelles techniques et de l’amélioration des anciens procédés. Le défi majeur reste d’offrir la technique à un plus grand nombre de patients.»

Sur la peau

Autre technique faisant appel à l’électricité, la neurostimulation transcutanée est de plus en plus administrée hors clinique, notamment dans la prise en charge des douleurs liées à l’endométriose, aux migraines et aux sciatiques. Non invasif, le Tens (Transcutaneous ElectricalNerve Stimulation) est un petit appareil qui peut être prescrit par les médecins algologues (spécialistes de la douleur). Par l’intermédiaire d’une ou deux paires d’électrodes collées sur la peau, il délivre des impulsions électriques indolores et de faible intensité sur une zone douloureuse ou sur le trajet d’un nerf. Lesquelles activent des fibres nerveuses rapides, de plus gros calibres que celles utilisées pour véhiculer la douleur. Le message perçu par le cerveau est celui des fourmillements délivré par le Tens, masquant ainsi la douleur. Le patient déclenche lui-même la stimulation lorsque la douleur devient trop forte.

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