Cancer de la peau: pourquoi les bancs solaires sont-ils toujours autorisés? (infographie)

Celine Bouckaert Journaliste au Vif
Eglantine Nyssen Journaliste au Vif, multimedia editor

À l’heure où le nombre de cancers de la peau explose, les bancs solaires, dont on sait depuis longtemps que les rayons sont extrêmement nocifs, sont toujours autorisés. Comment expliquer qu’ils n’aient pas encore été interdits? Décryptage.

L’usage des bancs solaires, développés dans les années 1960, s’est répandu dans les années 1980. En 2015, 14% de la population belge a utilisé un banc solaire. Depuis, ce chiffre a baissé. Selon les derniers chiffres de Kom Op Tegen Kanker (2022), 8% des Belges seraient encore adeptes du solarium.

Spécialiste en prévention UV pour la Fondation contre le Cancer, Brigitte Boonen estime que ce chiffre est trop élevé. « L’utilisation diminue effectivement, mais ce chiffre reste élevé par rapport à d’autres pays. Non seulement la Belgique n’est pas le pays le plus ensoleillé d’Europe, mais la présence importante de bancs solaires a aussi une influence », explique-t-elle.

Selon la Fondation contre le Cancer, les utilisateurs de bancs solaires courent 20% de risques supplémentaires de développer un mélanome, le cancer de la peau le plus agressif. Pour les moins de 35 ans, ce chiffre atteint les 59%. Le Centre international de recherche sur le cancer place le banc solaire dans la catégorie de risque le plus élevé, la même que l’amiante et le tabac.

Le cancer de la peau est la forme de cancer la plus courante en Belgique (40% des cancers). On estime qu’une personne sur cinq sera confrontée à ce type de cancer avant l’âge de 75 ans.  La  grande majorité d’entre eux sont liés à l’exposition au soleil et à l’utilisation de bancs solaires.

Idées fausses

Même si, selon le Conseil supérieur de la Santé, 94% de la population belge connaît les effets cancérigènes du banc solaire, les idées fausses continuent à circuler. Ainsi, 40% des Belges pensent que l’utilisation du banc solaire permet d’éviter les coups de soleil. D’après une étude de l’Association de recherche et d’expertise des organisations de consommateurs réalisée auprès de 1703 Belges, seuls 33% d’entre eux savent que l’utilisation des bancs solaires est encore plus nocive auprès des jeunes.

Les chercheurs constatent d’ailleurs que ce sont justement les personnes de moins de 35 ans qui recourent le plus souvent au banc solaire. En moyenne, les usagers se rendent pour la première fois dans un solarium à l’âge de 24 ans.  Et malheureusement, le type de peau semble n’avoir que peu ou pas d’influence sur leur comportement. Les chercheurs constatent toujours une utilisation importante des bancs solaires parmi les utilisateurs de type de peau 1 (les utilisateurs qui ont la peau très claire, souvent avec des taches pigmentées, les cheveux roux ou blond clair et les yeux clairs) et de type de peau 2 (ceux qui ont la peau claire, les cheveux blonds et les yeux gris, verts ou bleus).

En 2017, le Conseil supérieur de la Santé a préconisé une interdiction des bancs solaires ainsi que de tous les dispositifs émettant des UV artificiels accessibles au public. Il souligne qu’il est prouvé que « les UV, y compris ceux émis par les bancs solaires,  induisent  des  cancers  de  la  peau  ainsi  que  d’autres  maladies  cutanées et oculaires ». Même si les bancs solaires favorisent la production de vitamine D, les risques sont plus importants que les avantages.

La Belgique n’a pas suivi cet avis, mais a tout de même durci sa réglementation. L’utilisation est en principe interdite aux personnes à la peau de type 1. Le banc solaire est également proscrit pour les mineurs, les personnes qui ont eu un cancer de la peau et celles qui prennent des médicaments augmentant la sensibilité aux rayons UV.

Dermatologue à l’hôpital Erasme et présidente de l’association Euromelanoma, Véronique del Marmol estime qu’il est très difficile de faire respecter ces conditions. Pour elle, les personnes qui tiennent absolument à se rendre dans un solarium devraient demander un pass à leur dermatologue afin d’être sûres qu’ils ne présentent pas de risques accrus de s’exposer. Elles devraient présenter celui-ci avant toute séance de bronzage. Quant aux contrôles sur les bancs solaires, ils sont loin d’être suffisants, estime Brigitte Boonen. « Avant la pandémie de Covid, seuls 2% des bancs solaires en Belgique étaient contrôlés. Certaines années, seulement 12% d’entre eux étaient en ordre ».

Un lobby très fort

Comment se fait-il que les bancs solaires soient toujours autorisés ? « Nous sommes face à un lobby très fort. Les grandes marques d’électronique ont tout avantage à continuer à vendre des lampes solaires », explique Véronique del Marmol. « L’utilisation du banc solaire en Belgique a été extrêmement étendue. C’est facilement de l’ordre de 40% des jeunes femmes qui ont fait du banc solaire dans leur vie », ajoute-t-elle.

Brigitte Boonen se bat pour faire interdire les bancs solaires. Elle lutte aux côtés de la Fondation contre le cancer, Euromelanoma, et la Ligue européenne contre le cancer pour convaincre les autorités de les proscrire. Elle explique qu’à chaque changement de ministre, elle doit recommencer sa campagne. « À chaque fois, les cabinets nous répondent qu’ils doivent s’entretenir avec les secteurs ».

La spécialiste en UV accuse les lobbyistes du secteur de proférer des mensonges. « Comme les bancs solaires relèvent du département d’économie, il y a un conflit avec la santé. On nous dit que le secteur des bancs solaires représente un chiffre d’affaires important et emploie aussi du personnel. C’est excessif, car la moitié des bancs solaires sont placés chez des esthéticiennes, des hôtels ou des centres de sport, des endroits où les bancs solaires ne représentent pas une grande part de leurs revenus. Il y a quelques chaînes pour qui c’est très important, mais ces dernières travaillent avec des lobbyistes », ajoute Brigitte Boonen.

Au niveau européen, les bancs solaires sont considérés comme des appareils à basse tension, appartenant à la même catégorie que les grille-pain ou les sèche-cheveux. « On ne se rendait pas compte qu’il s’agissait d’un appareil cancérigène. Aujourd’hui, cette prise de conscience existe, mais il faudrait que cet appareil soit considéré comme un appareil médical », estime Brigitte Boonen. « L’interdiction des bancs solaires n’est pas considérée comme une priorité comme l’alcool ou le tabac », ajoute-t-elle en précisant que le cancer de la peau tue tout de même 450 personnes par an en Belgique.

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