Dès la première année de vie, le cerveau commence à sélectionner les connexions utiles tout en éliminant celles jugées superflues. © GETTY

Pourquoi on ne commence à se sentir adulte qu’à partir de 29 ans: analyse de l’enfance, cette spécificité très humaine

Dirk Draulans Dirk Draulans est journaliste pour Knack.

La plupart des gens se sentiraient véritablement adultes à partir de l’âge de 29 ans. On le deviendrait même plus tard que nos ancêtres. L’évolution du cerveau n’y serait pas pour rien.

Un être humain moyen passe environ un quart de sa vie sous une forme immature. C’est exceptionnel, selon les normes du règne animal. Une enfance prolongée rend donc les humains uniques, même en comparaison avec d’autres primates. Certes, certains animaux passent beaucoup plus de temps à l’état juvénile qu’à l’état adulte. Mais ces cas concernent souvent des cycles de vie spécifiques, comme ceux des papillons et des libellules. Chez ces espèces, les formes juvéniles –chenilles et larves– ne peuvent être considérées comme des versions en croissance des adultes. Ce sont des organismes totalement distincts, dont le seul but est de consommer de la nourriture et d’accumuler de l’énergie. La reproduction est déléguée à la phase adulte, qui survient après la métamorphose et se limite rarement à la période strictement nécessaire pour s’accoupler et pondre des œufs.

Chez l’humain, comme chez beaucoup d’autres animaux, la croissance est un processus continu. Biologiquement, elle se déroule de la même manière partout dans le monde. Même si des différences culturelles jouent un rôle significatif. Dans les sociétés occidentales, on considère officiellement qu’une personne devient adulte à 18 ans. Ailleurs, les enfants sont souvent contraints d’abandonner plus tôt leur enfance pour devenir utiles à la communauté. Le travail des enfants reste une pratique courante dans certaines régions, tout comme les mariages précoces, malheureusement.

La plupart des enfants atteignent la maturité sexuelle avant leurs 18 ans, mais la croissance du squelette ne s’achève qu’à 25 ans. Quant au développement cérébral, il continue même au-delà de cet âge. Depuis que les scientifiques ont découvert que le cerveau adulte peut produire de nouveaux neurones, le concept d’«apprentissage tout au long de la vie» est mieux accepté d’un point de vue biologique.

Se marier plus tard

Il existe une tendance croissante des individus à retarder leur passage définitif à l’âge adulte, ce qui inclut des étapes comme le mariage et la parentalité. Plus une société ou un groupe social devient confortable, plus ses membres tendent à prolonger la phase d’apprentissage et de développement. Aujourd’hui, il est courant de constater que nombre de «jeunes adultes» reviennent vivre chez leurs parents après une période d’indépendance relative, comme lors de leurs études. Ce phénomène s’explique surtout par des raisons économiques: vivre seul coûte cher. Dans la nature, on observe des exemples similaires, comme chez les manchots, où certains jeunes, apparemment précipités dans leur indépendance, retournent vers leurs parents lorsqu’ils ne parviennent pas à survivre seuls. Toutefois, ces cas restent des exceptions.

Le magazine New Scientist a résumé les connaissances actuelles sur le processus de maturation des premiers humains. Les recherches indiquent qu’il y a environ trois millions d’années, au début de l’hominisation, l’enfance commençait déjà à s’allonger par rapport à celle de nos plus proches cousins actuels, les chimpanzés. Les jeunes enfants humains avaient alors un cerveau plus petit que les chimpanzés du même âge, bien que les adultes présentaient déjà des cerveaux significativement plus développés. Avec l’apparition de l’Homo erectus il y a environ deux millions d’années, la période de l’enfance s’était encore prolongée. Enfin, avec l’Homo sapiens, il y a environ 300.000 ans, l’humanité a commencé à développer un cheminement vers l’âge adulte encore plus lent et prolongé. Ce processus d’allongement de l’enfance semble intrinsèquement lié à l’évolution humaine et à l’essor des capacités cognitives complexes qui nous définissent aujourd’hui.

Une grossesse adaptée

Un facteur crucial dans la prolongation préhistorique de notre enfance semble avoir été la nécessité des naissances prématurées. Avec l’augmentation progressive de la taille de notre cerveau, un «goulot d’étranglement» est apparu au moment de l’accouchement: la tête d’un bébé risquait de devenir trop grande pour passer par le canal pelvien de la mère. Pour contourner ce problème, les naissances ont été avancées. A titre de comparaison, les nouveau-nés chimpanzés pourraient être assimilés à de jeunes enfants humains, tandis que les nourrissons humains naissent dans un état de totale dépendance.

Une étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences suggère que ce processus d’adaptation de la grossesse a probablement débuté il y a six millions d’années. Les chercheurs décrivent la première année de vie d’un bébé humain comme une «seconde grossesse» pour la mère, en raison de l’extrême dépendance du nourrisson.

On pourrait s’attendre à ce qu’un enfant, une fois né et libéré des contraintes du goulot d’étranglement, connaisse une poussée de croissance rapide pour combler son retard. Ce n’est pas le cas. Cela s’explique par le fait que nous vivons dans des systèmes complexes nécessitant du temps pour les assimiler. Nous devons apprendre énormément pour fonctionner de manière «normale» dans la société. Le cerveau permet de mener des vies complexes, mais cela a des conséquences majeures sur la manière de grandir.

Le cerveau supprime volontairement sa capacité de rappel actif pour économiser de la puissance de calcul.

Il est curieux de constater que nous ne gardons quasiment aucun souvenir de nos trois premières années de vie. Cela peut sembler absurde, car on pourrait considérer cela comme une perte d’opportunités d’apprentissage. Une analyse publiée dans Science suggère que les rares souvenirs de cette période sont souvent des artefacts créés par des photos ou des récits parentaux. Au départ, les scientifiques pensaient que le cerveau des nourrissons et des jeunes enfants était incapable de former et de consolider des souvenirs. Pourtant, cette hypothèse a été réfutée. Des enfants âgés d’1 an et demi peuvent retenir des informations pendant au moins six mois. Cependant, ces souvenirs finissent par être oubliés.

Les recherches montrent que ces souvenirs restent stockés quelque part dans le cerveau, mais ils deviennent inaccessibles. L’hypothèse actuelle est que le cerveau supprime volontairement sa capacité de rappel actif pour économiser de la puissance de calcul. Les jeunes enfants sont exposés à une avalanche de nouvelles informations; il est donc bénéfique de filtrer ce qui peut être retenu. Même les enfants en âge scolaire ont encore des difficultés à maintenir leur mémoire à long terme à un niveau constant.

Elagage cérébral

Point important: toutes les parties du cerveau ne mûrissent pas à la même vitesse. Plus les zones cérébrales sont modernes –et donc humaines– plus leur développement complet est tardif. Bon nombre des capacités spécifiquement humaines se situent dans le cortex, particulièrement dans le cortex préfrontal, qui joue un rôle crucial dans la régulation des décisions prises, notamment en intervenant activement sur les émotions primaires générées dans des zones cérébrales plus «primitives» telles que l’amygdale.

Les zones les plus récentes sur le plan évolutif sont extrêmement flexibles et malléables durant une grande partie de l’enfance, et ce, jusqu’à bien après la vingtaine. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles l’enfance a une influence aussi déterminante sur la manière dont chacun se sent et agit à l’âge adulte.

Un autre aspect clé d’un bon fonctionnement cérébral réside dans l’«élagage» des connexions entre les cellules nerveuses. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, tout le monde naît avec bien plus de connexions neuronales que nécessaire. Dès la première année de vie, un tri s’opère entre les connexions utiles et superflues, ces dernières étant systématiquement désactivées. Ce processus d’optimisation se poursuit longtemps, jusqu’à la trentaine passée. Même au-delà, le cerveau conserve une certaine capacité à apprendre et à s’adapter. On n’est donc jamais trop vieux pour apprendre, bien que cela devienne de plus en plus difficile. Le cerveau ne devient véritablement rigide, enfermé dans les expériences passées et les souvenirs sélectionnés, qu’à un âge avancé.

Cependant, certaines zones cérébrales commencent à faiblir tôt, parfois dès la trentaine ou la quarantaine. Cela concerne principalement les régions impliquées dans la mémoire immédiate et la capacité de résolution de problèmes. Ce phénomène s’accorde avec l’idée qu’au cours de la Préhistoire, à partir de 30 ou 40 ans, la vie reposait davantage sur la routine, ce qui nécessitait moins de traitement de nouvelles informations majeures.

Statut et hiérarchie

Durant l’adolescence, les individus continuent d’agir de manière fondamentalement différente des adultes. Selon une étude publiée dans Nature Communications, cela peut être résumé ainsi: le cerveau des adolescents n’est pas encore capable de distinguer clairement ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Cela explique, entre autres, pourquoi de nombreux jeunes comprennent que les examens sont cruciaux, mais ne traduisent pas cette prise de conscience en efforts suffisants. Cela éclaire également leur propension à adopter des comportements à risque, surtout lorsqu’ils cherchent à impressionner leurs pairs du même âge.

Apprendre à gérer le statut et la hiérarchie constitue un aspect essentiel de l’adolescence. Si beaucoup de jeunes sont perçus comme «rebelles», la plupart cherchent en réalité à se conformer à ce qui est d’usage dans leur groupe. Cette dynamique est aussi à l’origine des comportements de harcèlement que les adolescents affichent parfois, souvent sous l’influence de soi-disant leaders. Ces derniers, confrontés à des problèmes familiaux, tentent de transcender leurs frustrations en adoptant une attitude agressive envers des camarades perçus comme différents et, par conséquent, vulnérables.

Plus une société est confortable, plus ses membres tardent à quitter la phase d’apprentissage et de croissance.

Enfant unique

Les enfants uniques, longtemps considérés comme «différents», ont souvent été stigmatisés. Ils sont encore fréquemment perçus comme gâtés, égoïstes ou névrosés. Selon New Scientist, cette image découle en partie du fait que, dans l’histoire de l’humanité, les familles avec un seul enfant étaient rares et souvent associées à des problèmes de santé. Au XIXe siècle, un psychologue pour enfants renommé aurait même déclaré que «le fait d’être enfant unique est une maladie en soi.»

Mais les temps ont changé. Depuis les années 1970, le nombre de familles européennes ayant un seul enfant a augmenté de manière continue. Aujourd’hui, près de la moitié d’entre elles auraient un enfant unique, en partie pour des raisons économiques, en partie pour des raisons personnelles: les parents ne souhaitent plus consacrer tout leur temps à l’éducation de leur progéniture. Parallèlement, des recherches comparatives ont examiné l’impact du nombre de frères et sœurs sur le développement des enfants.

Il y a cinq ans, une méta-analyse publiée dans Social Psychological and Personality Science a conclu qu’il n’existait pas de différences notables de caractère, comme une tendance au narcissisme, entre les enfants uniques et ceux ayant des frères et sœurs. Plus récemment, une étude parue dans Current Opinion in Psychiatry a démontré que les enfants uniques sont généralement aussi heureux et satisfaits de leur vie que les autres enfants. Ils seraient même moins sujets aux troubles de santé mentale, tels que la dépression et l’anxiété, et se sentiraient moins souvent seuls que bon nombre d’autres enfants.

La solitude, contrairement à ce que beaucoup pensent, est moins liée à l’absence de compagnons qu’à la qualité des interactions et au sentiment de compréhension. D’ailleurs, grandir avec des frères et sœurs n’est pas toujours une bénédiction. Cela peut engendrer davantage de compétition que de coopération, ce qui peut influencer le comportement à l’âge adulte.

Aujourd’hui, les familles nombreuses sont souvent des familles modestes. Grandir dans la pauvreté, avec tout ce que cela implique –une alimentation moins saine, une exposition accrue à l’agressivité– peut avoir des conséquences durables sur la vie future. De nombreuses études confirment que le degré de confort matériel durant l’enfance, et surtout durant l’adolescence, a une influence significative sur la probabilité de rencontrer des problèmes judiciaires ou autres à l’âge adulte.

L’âge auquel on se considère comme adulte varie selon les individus. © GETTY

Salamandre

Des recherches, comme celle publiée dans l’International Journal of Behavioral Development, concluent que la plupart des individus se sentent véritablement adultes à partir de 29 ans. Ce processus débute généralement à 18 ans, l’âge officiel de la majorité, mais la perception de soi comme adulte varie considérablement d’une personne à l’autre. Un adage populaire affirme d’ailleurs que certaines personnes ne deviennent jamais vraiment adultes. Cela reviendrait à une extension extrême de l’enfance.

Dans la nature, certaines espèces animales restent figées dans leur état juvénile. L’axolotl, une grande salamandre originaire du Mexique, en est un exemple frappant. Tout au long de sa vie, elle conserve des caractéristiques juvéniles, comme des branchies, tout en étant capable de se reproduire. Sans pour autant transposer de manière irraisonnée cette observation, certains n’hésitent pas à dire que cela pourrait à l’être humain…

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