« Génération Tanguy » : pourquoi les jeunes Belges tardent de plus en plus à quitter le nid parental

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

L’âge moyen auquel les jeunes Belges quittent le cocon familial ne fait que reculer au fil des années. Les hommes, en particulier, sont plus enclins à prolonger la cohabitation avec leurs parents. A l’échelle européenne, ce sont principalement les pays des Balkans et du Sud qui hébergent le plus de « Tanguy ».

C’est un pourcentage en perpétuelle augmentation. En dix ans, la part des jeunes entre 25 et 34 ans qui résidaient encore chez leurs parents a explosé en Belgique, passant de 13,7% en 2010 à 21% en 2019. Avec cette hausse de plus de 7 points, le pays connaît ainsi une des augmentations les plus marquées de toute l’Union européenne, pointe un rapport d’Eurofound publié le 31 mai.

Avec un âge moyen pour quitter le cocon familial qui s’établit à 26,3 ans, la Belgique fait tout de même légèrement mieux que la moyenne européenne (26,4 ans), mais se classe bien loin derrière ses voisins néerlandais (23 ans), français (23,4 ans) ou allemands (23,8 ans). Comment expliquer une telle tendance ?

Loin des clichés du célèbre « Tanguy », incarné par Eric Berger dans la comédie française aujourd’hui devenue culte, les raisons qui poussent les jeunes Belges à prolonger la cohabitation avec leurs parents sont avant tout financières.

Une précarité grandissante

D’une part, l’allongement généralisé des études prolonge logiquement la période de dépendance économique des jeunes, relève Jacques Marquet, sociologue de la famille à l’UCLouvain.

D’autre part, l’insertion des jeunes sur le marché du travail se fait de plus en plus tard, et dans des conditions parfois loin d’être idéales (contrats précaires, flexi-jobs…). « Le taux d’emploi chez les moins de 25 ans est très faible en Belgique, et celui des 25-30 ans n’est pas davantage extraordinaire, souligne le professeur en sociologie. Rester chez ses parents plutôt que s’installer seul dans de telles conditions permet, outre l’économie d’un loyer, de profiter d’économies d’échelle (repas, charges communes…). » Plusieurs décisions politiques pour limiter le coût du sous-emploi, notamment l’allongement du stage d’attente pour bénéficier des allocations de chômage décrété en 2012, ont encore compliqué l’autonomisation financière des jeunes.

« Entre le Tanguy de la réalité et le Tanguy du film, il y a une différence plus que significative »

Cette tendance s’explique aussi par la flambée des prix de l’immobilier, ces dernières années. Dans certaines grandes villes du pays, l’achat d’un bien, voire même l’insertion sur le marché locatif, sont devenus des privilèges que peu de jeunes peuvent s’offrir. « Aujourd’hui, acquérir un bien immobilier est presqu’une utopie si l’on ne dispose pas de deux salaires généreux », pointe Jacques Marquet.

Liberté affective et sexuelle

Ces difficultés économiques, exacerbées par la pandémie de coronavirus et l’inflation généralisée, sont sans conteste les raisons principales qui empêchent les jeunes de voler de leurs propres ailes, bien loin devant la recherche d’un certain confort. « Entre le Tanguy de la réalité et le Tanguy du film, il y a une différence plus que significative », insiste Jacques Marquet. Et de souligner : « Dans certains milieux défavorisés, il arrive même que le « Tanguy » soit un contributeur essentiel aux revenus du foyer, sans lequel la famille – parfois monoparentale – peinerait à joindre les deux bouts. »

A ces explications financières viennent également s’ajouter des évolutions culturelles, notamment la latitude grandissante laissée aux jeunes vivant au sein du foyer. « Il y a trois, quatre décennies, la tradition voulait que tant qu’on était sous le toit familial, on devait respecter l’autorité du père. Il y avait beaucoup moins de liberté pour les relations amoureuses et sexuelles des jeunes, illustre Jacques Marquet. Aujourd’hui, les mentalités ont évolué. Il est désormais possible de disposer d’une autonomie relativement grande sur le plan affectif, tout en restant dépendant sur le plan économique. La corrélation entre ces deux composantes était beaucoup plus importante avant. »

Plus de Tanguy que de Tanguette

Si l’âge auquel les jeunes déménagent de chez leurs parents évolue d’année en année, une constante se dégage : les femmes quittent toujours le cocon familial avant les hommes. En Belgique, les filles ont en moyenne 25,6 ans quand elles coupent le cordon, contre 27 ans pour les garçons. Une tendance qui se vérifie dans tous les pays européens.

Pour Jacques Marquet, cet écart s’explique principalement par le différentiel d’âge entre les deux membres d’un couple hétérosexuel. « Quand les jeunes quittent le foyer parental, c’est majoritairement pour habiter en couple, même si la colocation se développe de plus en plus aujourd’hui, explique le sociologue. Dans la plupart des couples qui s’installent ensemble pour la première fois, l’homme reste en général entre un an et demi et deux ans plus âgé que sa compagne. C’est une constante au travers des générations, même si des différences s’observent d’un milieu social à l’autre. »

Dans son ouvrage Le Couple et l’argent (L’Iconoclaste, 2022), la journaliste Titiou Lecoq avançait également deux autres explications : la volonté, pour les jeunes femmes, de ne pas peser économiquement sur les parents ainsi que de s’affranchir plus rapidement du contrôle social de ces derniers.

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