Pourquoi les hommes sont moins satisfaits de leur vie sexuelle… alors qu’ils jouissent davantage

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Six Belges sur dix s’affirment satisfaits de leur vie sexuelle. Les femmes se déclarent davantage satisfaites de leur vie sexuelle… alors qu’elles jouissent beaucoup moins fréquemment que les hommes. Le monde à l’envers ? 

Les hommes hétéros baisent mal. » Voilà. Ovidie pose ça là, dans son livre La Chair est triste hélas (1), en librairie depuis mars dernier. Nul ne peut lui reprocher de parler sans savoir, elle, l’ancienne militante prosexe, passée devant et derrière les caméras de l’industrie pornographique. Jusqu’à perdre tout intérêt pour la copulation (du moins, avec des partenaires mâles). « J’ai arrêté », écrit-elle. Parce qu’elle a « repensé à ces innombrables rapports auxquels [elle s’était] forcée par politesse, pour ne pas froisser les ego fragiles. A toutes les fois où [son] plaisir était optionnel. […] A tous ces sacrifices pour rester cotée à l’argus sur le grand marché de la baisabilité. […] Cette servitude volontaire à laquelle se soumettent les femmes hétérosexuelles, pour si peu de plaisir en retour. »

Bam ! Nouveau coup de boutoir contre le cul. Après Mâles baisées, de l’influenceuse Dora Moutot (Trédaniel, 2021), Réinventer l’amour, de la journaliste Mona Chollet (La Découverte, 2021), Petit guide pour une sexualité féministe et épanouie, du collectif Osez le féminisme (First, 2021), Petit manuel de sexe féministe, de l’écrivaine britannique Flo Perry (First, 2020), Jouir. En quête de l’orgasme féminin, de l’autrice canadienne Sarah Barmak (Zones, 2019)… Sans oublier – bim ! – tous ces comptes Instagram ayant pour fonds de commerce le (dés-)apprentissage du sexe ; milliers de followers assurés.

Bref : boum ! La sexualité de papa implose. Encore un coup des féministes (ou des wokes ; l’appellation varie), brandissant leur clitoris et leur droit à la jouissance. Enfin. Après des siècles de pénétrations autocentrées. Sous-entendu : d’insatisfaction féminine.

Insatisfaction ? Les enquêtes s’immisçant sous la couette se révèlent assez rares. Alors, dans ce contexte de remise en cause, Le Vif a posé la question en mars dernier à un échantillon de 1 046 Belges, âgés de 16 à 75 ans (2). Sinon, ça va, vous, les parties de jambes en l’air ? En fait : oui. (Fort) bien. En tout cas pour 61,1 % des répondants ayant eu au moins un rapport sexuel au cours des six derniers mois (20,2 % se déclarant très satisfaits et 40,9 % plutôt satisfaits). Finalement, à peine 3,5 % ne se sentent pas du tout épanouis et 12,2 % le sont « plutôt pas ».

Les hommes, plus mécontents de leur sexualité

Que ces messieurs affirment leur contentement, eux qui, selon les féministes, auraient le monopole de la jouissance, passe encore. Mais que ces dames acquiescent ? Plus surprenant ! D’autant qu’elles semblent même plus comblées que leurs congénères (64,1 % contre 58,6 %). Effet miroir, côté insatisfaits : 19,7 % d’hommes, pour 11,3 % de femmes.

« L’insatisfaction est davantage masculine », confirme Jacques Marquet, sociologue à l’UCLouvain, spécialiste de la famille, du genre et de la sexualité. L’explication se trouverait dans « l’importance que prend la sexualité chez les individus » : souvent moins centrale chez les femmes que chez les hommes. Autrement dit, quelqu’un ne pensant pas à « ça » à longueur de journée et n’ayant plus aperçu d’organe génital depuis belle lurette peut parfaitement le vivre. A la Ovidie. « La question à poser est : “La sexualité est-elle importante pour la personne ?”, estime Françoise Adam, sexologue et chargée de cours à l’ULiège. Si celle-ci a intégré, par ses expériences passées ou son éducation, que ce n’était pas un aspect central de sa vie, elle peut tout à fait être satisfaite. » Et inversement.

Mais pour beaucoup, épanouissement rime apparemment avec souvent : les Belges qui s’affirment les plus heureux au lit sont aussi ceux qui s’y glissent le plus régulièrement. Soit ceux qui certifient s’envoyer en l’air au minimum une fois par semaine. Ce qui serait la réalité pour 54,9 % des répondants (pour 4,4 % d’entre eux, le rythme est même quotidien, et ce avec un autre partenaire que leur propre main). Tandis que 31,5 % pratiquent une à deux fois par mois, 6,4 % une fois tous les quelques mois. Cela devient moins récurrent pour 3,8 %. Des résultats similaires à deux autres études. « Faire l’amour une fois par semaine est devenu une sorte de norme, ce qui crée des attentes, constate Sarah Galdiolo, professeure de psychologie clinique à l’UMons et thérapeute. Ce qui peut générer de la souffrance, lorsqu’on s’en éloigne. Est-on réellement satisfait… ou juste satisfait de se sentir dans la norme ? »

C’est en forgeant…

Quantité, fort bien. Mais quid de la ­qualité ? Là aussi, ça irait : 76,6 % des interrogés déclarent atteindre l’orgasme (toujours pour 28,9 %, presque toujours pour 34,4 %, plus de la moitié du temps pour 13,3 %) contre seulement 5,5 % qui n’y parviendraient jamais. Là encore, ceux qui pratiquent le plus sont aussi ceux qui s’extasient le plus souvent. C’est, après tout, en forgeant qu’on devient forgeron…

Mais (car il y a un mais important) : les forgeronnes galèrent davantage. Moins de la moitié (48,3 %) jouissent toujours (18,4 %) ou presque (29,9 %), à la différence de 76,8 % des hommes (38,4 % toujours, 38,4 % presque). « L’étude Sexpert-studie (NDLR : réalisée en 2013 en Flandre) avait dévoilé que 90 % des hommes atteignaient toujours l’orgasme, contre 50 % des femmes », rappelle Françoise Adam. Coucou le « fossé orgasmique », ce concept cher aux féministes. Qui, avec leurs revendications à la jouissance, ne sont peut-être finalement pas hors-sol.

Car, en résumé : les femmes prennent moins leur pied… mais s’en satisfont davantage. Probablement car elles accordent moins d’importance à la bagatelle, toutes éduquées qu’elles sont dans l’idée qu’elles ne doivent point trop consommer. « Quand on demande aux hommes combien de partenaires sexuels ils ont eu, ils ont tendance à exagérer, par exemple en incluant des personnes avec qui ils n’ont échangé que caresses ou baisers. Tandis que les femmes ont tendance à éliminer ce qui n’aurait pas compté, expose Jacques Marquet. Chacun des deux sexes essaie de se conformer à ce qu’on attend de lui. » Combien de « mâles baisées » qui s’ignorent ?

(1) La Chair est triste hélas, par Ovidie, Julliard, 160 p.

(2) Enquête réalisée par l’institut Kantar entre le 31 janvier et le 9 février 2023. L’intervalle de confiance est de 3,1 %.

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