Carte blanche

Bois de la Cambre: fait du prince plutôt qu’évolution concertée ? (carte blanche)

Une circulation à double sens automobile dans le Bois de la Cambre permettra de relier l’avenue Louise à De Fré. Une formule testée du 14 septembre au 15 novembre.

Une carte blanche de Jean-Paul Wouters, ingénieur-directeur honoraire de Bruxelles-Mobilité, administrateur du Comité de quartier Fond’Roy et cycliste quotidien

Le Bois de la Cambre, important poumon vert du Sud de Bruxelles, constitue un espace de loisirs, de promenades. Mais il est aussi traversé par différents axes routiers de communication Nord-Sud reliant Uccle au centre de Bruxelles, et Est-Ouest reliant Uccle à Watermael-Boitsfort et Ixelles. Ces axes sont également empruntés par de nombreux navetteurs provenant de Rhode ou Waterloo.

Les avenues Defré, Churchill, Louise et la drève de Lorraine convergent vers le Bois. Le trafic a , au fil du temps, transformé les anciennes allées cavalières en forme de huit (boucle Nord et boucle Sud) en un important noeud de circulation automobile, avec des voitures qui circulent souvent à vitesse excessive.

Cette situation de pollution par le trafic s’amplifie depuis des décennies, sans que des mesures efficaces aient été mises en oeuvre : RER dans un coma prolongé ; chaussée de Waterloo continuellement encombrée ; bus 41, TEC, De Lijn peu capacitaires et englués dans la circulation.

La fermeture du Bois durant le confinement et sa réouverture partielle

Durant le confinement, le bois a été entièrement fermé au trafic automobile afin d’offrir un espace vert sans entraves aux Bruxellois confinés.

Depuis le 28 mai, la boucle Nord du Bois a été rouverte selon la réglementation qui était antérieurement en vigueur les week-ends et jours fériés. Mais la boucle Sud est restée fermée.

Avec la reprise du trafic depuis juin, la fermeture de cette partie Sud, engendre d’importantes difficultés au niveau de la drève de Lorraine et la chaussée de La Hulpe, en raison des véhicules en provenance du Sud d’Uccle et de la périphérie. Ces encombrements se reportent sur la chaussée de Waterloo, les avenues De Fré et Roosevelt. La tache d’huile de la congestion atteint des axes secondaires parallèles comme les avenues Fond’Roy, rue du Ham, avenue Houzeau, rue Edith Cavell, avenue Hamoir (école), avenue de la Floride, avenue Montjoie (école), rue Gossart et Dodonée , avenue Molière, rue Lincoln et Tenbosch . Les quartiers résidentiels bordant le bois sont soumis à des débits de fuite avec son cortège de nuisances (pollution de l’air, pression automobile, bruit, insécurité).

Le serpent se mord la queue, car les transports publics sont pénalisés (tram 92 englués dans la rue du Ham, ligne Chrono 7 qui peine dans le trafic de l’av Legrand et de la chaussée de Waterloo, lignes de bus freinées dans tout ce secteur). Les hôpitaux Sainte Elisabeth et Delta/Chirec tirent la sonnette d’alarme (ambulances coincées dans le trafic). Les pompiers et Bruxelles- Propreté tirent la langue.

Les associations de commerçants qui ont souffert de la crise du COVID implorent de ne pas pénaliser l’accessibilité vers les noyaux commerçants locaux et HORECA, afin de préserver leur attractivité pour les habitants du Sud de Bruxelles, sous peine de voir se renforcer le pôle de Waterloo, à leur détriment.

Les données du problème

En situation antérieure, 5 bandes de circulation par sens assuraient les transferts Nord-Sud dans ce secteur de la ville (1 bande chaussée de Waterloo + 2 bandes dans le Bois + 2 bandes avenue Roosevelt). En situation actuelle, nous n’en disposons plus que de 3. Il y a donc eu une diminution globale de l’ordre de 40% des capacités.

D’après le Bureau du plan, le trafic routier moyen belge a subi une baisse de 60% en Avril et de 37 % en Mai. Il est donc normal que durant ces 2 mois, nous ayons pu nous passer des 2 bandes du Bois sans dommages.

Le Bureau du plan estime que malgré le fait qu’un tiers des employés soient restés intégralement confinés chez eux, l’impact global du télétravail sur la baisse du trafic n’aura représenté que -12% en avril, parce qu’il y a toute une série d’autres motifs à se déplacer que le domicile-travail. Il estime également que le potentiel maximum de baisse de trafic induit par le télétravail en régime d’après COVID serait d’au maximum de 7%. Cette baisse de trafic est néanmoins à contrebalancer par un moindre recours aux transports publics par crainte de contagion et d’une probable baisse de la part du vélo en période hivernale.

Il ne faut donc pas s’étonner que le test annoncé de double sens sur l’avenue de Diane entre Louise et Defré , couplé avec la rentrée des écoliers et des étudiants du supérieur , et avec les premiers frimas de l’automne , va encore accentuer les problèmes de congestion des axes majeurs routiers bordant le Bois et de reports dans les quartiers riverains .

Je suis pour

  • Des stratégies et des plans :

Phasés, car Rome ne se construit pas en un jour

Concertés entre la région et les communes concernées, avec une large implication de la population

Comportant des carottes pour inciter au report modal (RER, transports publics urbains capacitaires et attractifs, itinéraires et pistes cyclables de qualité,.. )

Comportant aussi des bâtons pour pousser graduellement vers les comportements vertueux (tarification routière, restriction des capacités de stationnement à destination pour le domicile-travail, spécialisation du réseau routier ,…) ;

  • Des solutions flexibles qui optimisent l’utilisation du Bois par toutes les familles d’usagers, dans le temps et dans l’espace. La fréquentation récréative du Bois pendant les heures de pointe d’un jour de semaine pluvieux de Novembre n’est forcément pas du même niveau que pendant les week-ends ensoleillés de juillet ;
  • Des décisions appuyées sur la modélisation a priori des différentes alternatives possibles, plutôt que de foncer tête baissée en jouant à l’apprenti sorcier, qui évalue a posteriori l’ampleur des dégâts causés ;
  • L’étude objective à charge et à décharge, par un bureau spécialisé et indépendant, de toutes les incidences des plans de mobilité envisagés par l’autorité : cela s’appelle une étude d’incidence, requise par la législation européenne ;
  • Une ville plurielle où l’intermodalité et la multimodalité règnent en maître, en trouvant des réponses appropriées pour relier des quartiers parfois séparés par des frontières naturelles (canal, forêt, chemin de fer ) , et où la majorité s’intéresse aux difficultés rencontrées par les minorités ;
  • La préservation de la qualité de vie de nos quartiers habités actuellement envahis par les trafics de fuite de la chaussée de Waterloo et de l’avenue Roosevelt congestionnées.

Je suis contre

  • Le simulacre de concertation auquel nous avons assisté durant l’été entre la Ville de Bruxelles, la Région et les communes parties prenantes ;
  • La position de la Ville de Bruxelles, maître du sol, qui prend des mesures drastiques en reportant les incidences et nuisances sur les communes riveraines ;
  • La non-communication par les autorités régionales et communales des données de comptages de trafic et de temps de parcours antérieurs, pour permettre des comparaisons objectives avec les évolutions actuelles ;
  • Les décisions sans nuances prises par des majorités progressistes qui se targuent dans leurs programmes électoraux d’être les champions de la concertation citoyenne ;
  • Les décisions brutales supprimant 40% des capacités routières dans le secteur du Bois, sans proposer des alternatives de mobilité réalistes pour les accompagner ;
  • Des passages en force qui polarisent nos concitoyens entre les défenseurs à tout crin d’une mobilité douce exclusive, et les inconditionnels de la voiture, alors que nous sommes tous tour à tour piétons, cyclistes et automobilistes ;
  • Le non-respect par les autorités des prescriptions de leur propre plan régional Good Move, qui prévoient le maintien du lien routier entre la drève de Lorraine et l’avenue du Brésil, via le Bois ;
  • L’autisme vis-à-vis des pertes d’accessibilité des hôpitaux, services de secours et services d’utilité publique ;
  • La non-réponse aux doléances des commerçants et Horeca qui souffrent doublement du COVID et de la plus grande attractivité de la périphérie.

Mes propositions concrètes articulées sur le phasage des actions suivantes :

A court terme (rentrée de Septembre 2020) :

  • La boucle Nord du Bois est parcourue, en situation courante antérieure, par un trafic de l’ordre de 1.500 véhicules par heure de pointe. Même si nous estimons qu’à la rentrée de septembre les conditions de trafic pourront être quelque peu délestées par le recours au télétravail et aux 2 roues, nous craignons que cela ne soit pas suffisant pour pouvoir rabattre tout ce trafic sur une bande par sens, ainsi que le préconise la Ville de Bruxelles. Aucune étude sérieuse et contradictoire n’a mesuré les incidences négatives sur les transports publics, sur les services de secours et les reports dans les voiries des quartiers attenants. Ce risque d’impact nous parait trop important en regard d’une fréquentation du Bois par les promeneurs, laquelle va s’estomper en semaine en période automnale. C’est pourquoi nous prônons le maintien de la situation existante, durant cette première phase ;
  • Une marge de progression existe pour la boucle Sud, pour laquelle le trafic relevé en situation courante antérieure, était de moins de la moitié de celle de la boucle Nord. Il est possible de traiter ce trafic sur une seule bande par sens, en imposant le 30 km/h, ce qui permettra par la même occasion, le maintien du lien vers l’avenue du Brésil, via l’avenue de Boitsfort, prévu dans le plan Good Move ;
  • Pour garantir que la vitesse ne puisse excéder 30 km/h, il conviendrait d’installer plusieurs feux clignotants (avec boutons poussoirs pour les piétons), feux qui passent au rouge dès que les voitures en approchent avec vitesse excessive ;
  • Il convient d’améliorer les liaisons et pistes cyclable Nord-Sud et Ouest-Est (Uccle/Ixelles – Solbosch) et d’aménager des connexions cyclables sécurisées d’entrée et sortie du Bois au niveau des avenues De Fré et Churchill.

Il s’agit de rechercher le win-win entre les différents usagers du Bois, et de ne pas opposer les partisans d’une fonction récréative exclusive, aux travailleurs et personnes qui n’ont d’autre choix que de traverser la zone du Bois en voiture. Cette recherche du meilleur compromis passe aussi par une variabilité des réponses à apporter en fonction de la période concernée (été / reste de l’année, semaine / w-e,…).

A moyen terme :

  • Des propositions de modifications plus drastiques des régimes de circulation devraient faire l’objet d’une étude d’incidence appuyée sur un large débat démocratique, et ne pas être le seul apanage de la Ville de Bruxelles, compétente actuellement en matière de police des voiries du Bois ;
  • Cette étude devrait étudier toutes les facettes des propositions et alternatives formulées par les parties prenantes au dossier : double-sens pour la partie Sud (entre Attelages et Lorraine) ramené sur les voiries Ouest (avenues du Panorama et de Groenendael) ; double-sens pour la partie Nord (entre Louise et Belle Alliance); continuité du double-sens sur les voiries Ouest (entre Louise et Lorraine), pour réserver les voiries Est à la mobilité douce et aux fonctions de délassement ; régimes de circulation différents en fonction des saisons et des jours (semaine/w-e) ; lien Good Move via l’avenue de Boitsfort vers l’avenue du Brésil ; autres variantes à définir par le Comité d’accompagnement de l’étude d’incidence ;
  • Cette étude approfondira bien évidemment les incidences sur toutes les familles d’usagers du Bois dont les transports publics, les services de secours, les commerçants et leurs clients, sans oublier les congestions de trafic sur les voiries des réseaux Plus et Confort ceinturant le Bois, et les reports dans les quartiers résidentiels riverains du Bois ;
  • Cette étude proposera la meilleure succession dans le temps des restrictions de la circulation admissibles, tenant compte des mesures d’accompagnement prises par les différents niveaux de pouvoirs publics (RER, tarification routière, transports publics urbains, réseaux cyclables….) et un large débat démocratique précèdera la décision régionale.

A plus long terme :

  • La vision de Good Move qui ne retient dans le Bois que les liaisons automobiles Louise – Churchill et Lorraine – Brésil, est un objectif ambitieux. Mais ce volontarisme présuppose un report modal important à l’appui de toutes les autres mesures définies dans le plan. Ces conditions d’accompagnement indispensables sont loin d’être réunies à ce stade.

Pour conclure, je plaide pour la recherche d’un meilleur équilibre concerté entre d’une part la fonction environnementale et récréative du Bois, et d’autre part les besoins des Ucclois, Ixellois , Boitsfortois et navetteurs, pour leurs déplacements qui ne peuvent être effectués au moyen d’alternatives à la voiture.

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