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A Namur, les 716 places du P+R de Bouge, non loin de l’E411, restent presque toutes désertes cinq ans après sa création. © Capture Google Earth – image juillet 2023

A Namur, un parking-relais P+R finalement enterré avant même de voir le jour: «Ce sont des solutions du passé»

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Censés désengorger les centres-villes, les parkings-relais (P+R) créent plusieurs effets pervers, quand ils ne restent pas déserts. Faut-il arrêter les frais?

Mort et non regretté. Tel est le sort du P+R d’Erpent, un parking de dissuasion qui aurait dû voir le jour au sud-est de Namur dans quelques années. Le couperet est tombé le 24 juin, lors du conseil communal namurois. «L’OTW, l’Opérateur de transports de Wallonie, me fait savoir que, pour des raisons budgétaires, il ne sera pas possible, à terme, d’augmenter la fréquence de bus et d’améliorer significativement la qualité de l’offre de transport par bus vers et au départ du Plateau d’Erpent, expliquait l’échevin de la Mobilité, Pierre-Yves Dupuis (Les Engagés). Nous ne réaliserons donc pas, pour le moment, le parking P+R d’Erpent, faute de bus. Et nous allons rouvrir les bandes spécifiques pour les bus de la N4 aux autres usagers de la route

«Un mal pour un bien»

Cet obstacle budgétaire de la Région n’est visiblement pas une douloureuse nouvelle pour la Ville. «Je ne dirais pas que c’est un cadeau, mais c’est un mal pour un bien», résume Pierre-Yves Dupuis au Vif. P+R, parkings de dissuasion, park and drive, parcs-relais… Quelle que soit l’appellation, le principe est toujours le même: encourager les automobilistes à entrer dans un centre-ville avec les transports en commun plutôt qu’avec leur voiture, en la garant en périphérie, gratuitement ou à prix réduit. A priori séduisante sur papier, l’idée se heurte souvent à la pratique pour de nombreuses raisons. Toujours à Namur, les 716 places du P+R de Bouge, bétonné sur ce qui était auparavant un champ non loin de l’E411, restent presque toutes désertes cinq ans après sa création. «Je ne critique pas la décision de l’époque, poursuit Pierre-Yves Dupuis. Elle a été prise en toute bonne foi et en s’appuyant sur des études sérieuses. Mais il faut être pragmatique et apprendre de ses erreurs.» En mai 2026, la Ville arrêtera d’ailleurs de mettre la main au portefeuille (365.000 euros par an) pour contribuer au financement des navettes sous-fréquentées de ce P+R de Bouge, qui a même accueilli un magasin éphémère l’année dernière.

Le succès des parkings de dissuasion ne dépend pas que de l’offre associée en transport en commun. Aménagés trop loin de la destination-cible, ils seront délaissés. Trop près, ils contribueront tout autant à la congestion du trafic et se verront phagocytés par d’autres usagers, à moins d’opter pour une politique tarifaire complexe. En Région bruxelloise, les 386 places en accès libre du parking Delta, à Auderghem, constituent un bon exemple de ces effets pervers. «Beaucoup de véhicules fantômes y restent pendant des semaines et les riverains l’utilisent également», concède Pierre Vassart, le porte-parole de parking.brussels, l’Agence du stationnement de la Région de Bruxelles-Capitale. Pourquoi ne pas le rendre payant? «Nous n’existons que depuis dix ans et très honnêtement, le statut de ces parkings, dont nous avons hérité de la part de la Région, n’a pas été traité de manière prioritaire, poursuit-il. Par ailleurs, le statut de Delta est en attente, parce qu’il pourrait disparaître dans le cadre d’un réaménagement du quartier.» Quant au P+R de Roodebeek (189 places), «il n’a pas vocation à remplir le rôle d’un Park and Ride. On le mentionne toujours sur notre site parce qu’il est en accès libre, mais il est situé trop à l’intérieur de la ville

A Anderlecht, le P+R Ceria (1.300 places) est de loin le plus grand des neuf parkings de délestage de la capitale, qui totalisent un peu plus de 2.800 places. «Son démarrage fut difficile en raison de la crise sanitaire, commente Pierre Vassart. Mais depuis septembre dernier, on voit son taux d’occupation grimper en flèche, avec plus de 1.000 véhicules garés contre environ 300 auparavant.» Pour éviter de sortir de son rôle, la souscription au tarif P+R du parking Ceria impose de travailler à plus de deux kilomètres de là et d’être titulaire d’un abonnement de la STIB.

A Amsterdam, certains parkings P+R sont situés à plusieurs dizaines de kilomètres du centre-ville. Une mission bien plus complexe à Bruxelles, vu les concertations que cela impose avec les autres Régions. © Capture Ville d’Amsterdam

A Bruxelles, de nombreux obstacles

Dans son Plan régional de développement durable (PRDD), publié en 2018, la Région bruxelloise proposait de créer 25.000 places de parking de dissuasion à l’horizon 2040. Mais l’intention se heurte à plusieurs obstacles. D’abord, l’absence persistante d’un nouveau gouvernement bruxellois, dont la politique en matière de mobilité devrait prendre un autre tournant que celui esquissé par l’actuelle ministre de la Mobilité, Elke Van den Brandt (Groen). Ensuite, l’état désastreux des finances bruxelloises. «Il était prévu que le P+R de Stalle passe de 380 à 800 places, rappelle le porte-parole de parking.brussels. Mais le temps d’obtenir les nécessaires feux verts, le budget du promoteur est passé de neuf à quinze millions d’euros pour ce parking, du fait de l’inflation. Le cabinet de la ministre avait donc décidé de laisser la décision au gouvernement suivant.» Enfin, la création de nouveaux P+R en amont du ring bruxellois suppose des concertations complexes avec les autres Régions, mais aussi avec le TEC, De Lijn et la SNCB. Bref, Bruxelles n’a rien de ces villes françaises ou hollandaises, où gravitent de nombreux P+R, parfois à plusieurs dizaines de kilomètres du centre. La marge de manœuvre est plus réduite dans la capitale.

«Dépenser de l’argent public pour que les automobilistes continuent à utiliser leur voiture en périphérie, cela me pose problème.»

Faut-il le regretter? «Les parcs-relais sont très clairement une solution du passé, décode Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste à l’Université de Lille. Il est incontestable que ceux-ci favorisent l’étalement urbain et l’usage de la voiture en périphérie, comme si elle n’y générait aucun problème. Or, que ce soit en termes de pollution, de bruit, de dangerosité ou d’encombrement, c’est faux. Ces parcs-relais ont par ailleurs un coût non négligeable pour la collectivité. Dépenser de l’argent public pour que les automobilistes continuent à utiliser leur voiture en périphérie, au détriment de ceux qui sont vertueux, cela me pose problème.» Cette critique n’est pas neuve. «Nous ne voyons vraiment pas pourquoi on doit ainsi « dérouler le tapis rouge » devant les automobilistes afin qu’ils acceptent de ne pas faire… quelques kilomètres de leur parcours final en voiture, à un coût particulièrement élevé», écrivait il y a 24 ans déjà l’urbaniste Patrick Frenay, alors chargé de cours à l’ULB. A raison de 34.000 euros par place dans un projet comme celui du P+R de Stalle, l’opportunité de le concrétiser induit à tout le moins un débat.

Autour des gares, du logement plutôt que du parking

Administrateur-délégué d’Espaces-Mobilités, Xavier Tackoen rappelle que les parkings, y compris autour des gares, captent un foncier qu’il serait bien plus pertinent d’allouer à du logement. «En développant un urbanisme dense composé de projets mixtes autour des gares, vous attirez au moins autant, si pas davantage d’usagers vers le train», acquiesce Frédéric Héran.

Les P+R ont toutefois une vertu pédagogique: celle d’habituer leurs usagers à abandonner partiellement la voiture. «Ils peuvent constituer une étape, mais il faut impérativement expliquer qu’ils ne sont pas une fin en soi, conclut Frédéric Héran. Or, ils sont trop souvent présentés comme « la » solution pour décongestionner les villes. Les solutions qui ne cherchent qu’à séduire, sans contraindre par ailleurs, ne fonctionnent pas. Il faut combiner les contraintes et les incitations dans le même temps. Ainsi, une fois que l’on a proposé des aménagements cyclables et un stationnement de qualité, on peut envisager d’augmenter les tarifs de parking.»

Sans une approche globale, les nouveaux P+R peuvent s’avérer contre-productifs, encourageant certains navetteurs à reprendre la voiture qu’ils avaient délaissée. En 2019, Ile-de-France Mobilités a introduit la gratuité de tous ses parkings-relais, notamment à Moret-sur-Loing. Le Parisien avait alors recueilli le témoignage d’une navetteuse visiblement satisfaite de voir ainsi ses habitudes changer pour se rendre jusqu’à la gare: «Sans parking, je devais m’y rendre à pied»…

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