santé mentale
Certaines études affirment que le simple fait de regarder une photo ou une vidéo d’un paysage naturel est déjà propice au bien-être et à la santé mentale.

En mai, tonte à l’arrêt 2025: comment et pourquoi la nature améliore notre santé mentale

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Le Vif axe la cinquième édition de son opération En mai, tonte à l’arrêt sur les bienfaits de la nature pour la santé mentale. Un lien évident mais encore sous-exploité dans la pratique en Belgique.

Les Belges sous-estiment-ils les effets vertueux de la nature sur leur bien-être? D’après un baromètre de la Commission européenne effectué en 2023, 27% d’entre eux mentionnent le contact avec la nature et les espaces verts dans leur Top 3 des activités bénéfiques pour la santé mentale, parmi dix propositions. Seuls les Néerlandais (17%) et les Espagnols (24%) citent encore moins ce critère dans les pays de l’UE. En Belgique, les répondants privilégient davantage les habitudes de sommeil (41% des réponses), l’alimentation saine (36%) et les contacts sociaux (35%), là où la moyenne européenne place en tête le sommeil et le contact avec la nature (35% chacun). Cette dernière semble occuper une place privilégiée en Europe de l’Est.

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Mais qu’importent, au fond, les activités ou comportements de prédilection pour soigner la santé mentale: à une époque où l’anxiété semble gagner du terrain, tout est bon à prendre. Selon une étude publiée en 2023 dans la revue The Lancet Psychiatry, la moitié de la population mondiale risque de développer au moins un trouble mental avant l’âge de 75 ans. En Belgique, dans la dernière enquête de santé de Sciensano, portant sur les années 2023 et 2024 et dont les résultats complets paraîtront en septembre, 6,6% des Belges déclarent avoir souffert de troubles d’anxiété généralisée et 8,1% de dépression au cours des douze derniers mois, contre respectivement 4,1 et 5,9% en 2004. Menées tous les cinq ans, ces enquêtes de santé sont représentatives de la population, contrairement aux enquêtes BelHealth, interrogeant plus fréquemment un même panel depuis la crise du Covid. D’après la dernière en date, portant sur octobre 2024, 17% des sondés souffraient d’anxiété et 15% de dépression. Ces deux indicateurs sont mesurés par des questionnaires scientifiquement validés, à savoir le test d’anxiété GAD-7 (Generalized Anxiety Disorder-7) et le Patient Health Questionnaire-9 (PHQ-9).

Quelle est la tendance des dernières années? «Même si les populations étudiées ne sont pas comparables, on a observé une augmentation importante de l’anxiété et de la dépression au moment de la pandémie de Covid, avec des pics significatifs pendant les confinements et les périodes de contamination, résume Camille Duveau, chercheuse scientifique dans l’unité «Enquête de santé» de Sciensano. Depuis juin 2022, la situation s’est plus ou moins stabilisée, si ce n’est que l’on observe à chaque fois une petite diminution de l’anxiété et de la dépression aux mois de juin, puis une légère hausse en novembre. Cela peut être dû à la saisonnalité, mais nous n’avons pas encore assez de recul pour l’affirmer.»

«Il y a encore 20 ou 30 ans, il était tabou de parler de sa santé mentale.»

Fanny Brunin

Doctorante et assistante de cours à l’école de Santé Publique de l’ULB

De manière générale, les temps troubles ne sont jamais favorables à la santé mentale. Les enquêtes Belhealth questionnent les inquiétudes liées à l’évolution politique dans le monde, au coût de la vie, à la guerre en Ukraine, aux fake news, au changement climatique… «On se rend compte que les personnes les plus inquiètes sur ces enjeux risquent davantage de développer de l’anxiété ou de la dépression au cours du temps», poursuit Camille Duveau. Par ailleurs, certaines catégories de la population sont plus à risque que d’autres: les femmes par rapport aux hommes, les personnes ayant tout au plus un diplôme de l’enseignement secondaire, celles aux revenus les plus faibles… Concernant l’âge, la chercheuse pointe une évolution notable ces dernières années: «Alors qu’auparavant, les personnes les plus à risque étaient généralement âgées entre 30 et 49 ans, soit essentiellement pendant la vie active, on remarque à présent que les jeunes âgés de 18 à 29 ans sont davantage exposés aux troubles de santé mentale.» Enfin, Sciensano constate une association statistiquement significative, bien que faible (5% à 8%), entre le temps d’écran d’une part et l’anxiété et la dépression d’autre part.

Ces indicateurs ne constituent que la partie émergée de l’iceberg de la santé mentale, incluant aussi des notions de bien-être et de mieux-être, particulièrement subjectives. «Le meilleur indicateur, ce serait un PIB de bonheur, visant à estimer à quel point on est heureux dans toutes les sphères de nos vies, relève Fanny Brunin, doctorante et assistante à l’Ecole de santé publique de l’ULB. Mais à la différence de l’anxiété ou de la dépression, il n’est pas possible de mesurer le mieux-être.» Les données en la matière reposent généralement sur un simple ressenti. Ainsi, en 2022, les Belges attribuaient un score de satisfaction générale de 7,6/10 à leur vie, un niveau supérieur à la moyenne européenne (7,1/10) et à la plupart des pays voisins (France, Allemagne, Luxembourg), montrent les chiffres d’Eurostat.

De manière plus générale, l’intérêt scientifique pour la santé mentale de personnes ne souffrant d’aucun trouble mental particulier (schizophrénie, bipolarité, démence…) est relativement récent. «On observe un pic d’études sur cette question depuis 2017, constate encore Fanny Brunin. Il y a 20 ou 30 ans, il était tabou de parler de sa santé mentale. Si une femme osait dire qu’elle était anxieuse, c’était perçu comme un délire. La hausse de l’anxiété dans la population est donc peut-être également due au fait que la parole se libère, ainsi qu’à l’émergence de nouveaux types d’anxiété.»

«Les bienfaits de la nature sur la santé ne sont plus à démontrer; des milliers d’études ont été réalisées sur le sujet.»

Nolwenn Lechien

Directrice de l’asbl Kodama Px

Pour se sentir bien ou mieux, la réponse ne passe pas nécessairement par la voie médicale ou médicamenteuse. Le contact régulier avec la nature, sous diverses formes, est l’une des clés pour soigner sa santé mentale. «Ceci n’est plus à prouver, des milliers d’études ont été réalisées sur le sujet», résume Nolwenn Lechien, directrice de l’asbl Kodama Px et auteure d’un mémoire de référence sur les prescriptions de nature. Les bienfaits sont cependant propres à chaque individu. Une étude publiée en 2007 dans Environment and Behavior a démontré que les adultes ayant souvent côtoyé la nature durant l’enfance étaient bien plus enclins que les autres à se rendre en forêt ou dans des espaces verts. «Les données suggèrent également que les avantages physiques et émotionnels de l’accès aux espaces verts se reflètent fortement dans l’expérience de l’enfance», soulignent les auteurs.

1. Quels effets vertueux?

L’exploration des vertus de la nature pour le bien-être humain a fait l’objet de célèbres théories. Il y a notamment la biophilie, évoquée dès 1964 par le psychanalyste Eric Fromm et popularisée 20 ans plus tard par le biologiste de Harvard Edward O. Wilson. Dans son ouvrage Biophilia, ce dernier la décrit comme une affinité innée et génétique de l’être humain avec les autres organismes vivants. Se départir de la nature, notamment dans les villes, tendrait inévitablement à nuire au bien-être. Ce concept se voit confirmé par une autre théorie, celle de la réduction du stress, mise en lumière par Roger Ulrich dès 1984. En analysant la convalescence de 46 patients opérés pour une ablation de la vésicule biliaire, dans un hôpital de Pennsylvanie, celui-ci découvrit que ceux affectés dans des chambres avec une vue sur un paysage naturel avaient bénéficié d’une hospitalisation plus courte et avaient dû prendre moins d’analgésiques puissants que les autres.

Bien d’autres études aboutissent à des conclusions similaires, soulignant au passage l’importance de repenser en conséquence les espaces urbains. En 2021, un expert néerlandais en foresterie urbaine, Cecil Konijnendijk, introduit à cet égard la règle 3-30-300, adoptée depuis lors dans de nombreuses villes: chacun devrait apercevoir au moins trois arbres depuis son domicile, vivre dans un quartier couvert à au moins 30% par des arbres et à moins de 300 mètres d’un espace vert.

Enfin, en 1989, Rachel et Stephen Kaplan, tous deux professeurs de psychologie à l’université de Michigan, introduisent la théorie de la restauration de l’attention. Dans un monde moderne exigeant énormément d’attention dirigée pour accomplir des tâches en tout genre, l’être humain s’expose d’autant plus au stress et à la fatigue mentale. Inversement, un paysage naturel capterait l’attention involontaire et entretiendrait une «douce fascination», permettant de restaurer les capacités attentionnelles. «Dans les environnements naturels, observer le soleil, le mouvement des feuilles et les nuages ​​ne demande pas beaucoup d’efforts, tandis que traverser une rue animée en requiert beaucoup, commente un rapport de l’Institut pour la politique européenne de l’environnement (IEEP). Cela pourrait expliquer pourquoi la nature améliore notre santé mentale.»

Concrètement, de nombreuses études confirment que l’expérience de la nature aide à réduire l’anxiété. «Que ce soit en forêt, dans un parc urbain ou à travers la thérapie horticole, la réduction de l’anxiété est significative dans les 80 études primaires que j’ai analysées», constate Fanny Brunin. Il est difficile, en revanche, d’en quantifier les bienfaits, tant les protocoles d’étude varient, de même que les populations étudiées et que les types d’activité réalisés. «La difficulté, c’est qu’il ne s’agit pas ici de comparer deux groupes de patients, en administrant au premier un médicament et au deuxième un placebo. La démarche la plus sensée consiste donc à observer le niveau d’anxiété d’un groupe de personnes avant et après une intervention en nature.» Des niveaux établis à l’aide de questionnaires d’auto-évaluation, dont l’inhérente subjectivité est limitée par des moyennes statistiques.

Sur le plan quantitatif, d’autres études ont toutefois prouvé que les moments passés en nature entraînaient à la fois une baisse du niveau de cortisol, l’hormone liée au stress, ainsi qu’une réduction de la tension artérielle et du rythme cardiaque. «L’évaluation de la santé mentale repose essentiellement sur des questionnaires, poursuit Fanny Brunin. Mais généralement, la tension est plus élevée quand on est anxieux. Regrouper les résultats offre un bon aperçu de l’état mental et physique global de la personne.»

La littérature scientifique fait aussi état de bienfaits pour la diminution des symptômes de dépression et d’une amélioration de l’humeur après une activité en nature. Depuis quelques années, la Suède dispose d’un programme de réhabilitation basé sur la nature (NBR), l’Alnarp Rehabilitation Garden. Des chercheurs ont remarqué que les participants à ce programme éprouvant un stress important ou une dépression modérée avaient réduit leurs frais de soins de santé de 28% et diminué le nombre de jours passés à l’hôpital de 64% après un an. Plusieurs études ont en outre établi que les lieux de vie densément végétalisés engendraient un moindre risque de dépression que les autres. Mais vu la complexité des troubles dépressifs, les résultats ne sont pas toujours statistiquement significatifs, ni généralisables à une population plus large que les (petits) groupes de personnes examinés.

En revanche, l’expérience de nature a démontré ses inévitables bienfaits pour les enfants confrontés à un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), ce qui fait écho à la théorie de Kaplan évoquée plus haut. En 2011, deux professeures de l’université de l’Illinois ont analysé les habitudes de jeu de plus de 400 enfants diagnostiqués avec un TDAH. Verdict: ceux qui jouent régulièrement dans des espaces extérieurs verts affichent de moindres symptômes que ceux jouant en intérieur ou dans un décor essentiellement bâti.

Enfin, il est également acté que la pratique d’un sport en nature est généralement encore plus bénéfique pour la santé mentale qu’une activité physique en intérieur. Là encore, tout dépend néanmoins des affinités de chacun.

2. Quel cadre naturel?

Un parc, un jardin, une forêt, un décor champêtre… Existe-t-il des cadres naturels plus favorables que d’autres pour soigner sa santé mentale? «La grande majorité des cadres semblent fonctionner mais il faut idéalement un espace propice à la relaxation, relate Fanny Brunin. Dans la littérature, les expériences en forêt sont surreprésentées. Il apparaît que l’anxiété diminue davantage dans les forêts entretenues. Quant aux jardins horticoles, il faut les aménager de manière à mettre l’accent sur des couleurs, des senteurs, des visuels.» En examinant les mouvements oculaires de participants à une étude in situ, menée dans deux types de paysages, le psychologue français Bastien Vajou a pour sa part conclu dans sa thèse que les milieux ouverts, offrant un champ visuel étendu, étaient plus propices à la restauration attentionnelle que les décors caractérisés par des éléments verticaux entravant la visibilité.

«En montrant que la nature peut être prescrite soit comme un médicament, soit comme un moyen de prévention et d’amélioration du bien-être, on peut inciter les pouvoirs publics à créer plus d’espaces verts de qualité, souligne Fanny Brunin. C’est là un point excessivement important: des espaces verts de mauvaise qualité peuvent, eux, nuire à la santé mentale.» La même règle vaut a priori pour les jardins: un rectangle uniforme de gazon n’est en rien comparable avec un jardin mêlant différents ensembles naturels et idéalement agrémenté de points d’eau, eux aussi bénéfiques pour la biodiversité et pour la santé mentale.

En Belgique, l’hortithérapie se développe peu à peu, mais sans commune mesure avec le taux d’adoption dans d’autres pays. Ces dernières années, quelques associations ont développé des jardins thérapeutiques en tant que précieux adjuvants pour la santé et le bien-être. Les cliniques et hôpitaux commencent à faire de même. «Ce sont des jardins faciles d’accès, attractifs, confortables, qui limitent les risques, décrit l’asbl Le jardin qui prend soin, sur son site Web. Le végétal y est abondant et stimulant. Le plus important est que ce jardin s’inscrit dans une démarche intentionnelle: on y prend soin de soi, des autres, de la vie.»

3. Quel type d’expérience de nature?

Certaines études affirment que le simple fait de regarder une photo ou une vidéo d’un paysage naturel est déjà propice au bien-être. A la fin des années 1990, des chercheurs japonais avaient déjà mis au point des processus de réadaptation par forêt virtuelle, pour les patients contraints de rester alités. Mais les bienfaits d’une véritable sortie en nature sont bien plus conséquents. Observer, marcher, courir, jardiner, méditer… L’expérience peut prendre différentes formes. Les modes actifs seraient généralement plus bénéfiques pour la santé que les modes passifs, essentiellement parce qu’ils combinent l’apport d’une activité physique par la même occasion. «L’observation, ou la contemplation comme certains l’appellent, n’est toutefois pas dénuée d’intérêt, précise Fanny Brunin. Il convient d’adapter le type d’intervention au public concerné.»

Tout droit venus du Japon, les bains de forêt, ou Shinrin-Yoku, gagnent en popularité en Europe. Cette sylvothérapie repose avant tout sur l’intensité du moment et sur l’attention portée à la nature environnante, en sollicitant les cinq sens. «Des études ont montré que les bains de forêt réduisent sensiblement les scores pour l’anxiété, la dépression, la colère, la fatigue et la confusion», résume un article paru en 2019 dans la revue Santé publique.

4. Quelle durée en nature?

La plupart des études considèrent qu’une expérience de nature s’avère déjà bénéfique pour la santé mentale après seulement quinze minutes. En 2019, des chercheurs américains ont mesuré la durée et la fréquence optimales, en mesurant deux biomarqueurs physiologiques du stress chez 36 citadins. Leur conclusion: l’amélioration induite par une expérience de nature était maximale entre 20 et 30 minutes, à raison d’au moins trois sorties par semaine. Au-delà de cette durée, les bénéfices continuaient à s’accumuler, mais à un rythme plus réduit. La pérennité des effets, en revanche, est nettement moins étudiée. «Tout comme un anxiolytique ne retire pas l’anxiété de façon permanente, la nature apporte une réponse pour quelques heures, commente Fanny Brunin. Afin d’obtenir un effet pérenne et à long terme, il faut se tourner vers un spécialiste de santé mentale. Si les effets à long terme de la nature ne sont pas étudiés, c’est parce qu’elle ne règle pas les causes d’un problème d’anxiété.»

Au-delà des bienfaits directs, l’expérience de nature s’apparente à un cercle vertueux, produisant des effets sur d’autres facettes de la vie. Une récente étude souligne qu’elle incite les jeunes adultes à réduire le temps passé sur leur smartphone. Une autre recherche relève que la présence d’un espace vert incite les habitants à proximité à pratiquer une activité physique, ce qu’ils ne feraient pas autant en son absence.

«J’entends démontrer qu’explorer la vie, s’affilier à elle, constitue un processus profond et complexe du développement mental», écrit Edward O. Wilson, dans le prologue de Biophilia. A l’heure où bien des esprits déraillent face à la cadence imposée par un monde pressé, à l’heure où la nature s’éloigne toujours plus des lieux de vie urbanisés, il y a donc de multiples raisons d’enfiler des chaussures de marche, une paire de gants de jardinage, de s’asseoir dans un parc ou d’écouter le bruissement des feuilles.

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