Jean-Pascal van Ypersele © belga

Jean-Pascal van Ypersele au Vif: « Il manque une volonté politique suffisante pour concrétiser les propositions du GIEC »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Alors que la COP27 bat son plein, le climatologue Jean-Pascal van Ypersele, professeur à l’UCLouvain, alerte sur le manque d’ambitions politiques face à l’urgence climatique. « Si l’humanité ne fait pas le nécessaire, les records de température tomberont les uns après les autres, sans discontinuer. » Pour Le Vif, le candidat à la présidence du GIEC affiche également ses objectifs en cas d’élection. Entretien.

Jean-Pascal van Ypersele, un récent rapport de l’Organisation météorologique mondiale conclut que la température en Europe augmente deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Pourquoi l’Europe plus que les autres continents ?

Jean-Pascal van Ypersele: « En réalité, ce rapport ne met en avant que l’évolution de la température au cours de la période 1991-2020. Durant cette période, la température de l’Europe a effectivement augmenté plus vite que celle de la moyenne globale et que celle des autres continents. Mais il faut mettre cette évolution en perspective : c’était l’inverse lors de la précédente période de 30 ans (1961-1990), comme le montre ce rapport.

Le climat étant défini sur une période de 30 ans, on ne peut donc parler ici d’une tendance réellement « climatique ».  Il s’agit plutôt d’une fluctuation, dont les causes ne sont pas analysées dans le rapport de l’OMM. Elle peut venir de changements dans la circulation atmosphérique, dans les courants océaniques, ou dans la composition de l’atmosphère. En particulier, il est possible que les mesures de limitation de la pollution de l’air aient contribué à réduire l’effet d’ombrage provoqué par les oxydes de soufre. Il faudra examiner dans les décennies qui viennent si cette spécificité européenne se maintient.

Ce rapport de l’OMM n’évoque pas que des mauvaises nouvelles; il stipule également que certains pays européens arrivent à considérablement réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Votre avis ?

L’Union européenne a effectivement réussi à réduire ses propres émissions de gaz à effet de serre en-dessous de leur niveau de 1990. Il faut toutefois observer que cette réduction a été accompagnée d’une augmentation des émissions associées aux produits qu’elle importe. Or le système climatique ne se préoccupe pas de l’endroit d’où les émissions de CO2 ont lieu. Pour véritablement protéger le système climatique, les pays européens devraient aussi tenir compte des émissions qu’ils induisent ailleurs par les produits qu’ils importent. Trop rares sont les pays qui l’envisagent.

Pour véritablement protéger le système climatique, les pays européens devraient aussi tenir compte des émissions qu’ils induisent ailleurs par les produits qu’ils importent. Trop rares sont les pays qui l’envisagent.

Jean-Pascal van Ypersele

Sans action rapide et concrète, à quel genre de conséquences doit-on s’attendre ? Un continent moins habitable ? La Belgique est-elle particulièrement vulnérable ?

L’Europe n’est pas le continent le plus vulnérable aux effets des changements climatiques, mais il est loin d’y être insensible : canicules et feux de forêts dans le sud, impacts de plus en plus significatifs sur l’agriculture et les écosystèmes, santé humaine affectée par la chaleur et certaines maladies facilitées par le réchauffement (maladie de Lyme, dengue, …). La prochaine Lettre de la Plateforme wallonne pour le GIEC (que j’ai fondée avec le soutien de la Wallonie) sera d’ailleurs consacrée à ces impacts en Europe.

Quant à la Belgique, avec mon collègue Philippe Marbaix, j’ai coordonné, il y a près de 20 ans déjà, un rapport publié par l’UCLouvain et Greenpeace sur les impacts des changements climatiques en Belgique. Ce rapport est toujours largement d’actualité, et les deux derniers étés ont montré que les extrêmes climatiques pouvaient avoir de graves conséquences chez nous aussi : 2021 avec ses pluies diluviennes et ses terribles inondations, et 2022 avec ses canicules qui ont causé des centaines de décès et sa sécheresse qui a eu de graves conséquences économiques.

Les extrêmes climatiques peuvent avoir de graves conséquences chez nous aussi.

Jean-Pascal van Ypersele

Ce mois d’octobre a été le plus chaud jamais enregistré depuis 1833. Doit-on craindre une multiplication de ce genre de records dans le futur ?

Malheureusement, oui ! Le rapport du GIEC de 2021 a été très clair sur ce point : si l’humanité ne fait pas le nécessaire pour arrêter le réchauffement (ce qui requiert la fameuse neutralité carbone), les records de température tomberont les uns après les autres, sans discontinuer.

La COP27 a débuté ce dimanche 6 novembre, en Egypte. Vous êtes d’ailleurs sur place. Quels sont les principaux enjeux, selon vous ? Ne craignez-vous pas un immobilisme ?

Les principaux enjeux sont, primo, la concrétisation des multiples promesses faites en matière d’ambition climatique par les pays réunis lors des COP précédentes, en particulier celle de l’an dernier à Glasgow. Des plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre plus ambitieux, avec des mesures concrètes pour y parvenir, afin d’avoir enfin des trajectoires d’émission cohérentes avec les objectifs de l’Accord de Paris et les rapports du GIEC.

Deuxièmement, la concrétisation de la promesse faite en 2009 (!) par les pays développés de financer à raison de 100 milliards de dollars par an à partir de… 2020 les efforts climatiques des pays en développement, et l’élaboration d’un plan pour relever cet objectif à l’horizon 2025.

Enfin, une prise en compte bien plus sérieuse par les pays développés de la revendication des pays les plus vulnérables à propos des « pertes et préjudices » que ces derniers subissent de plus en plus, et voudraient voir « compensés » par les pays qui ont émis l’essentiel de la pollution responsable du dérèglement climatique.

La priorité des priorités, dans les pays développés, est de réduire les gaspillages d’énergie, qui sont énormes. Ensuite, il faut décarboner l’économie et sortir des combustibles fossiles en les remplaçant par des énergies non-fossiles et renouvelables (et sans sortir des centrales nucléaires en bon état de marche).

Jean-Pascal van Ypersele

Au rythme actuel, nous sommes loin des Accords de Paris. A-t-on encore le temps d’y parvenir, ou s’agit-il d’une utopie? Si oui, quelles sont les priorités absolues ?

Le dernier rapport du GIEC déborde de solutions à mettre en œuvre dans tous les secteurs. Il manque jusqu’à présent une volonté politique suffisante de les concrétiser. La priorité des priorités, dans les pays développés, est de réduire les gaspillages d’énergie, qui sont énormes. Ensuite, il faut décarboner l’économie et sortir des combustibles fossiles en les remplaçant par des énergies non-fossiles et renouvelables (et sans sortir des centrales nucléaires en bon état de marche). Il faut évidemment faire tout cela d’une manière qui soit juste et n’ajoute pas de problèmes sociaux à ceux qui sont déjà là. De nombreux travaux ont montré que c’était parfaitement possible.

Vous êtes candidat à la présidence du Giec. Si vous étiez élu, quelles seraient vos trois priorités pour le futur?

Le climat et la nature que l’on détruit, alors que nous en dépendons, n’ont pas de voix. Je voudrais que le GIEC soit la voix du climat, pour reprendre le titre d’un livre récent[1]. Cette voix doit être forte, très forte, vu l’urgence et la gravité de la situation. Pour cela, il faut que le GIEC renforce et élargisse sa base scientifique, en faisant participer une palette plus grande encore de disciplines à ses travaux.

Des chercheuses et des chercheurs de qualité d’un maximum de pays devraient être recrutés pour écrire les rapports du GIEC les plus rigoureux, les plus représentatifs de l’état des connaissances, les plus utiles à la décision politique, et les plus clairs qui soient.

Le climat et la nature que l’on détruit, alors que nous en dépendons, n’ont pas de voix. Je voudrais que le GIEC soit la voix du climat. Cette voix doit être forte, très forte, vu l’urgence et la gravité de la situation.

Jean-Pascal van Ypersele

Si je suis élu président, je veillerai à ce que le GIEC fasse encore mieux travailler ensemble ces scientifiques pour accomplir sa mission, et qu’il communique les résultats de ses travaux de la manière la plus transparente et pédagogique. La rigueur et la qualité scientifique, la pertinence et l’utilité pour la décision, le service, l’éthique, la clarté et la pédagogie, l’équilibre des genres, l’inclusivité et le respect à toutes les étapes du travail du GIEC seront au coeur de mon action.

[1] « GIEC, la voix du climat », Kari De Pryck, Presses de Sciences Po, Paris, 2022, 240 p.

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