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Eviter les teintures chimiques avec les couleurs de la nature

Le Vif

Pour se débarrasser des teintures chimiques, designers et scientifiques explorent les teintes créées par la nature. Leur objectif: reproduire les couleurs de l’arc-en-ciel en se basant, entre autres, sur sa structure.

«Une blague en Chine dit que que l’on peut prédire la prochaine couleur à la mode en regardant celle des rivières.» Cette déclaration d’Orsola de Castro, cofondatrice du mouvement Fashion Revolution, résume bien l’ampleur de la problématique des teintures industrielles. La prise de conscience collective s’accompagne d’un attrait retrouvé pour les techniques séculaires, notamment dans le domaine des loisirs créatifs où il rencontre un besoin de reconnexion au vivant.

«On débute la teinture par des végétaux à portée de main, bien souvent les déchets de la cuisine, et peu à peu notre curiosité nous amène en campagne ou en forêt. Pour observer, récolter, connaître, découvrir, répertorier… Je n’ai jamais eu autant soif d’apprendre de ma « biorégion » que depuis que j’ai commencé la teinture générale», relate Sophie Gesbert, autrice de Couleurs et teintures végétales (La Plage, 2022), une bible pour les amateurs qui souhaitent apprendre comment rosir un drap avec de l’avocat ou encore métamorphoser une étoffe avec des dahlias.

Des solutions verticales

Une solution beaucoup plus green que les teintures industrielles mais, à l’aune du changement climatique et de nos modes de vie, ces techniques ancestrales n’ont plus réponse à tout. Une grande quantité d’eau est utilisée au cours du procédé et des cultures plus ou moins intensives seraient à prévoir, si l’on sortait d’une pratique domestique. «Bien sûr, il n’y aurait aucun problème à recourir, par exemple, à l’indigo naturel si nous n’achetions qu’un jeans dans notre vie, observe Liene Kazaka, designeuse textile. Mais ça ne colle pas avec la manière dont les gens consomment aujourd’hui, ni avec le modèle agricole actuel. On cherche donc également, en complément, des solutions plus verticales où nous ne dépendrions pas de terrains, des saisons, de l’environnement.»

On les appelle couleurs vivantes car les pigments s’estompent au fil du temps.

Champignon magique

Alors qu’elle achevait un master dédié aux matériaux innovants au prestigieux Central Saint Martins College of Art and Design de Londres, Liene Kazaka a entendu parler d’un champignon, le chlorociboria aeruginascens. Sa particularité? Il libère des pigments turquoise sur les surfaces sur lesquelles il grandit. Elle choisit donc de faire une expérimentation: «J’aurais pu extraire les pigments – comme on le fait la plupart du temps pour teindre – mais ça ne m’intéressait pas, notamment car la méthode requiert l’usage de produits chimiques agressifs. J’ai préféré utiliser une approche « vivante » de la couleur. J’ai donc fait pousser l’organisme directement sur le tissu, en profitant de ses déplacements sur le textile qui créent des motifs ne pouvant pas totalement être contrôlés par l’humain.»

Résultat: des tee-shirts et étoffes tachetés de nuances de turquoise. La designeuse continue ses recherches et, à terme, envisage de les commercialiser en petites séries. D’autres champignons pourraient même venir élargir la palette de couleurs.

Les déplacements du chlorociboria aeruginascens sur le tissu créent des motifs de nuances de turquoise, sans intervention humaine.
Les déplacements du chlorociboria aeruginascens sur le tissu créent des motifs de nuances de turquoise, sans intervention humaine. Une approche à l’opposée des teintures chimiques. © Emils Kalis

Algues purifiantes

De ce côté de la Manche, Kask & Conservatorium, l’école d’art de Gand, a décidé, en 2016, de créer un labo mêlant design et sciences pour explorer la question de la couleur écologiquement responsable. Une démarche inédite. Dans un premier temps, une large base de données de teintures naturelles a été créée et mise à disposition des étudiants et du public. Très vite, les biotechnologies sont entrées dans la danse via une étude sur les couleurs obtenues grâce aux bactéries et aux algues.

«Pas besoin de champs, on peut les travailler en laboratoire, dans des fermes de microalgues, et on peut facilement développer la technique à plus grande échelle», pointe Heleen Sintobin, designeuse au Laboratorium. Alors qu’on sait que 20% de la pollution des eaux est liée à l’industrie de la mode, un bénéfice est apparu lors des recherches: «Nous avons découvert que certaines des algues que l’on faisait pousser pour obtenir les pigments étaient aussi capables de nettoyer l’eau. On a donc travaillé avec des eaux usées et créé un système circulaire vertueux, en partenariat avec l’UGent.»

Des applications concrètes ont été trouvées, de l’encre pour sérigraphie à la teinte de papier en passant par l’impression 3D. La limite de l’innovation? Les rayons UV et l’oxydation affectent les pigments qui s’estompent au fil du temps (très rapidement pour certaines couleurs). «C’est pour cela qu’on les appelle des couleurs vivantes, insiste la Dr. Maria Boto, la scientifique de l’équipe, mais il y a une vraie réflexion à mener, y compris en tant que consommateurs: a-t-on besoin que des couleurs restent très longtemps? Je pense, par exemple, aux journaux que l’on utilise durant une très courte période. Sans parler du fait que cela faciliterait le processus de recyclage, compliqué par les pigments industriels.»

Colorer sans pigments

Le département s’est aussi lancé dans une nouvelle recherche, qui délaisse les pigments au profit des couleurs structurelles. «Le nombre de pigments naturels est en fait limité alors que les couleurs structurelles couvrent tout le spectre de l’arc-en-ciel. Ce sont elles que l’on voit, par exemple, dans les bulles de savon, ou l’arc-en-ciel lui-même», illustre Maria Boto. La majesté des plumes de paon est également due à ce procédé physique complexe, basé notamment sur des interférences avec la lumière. De la même manière que vous vous retrouverez avec un doigt noir si vous touchez une aile de papillon, les couleurs obtenues réagissent au contact. Si vous brisez la structure, les couleurs disparaissent avec elle.

L’équipe explore ainsi la piste d’un vernis qui pourrait protéger et fixer les couleurs. Et elle applique déjà, avec succès, ces couleurs inspirées par la nature sur différentes surfaces. Des tons plus doux des teintures végétales aux gammes obtenues sans le moindre pigment, les couleurs du monde semblent sur le point de changer.

© Anja Eilert

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