Si on veut vraiment une transition, chaque territoire communal doit avoir son propre fonds d’investissement, coopératif et citoyen. © belgaimage

Epargne et placements: comment s’assurer qu’ils ne contribuent pas au dérèglement climatique?

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Comment s’assurer que l’épargne déposée en banque ou l’argent confié à un fonds ne servira pas à financer des secteurs contribuant au dérèglement climatique?

Dans la bascule de l’économie vers le bas carbone, Antoine Sire, responsable de l’engagement chez BNP Paribas Group, considère essentiels les fonds d’investissement: «Ils doivent utiliser leur droit de vote aux assemblées annuelles des actionnaires des entreprises dans lesquelles ils investissent pour les inciter à agir toujours plus pour la transition.» Nicola Koch, responsable «placements des particuliers» chez 2 Degrees Investing Initiative (2DII), centre international indépendant de réflexion pour une finance durable, ajoute qu’ils «peuvent soumettre au vote une résolution exigeant que l’entreprise adopte une stratégie en ligne avec les objectifs climatiques». Ce qu’a annoncé, fin février, Allianz Global Investors, gros bras mondial de la gestion des placements financiers: aux AG des sociétés «fortement émettrices» de CO2 dans lesquelles il investit, il «votera contre les administrateurs» si elles n’ont pas des «objectifs Net-Zero fiables». Et si elles n’intègrent pas «dans la rémunération de leurs dirigeants des indicateurs clé de performance environnementale, sociale et de gouvernance», il «votera contre les politiques de rémunération».

Si nous voulons des banques durables, ça ne viendra pas des grandes banques elles-mêmes.» Jozef Vandermeulen, porte-parole de FairFin

C’est que «la plupart des fonds d’investissement actuels sont déjà des fonds durables, affirme Tom Van den Berghe, directeur finance durable à la Fédération belge du secteur financier (Febelfin) et administrateur de l’Agence centrale de labellisation, qui a décerné le label Towards Sustainability à plus de sept cents fonds depuis 2019. Pour l’investisseur, c’est un outil de mesure de la durabilité de son placement, contrôlé de façon indépendante par le Forum Ethibel, l’Ichec et l’UAntwerpen.» Bernard Bayot, président du conseil d’administration de NewB, rappelle, lui, «le label de finance solidaire de Financité qui répertorie depuis six ou sept ans des initiatives et entreprises répondant à un cahier des charges précis, notamment sur la question climatique». Et 2DII sa plateforme gratuite MyFairMoney, «avec les données durables de 17 000 fonds européens et l’alignement climatique des trente plus grands gestionnaires d’actifs».

De son côté, Euronext Brussels a lancé, mi-février, l’indice boursier Bel ESG censé mesurer le degré de durabilité des vingt grandes entreprises qu’il regroupe. Souci: l’Europe travaille toujours sur des critères de mesure clairs et identiques. On les attend pour 2024. Bernard Bayot les espère cohérents: «Début 2022, la Commission a quand même intégré le gaz et le nucléaire aux énergies qu’elle considère vertes…» Et en novembre, De Tijd et deux collectifs de journalistes néerlandais révélaient que près de la moitié des fonds d’actions européens se prétendant durables investissent dans des activités nuisibles pour le climat. Comme les énergies fossiles et le transport aérien.

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Par une reprise en main par l’Etat

Pour Xavier Feittweis, climatologue à l’ULiège, «les compagnies d’assurances détiennent la clé. Les changements climatiques leur coûteront très cher, donc elles feront pression sur les banques pour la réduction accélérée des émissions de gaz à effet de serre de la finance.» L’économiste Bruno Colmant évoque «les compagnies d’assurances vie, parce qu’elles gèrent des capitaux à très long terme. Et, comme pour les fonds de pension, leurs rendements finiront par être modulés selon l’affectation écologique des fonds.» De toute façon, «les Etats contraindront tout le secteur. La Banque centrale européenne les refinancera en créant des produits financiers de nature à susciter la transition climatique. On aura aussi des banques classiques sous une coupole publique, avec une orientation des crédits vers la transition climatique.»

Bernard Bayot prolonge: «Depuis la révolution industrielle, la finance s’est autonomisée des enjeux collectifs. Or, s’il en existe bien un aujourd’hui, c’est le changement climatique. N’est-ce pas le moment de reprendre la main? Les citoyens, en créant des outils financiers, et les Etats, en créant des banques publiques aux missions surtout d’ordre durable comme en Grande-Bretagne ou en Allemagne. En Belgique, nous ne sommes pas démunis pour une politique de financement climatique public: la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI) est propriétaire de Belfius et d’une partie significative d’Ethias.» Jozef Vandermeulen, porte-parole de FairFin, croit davantage au bâton: «Si nous voulons des banques durables, ça ne viendra pas des grandes banques elles-mêmes. L’Europe doit leur interdire tout investissement dans les combustibles fossiles et les obliger à la transparence, avec sanctions si elles investissent dans des pratiques nuisibles.»

Avec le concours des particuliers

«Ce ne sera pas suffisant, observe Thomas Van Craen, directeur de Triodos Belgique. Tous nos défis sociétaux sont liés. On ne peut attendre du politique qu’il codifie assez et partout pour les régler tous. Les entrepreneurs et les consommateurs doivent prendre leurs responsabilités sans attendre un contexte légal adapté à leur modèle de business et avec une intention assumée: veulent-ils juste éviter le pire, se plier à de nouvelles règles ou contribuer à une société plus juste, plus saine, plus en équilibre avec la nature?» Vanessa Temple, responsable durabilité chez ING Belgique, le formule autrement: «Avec la crise énergétique, des capitaux de particuliers ont bougé vers des valeurs pétrolières, plus rentables… Alors oui, le changement viendra des grands industriels, des grandes banques, des mesures gouvernementales mais les comportements individuels sont aussi importants

Les assureurs feront pression sur les banques pour accélérer la réduction des émissions de la finance.» Xavier Feittweis, climatologue à l’ULiège

Ce qui pose la question du rendement. «A court terme, résume Tom Van den Berghe, le durable n’est pas toujours le plus rentable, au contraire des énergies fossiles.» Mais, rétorque Bernard Bayot, «si on intégrait les conséquences sur la planète, les financements verts deviendraient vite plus rentables que les autres. Et puis, qu’en sera-t-il dans cinq ou dix ans? Selon un comparatif du Fonds monétaire international datant de 2021, un investissement public d’un milliard de dollars dans les énergies vertes et la mobilité douce créait deux fois plus d’emplois qu’un milliard investi dans les secteurs traditionnels». Pour Thomas Van Craen, on touche là à «la différence, philosophique, entre don et investissement. Avec le don, on perd mais la collectivité gagne. Certaines initiatives ne peuvent voir le jour sans dons, d’autres sans crédits et investissements. Je rencontre des personnes, de toutes générations, qui, à côté du rendement financier, recherchent un rendement sociétal.»

Un investissement public d'un milliard de dollars dans la mobilité douce crée deux fois plus d'emplois qu'un milliard investi dans un secteur traditionnel.
Un investissement public d’un milliard de dollars dans la mobilité douce crée deux fois plus d’emplois qu’un milliard investi dans un secteur traditionnel. © getty images

Comme l’assemblée citoyenne Climat d’Uccle, qui a remis l’été dernier douze propositions pour le plan de réduction de 50% des émissions CO2 sur le territoire communal en 2030. Dont deux, prioritaires: «réorienter les placements des Ucclois vers des placements décarbonés» (objectif 2030: 350 millions d’euros réorientés) et «mettre en place une entité juridique destinée à collecter une partie du patrimoine financier des Ucclois afin de financer des projets de réduction de l’empreinte carbone». L’entité offrirait «deux solutions d’investissement: soit dans un fonds, soit directement dans un projet bas carbone». Ambition 2030: encaisser 210 millions d’euros et initier cent projets par an, financés à hauteur d’un total de cinquante millions par an.

Grâce aux fonds citoyens

Le conseil communal tranchera. En attendant, Tom Van den Berghe salue l’idée, «adaptée à des projets locaux et à un impact direct, mais les risques sont beaucoup plus hauts». Parce que, enchaîne Thomas Van Craen, «les crédits seront octroyés à des entreprises ou particuliers peut-être pas à même de les rembourser». «Ça coûterait moins cher en capitaux propres et frais de fonctionnement d’utiliser les banques existantes avec deux types de carnets de dépôt: les classiques et ceux à contrepartie écologique. L’épargne non verte serait moins rémunérée», ajoute Bruno Colmant.

Frédéric Chomé, directeur de Factor-X, n’en démord pourtant pas: «Si on veut vraiment une transition, chaque territoire communal doit avoir son propre fonds d’investissement, coopératif et citoyen, fort de quinze à trente millions d’euros. On créera alors de l’activité économique pour aider tout le monde à faire la transition ou à développer des produits et services bas carbone.» Et atteindre nos objectifs climatiques? «Ils n’ont pas de sens puisqu’ils se basent sur le fait qu’il y aura toujours un pays pour reprendre nos émissions. Il faut réduire les émissions mondiales, pas juste ici en les augmentant ailleurs. Avec la finance bas carbone d’une commune, on sait dans quoi on investit, on voit les résultats et on réduit les émissions partout.» Il n’y a plus qu’à basculer les millions.

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