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Comment le raton laveur américain menace la biodiversité wallonne

Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Malgré sa bouille adorable, le raton laveur commence à poser problème en Wallonie. Ce qui préoccupe le plus: les œufs et oisillons d’espèces rares dont il se régale.

Leur population en Wallonie est estimée entre 50 000 et 75 000 individus, principalement au sud du sillon Sambre-et-Meuse. Dans la nature, on en compte entre deux et huit par kilomètre carré, mais aux abords des villages et des villes, où ils trouvent facilement gîte et couvert, leur densité peut atteindre une vingtaine d’individus au kilomètre carré, voire dépasser la centaine. Le raton laveur a pris ses aises chez nous, jusqu’à figurer en haut de la liste des espèces exotiques invasives, aux côtés du frelon asiatique, de la renouée du Japon et de la bernache du Canada.

Le raton laveur, bandit masqué opportuniste dans un nichoir à hulottes.
Le raton laveur, bandit masqué opportuniste dans un nichoir à hulottes. (c) Marc Paquay © marc paquay

Comme l’indiquent la toque du trappeur Davy Crockett (la queue à anneaux noirs et blancs, c’est lui) et le plus poilu des Gardiens de la Galaxie de Marvel (le teigneux mais si attachant Rocket Raccoon), le raton laveur est d’origine américaine. Il a été introduit par l’homme en Europe au début du XXe siècle. «Il y a eu plusieurs biais, précise la biologiste Vinciane Schockert, experte en mammifères pour le Demna (Département de l’étude du milieu naturel et agricole de la Région wallonne). En Allemagne, dans le Land de Hesse, le mammifère a été introduit pour servir de nouvelle espèce de chasse sportive. A partir des années 1920, dans l’est et le nord de l’Europe, il y a également eu des élevages pour la production de fourrure. Quand le commerce de la fourrure a périclité après-guerre, certains propriétaires les ont relâchés dans la nature. Et puis, il y a ces bases militaires américaines en France, où les soldats ont ramené des ratons d’Amérique du Nord comme mascottes. Quand ils sont repartis dans les années 1960, ils ont “oublié” de les reprendre avec eux. Ce fut le cas de la base militaire de Couvron-et-Aumencourt, dans les Ardennes françaises.»

« On les voit remonter le ruisseau, retournant les pierres et mangeant tout ce qu’ils trouvent. »

En Belgique, la première observation du «procyon lotor» date de 1984, dans la vallée de l’Amblève. «Ensuite, les observations furent très disparates jusqu’au début des années 2000, souvent du côté est de la Région wallonne, retrace Vinciane Schockert. Les populations ont commencé à évoluer de façon importante au début des années 2000. On s’en est rendu compte grâce aux suivis sur les habitats de la loutre dans les bassins versants wallons: on y voyait de plus en plus de traces de présence de ratons laveurs, en particulier des empreintes. A partir de 2009-2010, les observations ont encore augmenté. Cela s’explique sans doute par les hivers devenus assez doux, qui favorisent leur survie hivernale.»

Un opportuniste

Yanick Collignon, lui aussi biologiste, coordinateur depuis une douzaine d’années du Contrat de rivière Semois-Chiers (qui dresse un inventaire des problématiques et établit des plans d’action avec les différents acteurs concernés), a pu constater la prolifération des ratons laveurs dans la vallée de la Semois. «Nous avons placé des pièges photo dans le cadre d’un projet en collaboration avec le WWF, qui vise à améliorer l’habitat de la loutre. Sur ces pièges photo, l’espèce qu’on retrouve le plus, c’est le raton laveur. On les voit à quatre ou cinq remonter le ruisseau en retournant les pierres et en mangeant tout ce qu’ils trouvent.»

L’animal n’est pas inféodé à l’eau, il peut tout traverser: forêts, champs, villes et se faufiler partout. (c) Kathy Leclere

Au-delà de son aspect sympathique, ce bandit masqué représente une menace pour la biodiversité wallonne. En cause: son penchant pour les razzias. Non seulement le raton laveur peut se déplacer en bande – «Il arrive fréquemment que des femelles apparentées se regroupent avec leurs jeunes et créent ainsi de petits clans familiaux d’une vingtaine d’individus», précise Vinciane Schockert –, mais en plus c’est un opportuniste omnivore qui n’hésite pas à retourner sa veste alimentaire. «Depuis 2010, nous avons analysé un peu plus de 160 estomacs de ratons laveurs victimes de collisions sur la route, détaille la spécialiste. On y retrouve des choses très abondantes comme des limaces, des escargots, des coléoptères, des faines, des glands, des framboises, des myrtilles, ce qui est peu préoccupant… Mais on y trouve de temps en temps des œufs ou des plumes de passereaux, et des restes de batraciens, qui sont fréquemment consommés à la période printanière, pendant leur migration. Parce que le raton laveur profite de ce qu’il a à disposition: plus les espèces sont abondantes, plus il se sert. Cela peut poser problème pour la conservation d’espèces déjà fragilisées par la fragmentation de leur habitat et la pollution. En particulier certains oiseaux, comme l’hirondelle de rivage, les rapaces ou la cigogne noire. Comme il n’y a pas beaucoup de couples reproducteurs, la prédation des oisillons ou des œufs peut avoir un impact populationnel sur ces espèces.»

« Parfois, ils rentrent par les chatières et se servent dans les armoires. »

Opportuniste, les ratons le sont aussi aux abords des habitations humaines. «Ils s’installent dans un cabanon de jardin, sous une terrasse, dans un grenier, souligne la biologiste. Ils se nourrissent dans les gamelles extérieures des animaux domestiques, dans les déchets du compost. Parfois, ils rentrent par les chatières et se servent dans les armoires, parce qu’ils sont hyperhabiles de leurs mains. Même pour les chatières électroniques, dont l’ouverture est déclenchée par le détecteur que le chat porte au cou, certains ratons collent au train du chat et rentrent juste derrière lui. Ils ont vraiment trouvé tous les trucs.»

Opération sensibilisation

En Allemagne, où les tentatives d’éradication du raton laveur ont échoué mais où continue sa régulation massive, les estimations sur l’évolution de sa répartition géographique prédisent que l’espèce gagnera encore 30% à 40% du territoire d’ici à 2060. «Car une fois qu’il est présent, il est difficile de l’empêcher de se déplacer, précise Vinciane Schockert. Il n’est pas inféodé à l’eau, il sait traverser la forêt, les champs, les villes.» D’où une stratégie de lutte locale. Dans les zones naturelles sensibles où ont été repérées des nidifications d’oiseaux rares, sont mis en place des piégeages et des dispositifs de protection des nids.

Déprédation d'arbres fruitiers (c) MC Marchal

Mais pour contenir la prolifération, le comportement du citoyen est, lui aussi, capital. «Notre action principale par rapport à cette problématique des ratons laveurs est de sensibiliser les gens, pour qu’ils arrêtent de les nourrir», rapporte Yanick Collignon. Même son de cloche du côté de l’experte du Demna: «Nos actes dans les zones urbanisées ont leur importance par rapport aux zones naturelles, tout est lié. Plus les ratons laveurs auront la vie facile, plus ils se reproduiront puis s’échapperont vers les habitats naturels. Il faut intervenir partout en parallèle. C’est de la responsabilité des administrations mais aussi des habitants. Eviter de les nourrir et protéger ses ressources de nourriture est déjà un acte citoyen (lire l’encadré «Bas les pattes!»)

Autre raison pour éviter le contact avec le procyon lotor, sanitaire cette fois: il est sujet à différentes maladies, dont la maladie de Carré, transmissible au chien. Il est également potentiellement porteur d’un ver parasite, le baylisascaris procyonis, qui peut contaminer l’homme. Une infection rare, mais dangereuse, voire mortelle. «Même si cet animal est hyperséducteur et qu’on aurait bien envie de l’apprivoiser et de le nourrir à la main, c’est la dernière chose à faire.»

Bas les pattes! Astuces pour éviter le pillage

Donner à manger au raton? Mauvaise idée. Il est au contraire recommandé de ne pas laisser cette espèce opportuniste accéder à tout ce dont elle pourrait se nourrir aux abords des maisons. Ainsi, si on installe des nichoirs à oiseaux dans son jardin, il faudra les protéger.Par exemple en plaçant un «stop minou», un collier à picots attaché autour du tronc pour éviter qu’un animal ne puisse grimper au-delà, ou un bout de bâche en plastique dur sur une soixantaine de centimètres à peu près à un mètre de haut, sur lequel les griffes n’auront pas de prise. Idem pour les arbres fruitiers au moment de la fructification. Autres recommandations: placer un bloc de béton devant la chatière de manière à ce que seul le chat puisse s’y faufiler, protéger les graines des poules et les boules à oiseaux et couper les branches qui permettraient d’accéder à une lucarne dans un toit ou à un espace sous la toiture. Le SPW finalise un dépliant sur les manières de limiter les nuisances du raton laveur autour de son habitation.

Wanted: mammifères exotiques invasifs

Le raton laveur n’est pas le seul mammifère exotique dont la forte présence en Wallonie est préoccupante. «La problématique des ragondins (photo) et des rats musqués est de plus en plus importante pour les rivières, souligne le biologiste Yanick Collignon. Ils sont porteurs de maladies et creusent tellement de trous dans les berges de la Semois que ça peut occasionner des risques d’éboulement.»

«En forêt de Soignes, on surveille aussi les Tamias de Sibérie, relâchés volontairement par des marchands d’animaux qui ont mis la clé sous la porte, affirme de son côté Vinciane Schockert (Demna), mais c’est surtout l’arrivée potentielle d’écureuils gris d’Amérique qui inquiète. C’est non seulement un compétiteur de notre écureuil roux pour la nourriture et les gîtes, mais il est aussi porteur sain d’un virus susceptible de le contaminer mortellement. Si l’écureuil gris était présent, il faudrait certainement lancer une campagne d’éradication, ce qui ne peut se faire qu’au tout début des stades de colonisation, quand la population est très limitée.»

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