521 morts sur les routes en Belgique: comment font les autres pays ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Plus 8%. L’an dernier, 521 personnes ont perdu la vie dans des accidents de la route en Belgique, alors qu’on en comptait 484 l’année précédente. Le nombre d’accidents ayant entraîné des dommages corporels est également en hausse, de 9%.

Les constats posés par l’Institut Vias dans son dernier baromètre de la sécurité routière n’ont rien de rassurant. Certes, depuis 2012, les progrès sont constants, avec un réduction d’un quart des victimes de la route. Et certes, en 2022, les résultats sont encourageants en Flandre, où le nombre de morts sur les routes recule de 7%. Mais ils empirent en Wallonie (+ 22%) et à Bruxelles, où le nombre de victimes tuées est passé de 6 à 15 en un an.

Avec 45 décès enregistrés sur la route, par million d’habitants (en 2021), la Belgique se classe en 12ème place dans la liste des pays de l’Union européenne. Les cyclistes, désormais plus nombreux sur les routes et les utilisateurs de trottinettes électriques représentent une part de plus en plus importante parmi les victimes. Parmi les 521 décès enregistrés l’an dernier, plus d’un sur trois concernait un piéton ou un cycliste. Mais comment font ceux qui occupent les plus hautes marches du podium, comme Malte, la Suède, la Suède ou le Danemark ?

« Il faut comparer ce qui est comparable, recadre Benoit Godart, porte-parole de l’Institut Vias. En Suède par exemple, la densité du trafic est nettement inférieure à celle que l’on observe en Belgique. Ici, un camion sur deux qui circule sur nos routes est immatriculé à l’étranger. C’est loin d’être le cas en Suède.  En outre, en Belgique, il y a un éparpillement des logements, des zonings et des entreprises qui fait en sorte qu’en dehors des villes, les usagers de la route ont, tous les 200 mètres, une raison de bifurquer ou de freiner. »

Autre particularité belge : l’absence de permis à points, d’application dans la majorité des autres pays d’Europe. La loi qui fonde son existence a pourtant été votée en 1990 mais elle n’a jamais été appliquée. Ce qui permet aujourd’hui à un automobiliste pressé et fortuné de dépasser tous les jours les limitations de vitesse, de payer les amendes prévues pour ce type d’infractions, et de poursuivre dès le lendemain sur sa lancée, sans être autrement inquiété. « Ce permis à points est le chaînon manquant de notre politique de sécurité routière », relève Benoit Godart.

On pourrait y ajouter d’autres instruments de contrôle. Lorsqu’un automobiliste au volant place son gsm sur ses genoux, il est pratiquement impossible à un agent de la circulation de le repérer. Aux Pays-Bas, des caméras reliées à une intelligence artificielle peuvent en revanche détecter l’infraction. Dans ce même pays toujours, les autorités ont eu recours à des influenceurs, en contact étroit avec une population de jeunes, pour qu’ils sensibilisent ceux-ci aux effets du gaz hilarant au volant.

La question du contrôle se pose bien sûr pour la conduite sous influence, de l’alcool ou de tout autre produit stupéfiant. En Suède, le taux d’alcoolémie autorisé au volant est de 0,2%, ce qui exclut de facto toute absorption d’alcool. « En Belgique, la norme sociale en matière d’alcool au volant doit encore évoluer », insiste Benoit Godart. Dit autrement: pour nombre de conducteurs, conduire après avoir consommé un ou deux ou trois verres d’alcool ne semble pas un problème…

La politique en matière de permis de conduire constitue un autre bras de levier intéressant. En Norvège, les cours de préparation au permis incluent des exercices de conduite sur glace (ce qui est sans doute moins capital en Belgique) mais aussi de conduite de nuit, ainsi qu’une formation aux premiers secours. En Norvège toujours, rouler en état d’ivresse, ou sans respecter les limitations de vitesse peut entraîner un retrait de permis de trois mois au minimum. En Nouvelle-Zélande, les apprentis conducteurs n’obtiennent que lentement leur permis définitif: il leur faut passer par deux stades préliminaires, dont la première de conduite supervisée, avant d’obtenir le sésame. L’introduction de ce système y a fait reculer le nombre de jeunes blessés de la route de 23%.

Le permis à points ferait-il la différence à lui seul s’il entrait en application d’ici peu en Belgique ? Il aurait certainement de l’effet, en faisant pression sur les conducteurs et sur leur responsabilité individuelle. Ainsi en va-t-il aussi du port de la ceinture de sécurité et de la conduite sans avoir bu d’alcool ni consommé de produits stupéfiants. La responsabilité des constructeurs, qui multiplient les systèmes de sécurité (airbags, avertisseur anti-collision, système de freinage ABS, démarrage conditionné au taux d’alcool du conducteur…) est également en jeu. Mais encore ?

Depuis quelques années, des spécialistes de la circulation routière et de l’aménagement du territoire prennent le problème de l’insécurité routière par un autre angle. Leur raisonnement : les erreurs humaines sont inévitables sur la route, mais il est possible de limiter le nombre d’accidents et plus encore, le nombre de victimes. Cette approche, baptisée Vision Zéro, a d’ailleurs été avalisée par les autorités suédoises, depuis 1999. Avec succès : les taux de mortalité y ont chuté de 55% entre 1994 et 2015. Elle figure aussi au centre de la politique de sécurité routière prônée par les Nations Unies.

La Vision Zéro, également appelée Approche Safe System, se penche principalement sur la sécurité que présentent les routes en elles-mêmes pour leurs utilisateurs, qu’ils soient automobilistes, motards, cyclistes ou piétons. Autrement dit, tout est-il fait pour que les utilisateurs du réseau routier arrivent entiers à destination ? Cette politique requiert une importante mobilisation des pouvoirs publics et convoque à son chevet de nombreux acteurs : urbanistes, spécialistes de la mobilité, forces de police, équipes de secours, concepteurs de véhicules, pouvoirs publics locaux… Tous doivent avoir à l’esprit que la conception et l’exploitation du réseau routier doivent pardonner l’erreur humaine.

Le Système Sûr soulève ainsi plusieurs questions :

Comment sont conçues les routes, en termes de sécurité ?

Plus elles sont larges et dépourvues d’obstacles, plus les automobilistes seront enclins à y rouler vite. Diverses études ont prouvé que la largeur des axes de circulation a un impact direct sur la vitesse de leurs usagers. Disposer de peu de place de part et d’autre de son véhicule incite en effet à rouler prudemment, pour ne toucher aucun autre véhicule. Les chicanes, ralentisseurs, casse-vitesse ont le même effet. Comme les ronds-points qui énervent tant d’automobilistes. La mise en évidence des passages pour piétons, qui peuvent être plus larges qu’actuellement, surélevés ou peints dans des couleurs plus voyantes, améliore également les conditions de circulation de ceux qui se déplacent à pied. De même, la délimitation de pistes cyclables nettement séparées de l’espace réservé aux véhicules à moteur. « En Wallonie, une fois sortis de la ville, nombre de cyclistes se retrouvent sur des voies rapides où aucune piste ne leur est réservée et où ils se font frôler par des voitures lancées à vive allure », observe Benoit Godart. En revanche, les glissières de sécurité prévues pour protéger les motards, sur certains axes, s’inscrivent bien dans l’esprit de l’approche Safe system.

Quelles sont les limitations de vitesse en place ?

Plus un automobiliste roule vite et moins il a de temps pour réagir à un événement imprévu, comme un enfant qui surgit pour traverser la route ou le freinage inattendu de la voiture précédente. On sait aussi qu’un piéton n’a que 15% de chances de survivre s’il est touché par un véhicule roulant à 50 km/h, alors que ses chances montent à 90% si le véhicule circule à 30 km/h. Une politique de limitations de vitesse n’a bien sûr de sens que si l’on veille à ce qu’elles soient respectées, avec des sanctions à la clé. Depuis 1920, en Finlande, le montant des amendes en cas d’infraction est fonction des revenus de l’usager pris en faute. En Belgique, une proposition de loi similaire vient d’être déposée. Aux Pays-Bas, la vitesse a été ramenée à 100 km/h sur autoroute. En Belgique, aucun accord n’a pu être trouvé sur ce point jusqu’ici.

Quels sont les modes de transport alternatifs ?

Rappeler l’utilité des transports en commun, tant d’un point de vue écologique que de limitation des encombrement sur la route, relève de l’évidence. « La recherche montre que plus les véhicules à moteur roulent, plus l’exposition au risque pour les conducteurs, les passagers et les autres usagers de la route est importante. Donc, si plus de gens marchent, font du vélo et prennent les transports en commun, la sécurité routière s’améliore globalement », rappellent les urbanistes, spécialistes de l’environnement et de la mobilité réunis au sein de l’association suisse Rue de l’Avenir. Les voies réservées aux bus et aux trams dans certaines grandes villes belges vont donc dans le bon sens.

Ces questions essentielles de sécurité routière ne doivent pas occulter une inéquité objective entre les pays: selon les experts du World Resources Institute for sustainable cities, 90% du 1,25 million de décès annuels dus à la circulation routière se produisent dans des pays à revenus faibles ou modérés.

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