Chute du désir sexuel: et si c'était les hormones? © Getty

« Pas envie ce soir »: comment expliquer la chute du désir sexuel ?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

L’appétit sexuel résulte d’un équilibre complexe. La testostérone, les œstrogènes et la dopamine l’augmentent, la prolactine et la sérotonine le font diminuer.

Libido dans les choux? Selon une enquête sur les Belges et leur sexualité menée par Le Vif, publiée en mars 2023, 41,4% des hommes et 35,9% des femmes sont «plutôt pas» ou «pas du tout» satisfaits de leur vie sexuelle. Conséquence logique: moins de la moitié des femmes (48,3%) jouissent toujours (18,4%) ou presque (29,9%), à la différence de 76,8% des hommes (38,4% toujours, 38,4% presque).

Un phénomène sur lequel le sociologue Jean-Claude Kaufmann s’est penché dans Pas envie ce soir. Le consentement dans le couple (éd. Les Liens qui libèrent, 2020), avec ce constat: la chute de la libido est à la fois plus fréquente et plus brutale chez les femmes. L’auteur estime, soutenu par la recherche scientifique, que chez nombre d’entre elles, le désir s’émousse au bout d’un an – un fait rapporté par deux fois plus de femmes que d’hommes. Leur libido n’est pourtant pas inférieure à celle des hommes (comme le montrent les premiers temps d’une relation), mais elle est beaucoup plus fluctuante et irrégulière (ce que l’on considère comme un désir «normal» est calqué sur une norme masculine).

Une jeune fille de 20 ans a une lubrification complète en moins de trente secondes. Après la ménopause, il faudra plus de deux minutes pour y parvenir.

L’élan sexuel se frotte à des ennemis multiples mais aussi à des facteurs physiques, à savoir les hormones, dont deux sont nécessaires à une sexualité: la testostérone, surtout, et les œstrogènes.

Tout part d’une pulsion sexuelle vouée à assurer la reproduction de l’espèce. Son apparition est commandée par la testostérone, sécrétée par les testicules et les glandes surrénales, qui, contrairement à une idée reçue, n’est pas spécifique aux hommes, mais est aussi produite par les ovaires féminins. Chez les deux sexes, c’est même l’une des hormones les plus présentes. Quant aux œstrogènes, fabriqués principalement par les ovaires, s’ils ne sont pas le moteur direct de la libido, ils y participent en stimulant la lubrification des muqueuses, rendant ainsi les rapports sexuels non douloureux.

L’âge, la première cause

L’organisme tout entier est alors tourné vers l’objectif d’un plaisir espéré. La testostérone agit dans le cerveau, en activant une série de neuromédiateurs qui déclenchent à leur tour, chez les deux sexes, une cascade de modifications corporelles destinées à permettre l’accouplement: accélération du pouls et de la pression sanguine, gonflement de la verge et du clitoris, sécrétions vaginales… Cette effervescence chimique n’est pas toujours fonctionnelle. Un taux insuffisant de testostérone altère l’appétence sexuelle. Sa diminution provoque également un manque d’énergie et une extrême irritabilité. Les ennemis de la testostérone sont le gras, l’alcool, le tabac et le manque de sommeil, qui freinent sa production. Et le stress chronique: quand le corps produit plus de cortisol, l’hormone du stress, il arrête de sécréter de la testostérone.

La contraception peut également influer sur la libido. Certaines pilules, par exemple, provoquent une baisse d’activité des ovules, ceux-ci ne produisant alors plus de testostérone. Mais l’âge reste la première cause d’un niveau de testostérone bas. Lorsque la ménopause survient (à 51 ans, en moyenne), les ovaires cessent de fonctionner et le taux de testostérone diminue brutalement, seules les glandes surrénales continuent leur production. La ménopause peut donc perturber le désir sexuel automatique. En effet, lors de l’ovulation, un pic hormonal entraîne une libido plus intense, mais disparaît avec la fin des cycles menstruels. L’explication est également physiologique: le manque d’imprégnation hormonale locale des tissus (lié à un tarissement d’œstrogènes) est très souvent responsable d’une atrophie vaginale, avec sécheresse et diminution de la lubrification. Alors qu’une jeune fille de 20 ans a une lubrification complète en moins de trente secondes, il faudra plus de deux minutes pour y parvenir après la ménopause.

Entre 50 et 60 ans, l’homme aussi connaît une baisse hormonale, appelée «déficit androgénique», c’est-à-dire une baisse progressive de la production de testostérone. Elle peut s’accompagner de désagréments potentiels: baisse de la libido, trouble de l’érection, prise de poids, perte musculaire, diminution de la pilosité, etc. En réalité, ce phénomène débuterait autour de la trentaine, à raison d’une baisse annuelle moyenne de 1%, sans effet notable. Avant d’affecter, en vieillissant, certains hommes. Difficile de déterminer précisément sa prévalence: l’andropause toucherait 1% à 5% d’entre eux entre 40 et 50 ans, 5% à 10% entre 50 et 60 ans, plus de 20% des 60 ou 70 ans et plus de la moitié après 70 ans, selon les estimations.

La chute de la libido est une banalité dont on parle peu, voire pas du tout. Un secret de Polichinelle.

Une autre hormone, la prolactine, qui enclenche l’allaitement et est sécrétée par la glande hypophysaire, joue un rôle majeur dans l’appétit sexuel. Pas si rare, un taux anormalement élevé – même chez la femme qui n’allaite pas et chez l’homme – inhibe la production des hormones sexuelles. Les répercussions diffèrent selon les sexes. Chez la femme, on observe des troubles du cycle menstruel et, parfois, la disparition totale de l’ovulation. L’hyperprolactinémie est l’un des troubles hormonaux les plus fréquents à l’origine d’une infertilité féminine. L’homme, lui, souffre de troubles de l’érection. Les causes d’un excès de prolactine ne sont pas entièrement élucidées, mais les chercheurs ont identifié certains dérèglements. Ceux-ci sont souvent dus à la prise de médicaments (antiémétiques, neuroleptiques, antidépresseurs, antihypertenseurs, anxiolytiques…), à la présence d’une tumeur bénigne (adénome) de l’hypophyse, une glande située à la base du cerveau, ou à une hypothyroïdie.

Désir sexuel: pas seulement les hormones

Testostérone, prolactine… les hormones ne sont pas seules à jouer un rôle dans l’appétit sexuel. Le cerveau intervient également. Ainsi, la sérotonine et la dopamine, à la fois hormones et neurotransmetteurs, influencent le désir et le plaisir. Un excès de sérotonine peut altérer la libido. Bien connu, celui-ci est l’un des effets secondaires des antidépresseurs. Ces molécules, dont fait partie le célèbre Prozac, sont appelées «inhibiteurs sélectifs de la recapture de sérotonine», c’est-à-dire qu’elles augmentent artificiellement dans les neurones la concentration de la sérotonine, parfois appelée «molécule du bonheur», aident à se sentir bien, à former des projets et à ne pas broyer du noir. Le revers de la médaille est qu’elles perturbent la sexualité.

A l’inverse, la dopamine favorise la motivation sexuelle. Certains neuroleptiques, utilisés dans le traitement de troubles du comportement, neutralisent l’action de la dopamine dans le cerveau: la dopamine demeure présente mais ne sert plus à rien. Les circuits du désir sexuel sont au repos.

Bien sûr, il n’y a pas que les hormones. Un désir peut s’émousser à cause de la fatigue, la routine, l’ennui, les injonctions, le stress, la charge mentale, les tracas professionnels… La chute de la libido est une banalité dont on parle peu, voire pas du tout. Un secret de Polichinelle. Mais dans ce cas, ce n’est pas un endocrinologue qu’il faudrait consulter.

10 fois +

En moyenne, l’organisme masculin produit dix fois plus de testostérone que l’organisme féminin.

8 à 10 fois +

Les femmes produisent, en moyenne, huit à dix fois plus d’œstrogènes que les hommes.

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Il existe une centaine d’hormones. Fabriquées dans les glandes endocrines, ces molécules chimiques messagers agissent à distance, par voie sanguine, sur des organes cibles, dont elles régulent, stimulent ou calment le fonctionnement. Elles ne sont pas toutes vitales, mais toutes ont un rôle. La plus indispensable est l’insuline, produite par le pancréas. Elle transfère le glucose, notamment vers les cellules hépatiques et musculaires.

Trop de sport nuit à la libido

La testostérone est inscrite sur la liste des substances et des méthodes interdites en compétition de l’Agence mondiale antidopage. Elle est considérée comme un agent anabolisant. Le terme «anabolisant» signifie qu’elle augmente la masse musculaire, d’où l’attrait des sportifs pour la substance, notamment chez les culturistes. La testostérone améliore aussi les performances physiques, l’énergie et pourrait booster la sensation de «puissance».

D’ailleurs, il est conseillé de ne pas faire de sport en excès. Chez les hommes, des enquêtes ont montré que certains marathoniens présentent des troubles de l’érection. En s’entraînant énormément, leur taux de testostérone chute. En cause? Des entraînements intensifs ou longs poussent les muscles à consommer toute la testostérone présente dans le corps.

Chez les femmes, un entraînement intensif régulier, en particulier dans la course à pied ou les sports d’endurance, peut engendrer une maigreur et des troubles du cycle menstruel qui se traduisent par une absence de règles. Or, ces perturbations hormonales ont des conséquences très importantes sur la sécrétion de prolactine, hormone influençant la libido.

Moralité: niveau libido, mieux vaut choisir un(e) sportif(ve) du dimanche que de haut niveau.

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