Carte blanche
OQT, le dangereux amalgame
Cela n’aura échappé à personne, tant l’information est relayée dans les médias et sur les réseaux sociaux : Abdesalem Lassoued, le terroriste qui a ôté la vie à deux personnes lundi 16 octobre à Bruxelles, se trouvait en séjour irrégulier en Belgique et était sous le coup d’un ordre de quitter le territoire (OQT) qui n’avait pas été exécuté, puisqu’il se trouvait toujours sur le territoire belge.
Un ordre de quitter le territoire est une décision administrative délivrée de manière quasi-automatique aux étranger.es en situation de séjour illégal, notamment lorsque ces dernier.es sont débouté.es de leur procédure d’asile. Une telle décision est susceptible de recours et peut donc être annulée par le Conseil du contentieux des étrangers (CCE), la juridiction administrative dédiée au contentieux des étrangers. Depuis lundi, on peut lire des articles et publications consacrés au nombre d’OQT délivrés en 2022 et 2023, au nombre d’entre eux qui ont effectivement été exécutés, mais aucune mention n’est faite du nombre d’OQT annulés par le CCE, en raison de leur illégalité. Pourquoi ?
Les OQT et la quasi-automaticité avec laquelle ils sont distribués par l’Office des étrangers, tant aux personnes qui représentent une menace pour la sécurité publique – et elles sont minoritaires – qu’aux autres – hommes, femmes, familles dont l’avenir dans le pays d’origine est incertain et dont il ne peut être garanti, même en cas d’issue négative de leur procédure d’asile, qu’iels peuvent retourner de manière sûre dans ledit pays d’origine – sont le fruit d’une politique migratoire, belge et européenne, qui se veut de plus en plus dure et de moins en moins humaine.
Établir un lien, de manière aussi partiale et peu nuancée, entre le terrorisme, fruit de la folie extrémiste, et les personnes en situation de séjour illégal, c’est inaudible, mais c’est surtout très dangereux.
Dangereux parce que ça crée un amalgame entre des meurtrier.es et des personnes aussi innocentes que vous et moi sur la seule base d’un bout de papier – une autorisation de séjour – qui leur manque ;
Dangereux parce que ça ouvre la voie de l’instrumentalisation aux politiques de droite et d’extrême droite qui se servent de l’évènement dramatique de lundi soir pour crédibiliser des politiques racistes et même illégales ;
Dangereux parce que ça déplace le débat de la lutte contre le terrorisme et donne au public l’illusion que gestion du terrorisme et gestion de la migration se confondent ;
Ce n’est pas le cas et penser le contraire, c’est nourrir un système raciste.
Eléonore Verdussen
Avocate en droit des étrangers au barreau de Bruxelles
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