Même sur un sujet aussi futile que l’Eurovision, l’importation du conflit entre Israel et la Palestine bat son plein. Désormais, qui ne vote pas pour la chanson israélienne est passible d’excommunication.
Tout est objet de guerre culturelle, spécialement les conflits importés. Les deux meilleurs importateurs de conflits de Belgique, le Flamand Theo Francken et le Wallon Georges-Louis Bouchez, inoxydables héros de la bien-pensance, fins grossistes du biais de sélection, habiles épiciers du paralogisme, ont lancé leur périodique polémique électoraliste le week-end dernier, sur l’Eurovision, Israël et la Palestine.
Au moins cette fois ont-ils contribué à l’avancement de la science commune, en définissant enfin précisément ce qu’était le peuple et en caractérisant tout aussi scientifiquement ce que sont les élites.
Jusqu’à présent, sur ce conflit, ils s’étaient contentés de traiter d’antisémites électoralistes tous ceux qui trouvaient qu’Israël y allait un peu fort depuis les événements du 7-Octobre, sans même parler d’avant.
Les deux ont en commun un grand sens des priorités, l’un s’était insurgé contre une personne dont le prénom était Jihad, l’autre s’était révolté contre la sauce carbonara halal, et ils ont le nez fin. D’ailleurs, ils trouvent qu’on en fait beaucoup trop sur Gaza et pas assez sur l’Eurovision, et que la seule chose que le peuple belge devait faire sur les deux questions était de voter pour la chanson de la chanteuse israélienne. Dans leur monde parallèle, qui est paradoxalement toujours plus éloigné du réel mais a toujours plus d’influence sur ce dernier, le peuple, donc, se définit ainsi comme ceux qui à l’Eurovision ont voté pour la chanson de la chanteuse israélienne à l’exception de tous les autres; et les élites, ce sont ceux qui n’ont pas voté pour elle, puisque dedans il y a ceux qui n’aiment pas les Juifs.
Mais aussi ceux qui n’ont pas regardé l’Eurovision, ceux qui ont manifesté pour la Palestine l’autre dimanche, ceux qui estiment qu’on n’est pas obligé de voter pour Israël quand on n’aime pas une chanson chantée par une chanteuse israélienne, et aussi ceux qui se fichent d’Israël et de la Palestine autant que de l’Eurovision. Dans leur vision manichéenne du bien et du mal, il n’y a que de mauvaises raisons de ne pas avoir voté pour la chanson de la chanteuse israélienne, et cela enferme dans la catégorie scientifique du camp du mal, celui des élites. Tandis qu’il n’y a que de bonnes raisons d’avoir voté pour la chanteuse israélienne, c’est le camp du bien, c’est le peuple, d’ailleurs Alain Destexhe a lui-même fait campagne pour la chanson de la chanteuse israélienne et s’est vanté d’avoir voté 20 fois pour elle.
Ce peuple si pur, en guerre culturelle contre les méchantes élites corrompues, assoiffé d’art ou de justice, a dégainé ses sms parce qu’il avait flashé sur cette chanson de la chanteuse israélienne, à la rigueur parce qu’il déteste les antisémites, mais surtout pas parce qu’il pense qu’Israël est la pointe avancée de l’Occident en lutte contre l’envahisseur arabe, et que là-bas ça tape bien comme il faut sur les musulmans, leurs prénoms qui font peur et leur carbonara sans guanciale. Sinon, Alain Destexhe ne se serait jamais vanté d’avoir voté 20 fois pour elle.