Carte blanche

« En ce début d’année scolaire, je ne vous souhaite pas la réussite »

« La réussite pour elle-même est l’inverse de l’apprentissage », estime Sofia Injoque Palla, professeure de français et espagnol à l’Athénée Royal de Pont-à-Celles, qui rappelle à ses élèves que la vraie réussite est « d’apprendre, d’apprendre à apprendre et de s’épanouir pour devenir soi ».

« Chers élèves,

Cette année, mon petit mot de rentrée, mon billet de bienvenue vous étonnera sans doute. En ce début d’année scolaire, je ne vous souhaite pas la réussite. Je ne vous souhaite pas de réussir à tout prix. Car, après le mot « bienveillance », galvaudé jusqu’à l’insulte, c’est le terme « réussite » qui me provoque des saignements d’oreille.

Et pourtant, … l’école de l’excellence vise la réussite pour tous ! La réussite est le Graal de notre enseignement ! Le Pacte est la boussole qui nous y mènera ! La réussite est une obsession tant chez les comptables des cabinets ministériels (le cout du redoublement est exorbitant) que chez les élèves. Nous, professeurs, sommes pris en étau (voire en otages) entre les feuilles de route des uns et les aspirations légitimes des autres. Les formations obligatoires nous martèlent la parole de ce Nouvel Evangile : tout notre travail doit viser la réussite des élèves ! Or, l’échec noircit de son ombre cet horizon idyllique. Malgré les réformes et la bienveillance institutionnelles, le taux d’échec demeure important, y compris en rhéto. C’est incompréhensible. Quelle est la cause de cette débâcle qui remplit les élèves de frustration, les parents de colère et les professeurs de désespoir ? La réussite, pardi !

Echec et réussite sont les deux faces d’une même pièce, des spectres jumeaux qui hantent le parcours scolaire des enfants et des adolescents. Pris comme fin en soi, ils empoisonnent l’estime personnelle et sabotent les leçons dont ils sont porteurs. L’échec, surtout, offre une merveilleuse leçon de vie. Dans son essai « Les vertus de l’échec », Charles Pépin démontre comment l’insuccès a permis à de grands talents de devenir précisément ce qu’ils sont devenus. L’échec vu comme la révélation d’une difficulté à dépasser ou d’une adaptation nécessaire est un allié précieux dans le cursus scolaire… et prépare, de surcroit, à adopter une attitude positive et constructive dans la vie en général. Samuel Beckett soulignait déjà sa valeur et l’opportunité que celui-ci représente : « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Echoue encore. Echoue mieux. »

« Quelle est la cause de cette débâcle qui remplit les élèves de frustration, les parents de colère et les professeurs de désespoir ? La réussite, pardi ! »

Au contraire, considérer l’échec comme une finalité conduit à la frustration, à la colère, à la contestation systématique des décisions des conseils de classe et dans certains cas, hélas encore d’actualité, pousse jusqu’à l’agression du professeur jugé responsable de l’échec de l’élève.

La réussite pour elle-même est l’inverse de l’apprentissage. Elle est un succès, certes, mais qui peut être obtenu par la mémorisation (sans compréhension), la chance ou la tricherie. Contrairement à l’apprentissage, la réussite ne garantit pas l’acquisition de connaissances et de savoir-faire. Elle ne nécessite pas l’investissement de l’élève dans ses apprentissages. Pire, la course à la réussite pour elle-même évacue le sens des matières enseignées et, in fine, ôte leur valeur aux diplômes de fin de secondaire. L’enseignement passe et traverse l’élève passif et désengagé pour le laisser ignorant et creux malgré le CESS en poche. L’hécatombe en première année du supérieur atteste de cette inaptitude à apprendre, à étudier et à gérer une quantité importante de matière.

La réussite à tout prix induit chez les esprits opportunistes et procéduriers (souvent les moins travailleurs, aussi) l’application de la maxime : « La fin justifie les moyens ». Ainsi, certains concentrent toute leur énergie … à ne rien faire, justement, puisque d’autres moyens que le travail sont mis en place pour obtenir des points. Les points… les marches qui mènent à la glorieuse réussite. L’obsession qu’ils suscitent, les calculs qu’ils génèrent reflètent bien la confusion chez certains élèves entre réussite et apprentissage. Seuls comptent les points. La réponse erronée ou l’incompréhension voire l’ignorance totale de l’élève face à la matière n’a aucune importance. Exit le sens, contre tout bon sens.

  • La Renaissance ? : « quelque chose ou quelqu’un qui renait. »
  • « La création d’Adam » ? : « une peinture de droit divin de Michel l’ange qui montre Zeus et ses femmes. »

La méprise sur la valeur des points dégrade également la confiance et l’estime que les élèves ont d’eux-mêmes. Les points ne sont que le reflet de la compréhension d’un sujet, de la connaissance d’une matière ou d’une compétence dans un domaine précis. Plus ils sont élevés plus grande est la maitrise, plus profond l’apprentissage. Les points sont le thermomètre de l’instruction. Et surtout, les notes sont le fruit d’un travail, votre travail, chers élèves. Il est donc aberrant de dire « merci » au prof qui vous rend une copie bien notée. C’est vous-même que vous devez remercier, pour votre implication, vos efforts, votre labeur. Il est tout aussi absurde d’en vouloir au prof qui vous rend un travail au résultat décevant. Un échec dans votre scolarité est une marche qui vous élève vers une meilleure connaissance de vous-même et vous permet de mieux rebondir. On ne vous demande pas d’être le meilleur dans toutes les matières mais de donner le meilleur de vous-même dans votre parcours d’apprentissage.  Car la finalité de ce parcours, c’est vous. On ne vous demande pas d’aimer tous les cours mais de vous efforcer d’y trouver un intérêt, votre intérêt qui est aussi votre capacité à apprendre et à vous émerveiller. Réussir ou apprendre, telle est la question…

En ce début d’année scolaire, je ne vous souhaite pas la réussite. Je ne vous souhaite pas de réussir à tout prix. Je vous souhaite d’apprendre, d’apprendre à apprendre, de vous dépasser, de vous relever après un échec, de comprendre vos erreurs, de savourer vos victoires, d’être fiers de vous et de votre réussite bien méritée. D’avoir confiance en vous. De vous sourire à vous-même et à votre avenir. De devenir la personne que vous rêvez d’être.  « Deviens qui tu es », disait Nietzsche. La seule vraie réussite dans le métier de professeur est celle de vous voir devenir qui vous êtes grâce aux graines semées dans nos cours. Cultivez ce qu’on y a semé, arrosez et chérissez votre jardin. Epanouissez-vous. Bonne rentrée, chers élèves. »

Le titre est de la rédaction. Titre original: Réussir ou apprendre?

Par Sofia Injoque Palla, professeure de français et espagnol à l’Athénée Royal de Pont-à-Celles.

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