Pierre Havaux

Vent du Nord de Pierre Havaux: Sanda Dia victime d’une justice de classe, le débat qui enflamme la Flandre

Pierre Havaux Journaliste au Vif

Coupables d’avoir soumis Sanda Dia, un étudiant métis, à un mortel bizutage. Condamnés pour ce drame à des peines de travail et à de légères amendes. C’est l’histoire d’un verdict qui met en émoi la Flandre pour sa clémence envers une poignée de fils de bonne famille membres du cercle Reuzegom. Manifs de protestation, divulgation des noms des condamnés par un youtuber, politiques sous pression, justice au rapport. Ou comment une sentence vire au procès d’une présumée justice de classe.

«Klassenjustitie». La Flandre a plébiscité le mot du mois. La justice de classe a fait son office, a jeté le masque. Non pas en gratifiant d’une impunité un gros bonnet de la finance au terme d’une énième affaire de fraude fiscale impossible à juger dans un délai raisonnable. Mais pour s’être montrée d’une insoutenable indulgence envers des fils de bonne famille, des privilégiés de la société flamande soudés au sein d’un cercle estudiantin à vocation élitiste baptisé Reuzegom. Deux cents à trois cents heures de travaux d’intérêt général, 400 euros d’amende, un casier judiciaire indemne: la vox populi a tranché, c’est bien trop peu et bien trop scandaleux pour le sort réservé à un étudiant métis de la KU Leuven qui n’est pas sorti vivant du rite initiatique particulièrement barbare qui lui fut infligé en 2018 (Le Vif du 8 juin).

D’une commotion jaillissent toujours de lumineuses idées.

La justice de classe a son martyr. Un peu partout, on se lève pour Sanda Dia, secoué par cet arrêt rendu par la cour d’appel d’Anvers. On a battu le pavé jusque devant les grilles de l’ambassade belge à La Haye, où l’on a scandé «Sanda Dia – Black Lives Matter, même combat». Les tribunes d’opinion s’accumulent, les spécialistes de la science du droit se répandent pour commenter un verdict qui ne passe pas. On glose sur la dimension possiblement raciste du supplice et sur l’incitant au «lynchage» commis par le Youtubeur Acid qui a jugé bon de balancer sans vergogne des noms honteusement tus. Depuis, à Gand, les autorités n’en finissent plus d’effacer les identités de Reuzegommers sur un mur du centre-ville.

La justice de classe n’a qu’à bien se tenir. Elle a désormais son site, klassenjustitie.be, qui se promet de la déceler à coups de statistiques en appelant les bonnes volontés à les alimenter.

Tout le monde a son avis sur la question ou est prié d’en avoir un. Les politiques bien sûr, sommés de se positionner. Certains ont pris les devants. Sammy Mahdi, président du CD&V, a ouvert la voie, par vidéo interposée sur TikTok, pour un soutien d’un goût jugé douteux à Acid-la-balance, autoproclamé redresseur de torts et amateur de chasse aux sorcières.

Ainsi s’est emballée l’affaire, relancée dans les enceintes parlementaires par un PTB dans son élément. Jusque dans celle de la Fédération Wallonie-Bruxelles, où la ministre en charge de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny (MR), a rappelé qu’il ne lui appartenait certes pas de commenter une décision judiciaire mais que, tout de même, l’émotion ambiante ne la laissait pas insensible et qu’elle ne fuirait pas sa responsabilité «de tout faire pour que des cercles racistes et sexistes, comme le cercle Reuzegom, n’émergent pas» dans un espace francophone à sa connaissance épargné par ce fléau.

Grand moment de solitude pour le pouvoir judiciaire, alors que le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), descendait sur le terrain auprès d’étudiants louvanistes déboussolés. Et des magistrats gantois, soudain mus par une nécessité de faire mieux comprendre leur ingrat métier, de tendre à leur tour une main vers les élèves du secondaire pour débattre de ce qui doit faire sens dans l’acte de rendre une bonne justice. Sale temps, dans ce climat houleux, pour le folklore étudiant qui craint pour ses jours. En pleine tourmente, la section anversoise de la fédération catholique estudiantine s’est risquée à revendiquer le droit régulé au baptême qu’un de ces commentateurs éclairés de la presse flamande appelait à boycotter. D’une commotion jaillissent toujours de lumineuses idées.

Pierre Havaux est journaliste au Vif.

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