Carte blanche

Comment expliquer la résilience de l’économie de la Russie (chronique)

Malgré deux ans de conflit en Ukraine et plusieurs trains de sanctions, la croissance a atteint 3,6% en 2023 en Russie, passée en «économie de guerre».

Alors qu’on pensait qu’après deux ans de guerre intense en Ukraine et plusieurs trains de sanctions (le dernier et treizième a été pris le 23 février 2024), l’économie Russe s’effondrerait et obligerait son gouvernement à signer un traité de paix, celle-ci fait preuve d’une très grande résilience. Selon le FMI, la croissance russe a atteint 3,6% en 2023 et devrait rester supérieure à 3% en 2024. Dans le même temps, le PIB dans la zone euro n’a augmenté que de 0,4% en 2023 et sa progression ne devrait pas dépasser 1% en 2024. Quels facteurs peuvent expliquer cette croissance russe insolente?

Tout d’abord, la Russie est entrée en économie de guerre, c’est-à-dire que l’Etat va mobiliser entièrement les facteurs de production pour atteindre son objectif militaire. Comme au cours des deux guerres mondiales, le gouvernement russe a massivement investi dans le complexe militaro-industriel, multipliant par trois ses dépenses entre 2021 et 2024 dans ce secteur, qui représentent désormais 30% du total des dépenses fédérales. Cette impulsion budgétaire, estimée à presque 4% du PIB, stimule immanquablement la demande. Le déficit public associé reste sous contrôle (autour de 2% du PIB) grâce au fonds souverain, qui avait été approvisionné par les recettes pétrolières et gazières avant l’invasion de l’Ukraine.

Une aide encore plus importante des Brics serait nécessaire à la Russie si l’état de guerre devait se maintenir.

Ensuite, les sanctions occidentales n’ont pas eu l’effet escompté. Même si les importations de pétrole russe vers l’Europe ont été réduites de plus de 90% et que le prix du baril de brut a été plafonné à 60 dollars, la Russie peut compter sur l’aide des Brics, qui représentent maintenant presque que 40% du PIB mondial. L’Inde, par exemple, a multiplié ses achats de pétrole russe par quatorze. Les échanges entre la Chine et la Russie ont bondi de 26% l’année dernière. Résultat: la perte de revenu pétrolier a été limitée (autour de 14%) et la balance commerciale russe reste excédentaire, même si elle est retombée à dix milliards de dollars au quatrième trimestre 2023, un niveau historiquement faible.

L’état de guerre a donc généré un choc positif du côté de la demande, stimulant la croissance à court terme, bien aidé par les revenus pétroliers. Néanmoins, les nuages s’accumulent. En effet, l’offre ne suit pas cette augmentation de la demande. La guerre a entraîné la fuite de nombreux cadres qualifiés avec pour conséquence une pénurie de main-d’œuvre, difficilement substituable par de la main-d’œuvre chinoise, indienne ou à des salaires plus élevés. De même, les investissements étrangers directs des pays occidentaux se sont taris. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande génère de l’inflation (autour de 8% en 2023), obligeant la Banque centrale russe à mettre en place une politique restrictive avec des taux d’intérêt de 16%. Une aide encore plus importante des pays Brics serait donc nécessaire à la Russie si l’état de guerre devait se maintenir dans le plus long terme.

A court terme, la Russie possède donc un avantage économique certain et les pays occidentaux auraient tort de compter sur son effondrement pour espérer la fin du conflit. A long terme, le constat est plus mitigé, mais il est loin de constituer un espoir pour les Ukrainiens.

Bertrand Candelon est professeur de finance à l’UCLouvain et directeur de recherche – Louvain Finance.

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