Anne Lagerwall

Marwa, une jeune femme face aux talibans (chronique)

Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

En Afghanistan, le statut des femmes compte toujours parmi les pires au monde. Récemment, les talibans leur ont interdit l’accès à l’université. Marwa, 18 ans, ne craint pas la violence de leur réaction : devant l’université de Kaboul, elle les défie.

Le 26 décembre 2022, Marwa se poste seule devant l’université de Kaboul face aux gardes qui en contrôlent l’entrée, tenant une pancarte qui signale sa désapprobation de la récente interdiction faite aux femmes, par les talibans, d’y être formées. Du haut de ses 18 ans, elle ne craint pas la violence. A force d’en être témoin, elle sait peut-être mieux que quiconque comment la déjouer.

Marwa est née après la chute des talibans provoquée par l’opération militaire «Liberté immuable» lancée par les Etats-Unis en réaction aux attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par le réseau Al-Qaeda toléré, voire soutenu, en Afghanistan. Les forces étrangères y sont restées pendant vingt ans pour y mener une «guerre contre la terreur» et stabiliser le pays. Marwa a peut-être croisé des soldats venus des Etats-Unis ou d’un autre des cinquante Etats, majoritairement occidentaux, qui y ont été déployés de 2001 à 2021. Cette période est marquée par une amélioration du statut des femmes, leur permettant notamment de recouvrer des droits qui leur avaient été ôtés et d’accéder à des professions qui leur étaient fermées.

A force d’en être témoin, elle sait peut-être mieux que quiconque comment déjouer la violence.

Si ces avancées n’ont pas vraiment bénéficié aux Afghanes vivant en milieu rural, Marwa a pu aller à l’école à Kaboul. Cela dit, la sécurité de sa ville n’a jamais été garantie. Et elle a certainement connu des difficultés pour accéder à l’eau potable ou aux soins de santé, sans compter les fréquentes coupures d’électricité. Et puis, le conflit n’était jamais loin. Le gouvernement, soutenu par les forces de l’Otan, entre autres, est toujours resté aux prises avec les talibans et engagé dans cette «guerre contre la terreur» dont l’université Brown, aux Etats-Unis, estime qu’elle a fait 46 319 victimes civiles entre 2001 et 2021. Ce chiffre a augmenté surtout à la fin du mandat du président Obama et au début de celui de Trump. Selon le ministère afghan de la Santé publique, plus de la moitié de la population afghane souffre de dépression ou d’anxiété grave liée aux violences du conflit.

La maman de Marwa est née sous le régime communiste mis en place en 1978. Ce régime octroie des droits aux femmes, y compris celui de ne pas être contraintes au mariage, et entend garantir leur alphabétisation ainsi que leur accès à l’éducation. Les soldats de l’URSS sont présents pour soutenir le gouvernement contre les moudjahidins assistés par les Etats-Unis. La maman de Marwa a peut-être croisé l’un des 600 000 soldats de l’Armée rouge envoyés entre 1979 et 1989 ou l’un des nombreux jihadistes venus de Syrie ou d’Irak pour prêter main-forte aux moudjahidins. Elle se souvient sans doute des attaques visant les soldats russes par une population qui désapprouvait leur présence et a peut-être assisté à des arrestations ciblant les opposants au régime communiste. Dans les années 1990, elle a vu les talibans accéder au pouvoir.

Le respect pour les droits des femmes afghanes mérite toute notre attention. Lima Halima Ahmad, chercheuse au Fletcher Center for Security Studies, rappelle toutefois que leur sort a été utilisé par le passé pour justifier tantôt des interventions militaires étrangères dont les effets déstabilisateurs ne servent pas forcément leur cause sur le long terme, tantôt des programmes d’aide dont les contours sont parfois forgés par ce que les bailleurs de fonds imaginent être leurs besoins. Le meilleur moyen pour que les talibans prennent les femmes au sérieux ne serait-il pas, comme elle le suggère, de veiller à le faire nous-mêmes?

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