Ayman Al-Zawahiri avait pris la tête d'Al-Qaïda après la mort d'Oussama Ben Laden en 2011. © Getty Images

L’étrange silence d’Al-Qaïda sur le successeur du défunt Zawahiri

Son fondateur, Oussama Ben Laden, avait incarné le jihad mondial et inspiré une génération d’activistes. Depuis cinq mois, Al-Qaïda est pourtant privé de figure tutélaire et s’abstient d’admettre la mort, annoncée par Washington, de son chef Ayman al-Zawahiri.

Le 2 août, le président américain Joe Biden avait annoncé avoir tué le jihadiste égyptien en Afghanistan par une frappe de drone. Depuis, les médias officiels de la centrale jihadiste continuent de diffuser, comme la semaine dernière, des messages audio ou vidéo non datés du peu charismatique leader à la longue barbe blanche.  Sans confirmer, ni infirmer sa mort.  « C’est vraiment bizarre. Un réseau ne fonctionne qu’avec un leader. Il faut une personne autour de laquelle tout s’articule », observe pour l’AFP Hans-Jakob Schindler, le directeur du centre de réflexion indépendant Counter-Extremism project (CEP).

Toutes les options ou presque restent ouvertes. « Il se pourrait bien sûr que les Etats-Unis aient tort à propos de sa mort », relevaient début décembre les chercheurs Raffaello Pantucci et Kabir Taneja sur le site Lawfare. Ils rappelaient que les annonces de l’exécution de cadres jihadistes majeurs, réapparus ensuite, avaient déjà frappé les Occidentaux. « Cela semble improbable vue la confiance avec laquelle le président Biden a évoqué la frappe », relevaient-ils pourtant. 

L’hypothèse Saïf al-Adl

Autre hypothèse, le groupe aurait échoué à contacter le successeur présumé de Zawahiri, son ex-numéro deux, Saïf al-Adl. Cet ancien lieutenant-colonel des Forces spéciales égyptiennes s’était engagé dans les années 1980 au sein du Jihad islamique égyptien (JIE). Arrêté une première fois puis relâché, il avait gagné l’Afghanistan et rejoint Al-Qaïda, à l’instar de Zawahiri, dont il était devenu le numéro deux. Mais al-Adl est régulièrement décrit comme se cachant en Iran, la république islamique chiite n’affichant guère de sympathie pour le mouvement ultra-radical sunnite. Il « vit clairement dans un environnement dangereux et contraint », assuraient les deux chercheurs.  Pour M. Schindler, « Saïf est une responsabilité mais aussi un atout pour le régime iranien« . Téhéran pourrait, au gré de ses intérêts, le livrer aux Américains ou au contraire le laisser les frapper. 

Autre scénario encore, le silence d’Al-Qaïda serait imposé par les talibans. Zawahiri a été abattu dans un quartier cossu de Kaboul, où les maîtres de l’Afghanistan ne pouvaient ignorer sa présence. « Leur décision de ne pas commenter (son exécution) pourrait relever de leurs efforts pour gérer leurs relations fragiles mais profondes avec Al-Qaïda », tout en ménageant Washington à qui ils ont promis de ne pas laisser le groupe agir à sa guise.   Al-Adl pourrait aussi être mort. Ou se terrer, pour éviter le sort de son prédécesseur et des deux chefs du groupe jihadiste rival et ennemi juré Etat islamique (EI), tués à huit mois d’intervalle en 2022.

Faible importance opérationnelle

A l’évidence, rien n’est limpide au sein d’une organisation désormais bien différente de celle qui a perpétré les attentats du 11-septembre 2001 aux Etats-Unis. La « marque » a essaimé ses filiales, du Levant jusqu’en Afrique en passant par l’Asie du Sud. Mais elles sont éminemment plus autonomes vis-à-vis de la centrale que par le passé, dans leurs opérations, leurs financements et leurs stratégies, calquées sur les réalités locales des territoires qu’elles investissent.

A cet égard, le silence du groupe sur l’après-Zawahiri, lui même désigné seulement six semaines après la mort de Ben Laden, « reflète l’importance limitée de la centrale d’Al-Qaïda. C’est un symbole unifiant les groupes à travers les frontières mais sa pertinence opérationnelle est faible », assure Barak Mendelsohn, professeur à l’université Haverford de Pensylvannie.  Ce vide du pouvoir « n’est pas très significatif », ajoute à l’AFP ce spécialiste du groupe.

De ce point de vue, Al-Qaïda et l’EI partagent des difficultés assez semblables.  En novembre, cette dernière avait annoncé la mort de son chef, l’Irakien Abou Hassan al-Hachimi al-Qourachi, désignant dans la foulée Abou Al-Hussein al-Husseini al-Qourachi. Derrière deux pseudonymes au patronyme identique, deux hommes se réclamant de la tribu du prophète Mahomet, avec la légitimité qui en découle comme « calife autoproclamé » des musulmans.

« Bien que l’EI ait élu de nouveaux califes, personne n’avait jamais entendu parler d’eux. Pour autant, les filiales sont restées loyales et continuent de prêter allégeance à un calife inconnu », relève Tore Hamming, politologue danois au Département des études de la guerre du King’s College de Londres. « Pour Al-Qaïda, cela pourrait être la même chose, avec un simple conseil de hautes personnalités jouant le rôle d’un émir », ajoute-t-il. Le brouillard entourant le groupe conserve toute son opacité. Malgré plus de 30 ans d’existence, Al-Qaïda n’avait connu qu’une succession, souligne-t-il pour l’AFP, suggérant des procédures fragiles. Et la seule certitude du chercheur est qu’il n’en a pas. « Nous ne savons absolument rien de ce qui se passe au sein d’Al-Qaïda en termes de procédures d’élection d’un nouveau leader ».

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