Franklin Dehousse

« Les grincements montent à Washington sur la faible contribution des Européens à la guerre en Ukraine »(chronique)

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Plus qu’aux élections américaines de mi-mandat, les Européens devraient se soucier de la vision des Américains sur leurs positions par rapport à l’Ukraine.  

Il existe différentes façons d’interpréter les élections américaines de mi-mandat de 2022. D’un côté, on célèbre le recul de la contestation générale des résultats, l’élimination de la plupart des candidats locaux niant l’élection de Joe Biden en 2020, et une certaine insatisfaction de Donald Trump.

D’un autre côté, on note que tous les adversaires républicains de Trump ont été éliminés, et que pas un seul sénateur républicain élu ne s’est opposé à lui. Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, nouveau grand espoir, est présenté comme une version policée de Trump, rien de plus. De façon paradoxale, la personne de Trump sort affaiblie, mais le mouvement trumpien renforcé.

Les grincements montent à Washington sur la faible contribution des Européens à la guerre en Ukraine.

Certes, le contrôle de la Chambre ou du Sénat a des implications. Néanmoins, sur le plan sociologique, dans les votes, peu de choses ont changé, comme, d’ailleurs, en 2018 et 2020. Les Etats-Unis sont profondément divisés en deux camps, avec une polarisation grandissante. Pour les Européens, cela n’en fait pas un allié stable ou sécurisant. Même si elles ont été reportées de deux ans, les mêmes incertitudes reviendront lors de l’élection présidentielle de 2024 (elles seront encore accrues si une crise survient en Asie avec la Chine, en cas de candidature possible de Joe Biden, à 80 ans, ou si des renouvellements au Sénat sont cette fois plus défavorables aux démocrates).

Les gouvernants européens ont choisi de privilégier la vision positive, parce que cela leur permet de reporter – une fois encore – des choix difficiles. Vues de Bruxelles, les élections américaines sont présentées comme une consécration de la solidarité atlantique. Pareille présentation constitue toutefois une erreur, pour plusieurs raisons.

D’abord, les grincements montent à Washington – et pas seulement dans le camp républicain – sur la faible contribution des Européens à la guerre en Ukraine comparée à celle des Américains. Ceux-ci ont voté un programme d’aide de 52 milliards de dollars. Les Européens demeurent nettement en dessous.

En outre, plusieurs facteurs accentuent cette dichotomie. Il faut prendre en considération la dispersion du matériel européen (qui réduit son efficacité), les formations, le caractère lent des transferts, les prêts plutôt que les dons de fonds. Avec leurs atermoiements sans fin, les dirigeants européens jouent un jeu très dangereux, car ils renforcent le discours trumpien.

Ensuite, les Etats-Unis voient bien que, comme souvent, l’Europe fait de beaux discours mais pose peu d’actes. Les dirigeants à Bruxelles célèbrent l’Europe «géopolitique», mais tout le monde s’aperçoit que la perception du risque russe reste très différente à l’est et à l’ouest de l’Europe.

L’Europe de la défense existe surtout sur le papier, comme en témoignent de multiples commandes militaires adressées à divers Etats tiers et l’absence de rationalisation de la production des Etats membres. Même dans le domaine énergétique, les Européens ne parviennent toujours pas à se mettre d’accord sur une stratégie commune, malgré l’imminence des dangers. Cela fait beaucoup de temps perdu.

En synthèse, les Européens devraient moins se soucier de leur vision des élections dans le Midwest et davantage de la vision des Américains sur leur cacophonie actuelle. Tôt ou tard, le parapluie américain crèvera, et si chacun le souligne, personne ne s’y prépare réellement.

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