Les ministres des Affaires étrangères, de la Défense et le Premier ministre feront-ils bientôt le voyage à Kiev? Ils iront «le moment venu» et avec «un projet». © belga image

La Belgique en fait-elle trop peu dans l’aide aux Ukrainiens?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Notre pays ne compte pas parmi les plus généreux en matière de soutien militaire et humanitaire à l’Ukraine depuis le début de la guerre. Ni le Premier ministre ni la ministre des Affaires étrangères ne se sont rendus à Kiev. Bientôt un sursaut?

Au classement des pays les plus généreux dans l’aide à l’Ukraine établi par l’Institut Kiel pour l’économie mondiale, la Belgique arrive en 23e position sur 31 Etats, les Vingt-Sept de l’Union européenne complétés par la Norvège, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada. Est-ce à la hauteur de la place de la Belgique au sein de l’Union et sur le continent? Notre pays en fait-il trop peu dans l’effort de guerre et l’assistance humanitaire? Etat des lieux de nos contributions et revue des questions qu’elles posent.

Des chiffres qui varient

Dans son étude (lire l’encadré en bas de l’article), l’Institut Kiel analyse les montants, arrêtés au 24 octobre, des aides militaire et humanitaire octroyées à l’Ukraine, de manière bilatérale ou via le canal de l’Union européenne pour les Vingt-Sept, et les évalue en fonction du produit intérieur brut de chaque Etat. Cela va de la Lettonie, qui y a consacré 0,99% de son PIB, à l’Irlande, qui lui a réservé 0,09% de son PIB. Pour la Belgique (0,15% du PIB), il se base sur des montants de 120 millions d’euros d’aide humanitaire et 100 millions d’aide militaire. Une évaluation sans doute un peu large car fondée peut-être sur des promesses d’aide et pas des aides réelles.

L’aide de la Belgique à l’Ukraine est scandaleusement faible par rapport à nos capacités, à notre responsabilité historique au centre de l’Europe et à notre devoir de solidarité.

A la Chambre, le Premier ministre Alexander De Croo a en effet évoqué, en réponse à une question du député Georges Dallemagne (Les Engagés), le 26 octobre, des montants inférieurs: «134 millions d’euros de support» au titre de l’aide humanitaire et militaire, «45 millions de support» fournis au plan multilatéral et, dans le cadre de la lutte contre l’impunité, un soutien financier, non chiffré, à la Cour de justice internationale. Pour aller plus dans le détail, et encore, il faut s’adresser au ministère de la Défense pour l’aide militaire, et au ministère des Affaires étrangères, pour l’assistance humanitaire.

Le ministère de la Défense évoque une enveloppe de «près de 75 millions d’euros de matériel létal et non létal». Il ne détaille pas la nature du matériel létal et les quantités fournies dans ce domaine, par souci de «discrétion». Il est un peu plus prolixe sur les équipements non létaux. Il s’agit de «camions d’évacuation médicale, d’ambulances, de vêtements d’hiver (parkas, gants, moufles), de plaques de protection balistique, de protections auditives et de camions de transport logistique». A cela, il convient d’ajouter, complète le ministère, «des unités de soins à l’hôpital militaire dans le service des grands brûlés: un patient aigu et quatre patients intermédiaires». Depuis le début de la guerre, une quarantaine d’Ukrainiens blessés ont été envoyés en Belgique et pris en charge par la Défense, avant d’être orientés vers les réseaux hospitaliers nationaux. Un même nombre de blessés seraient venus par leurs propres moyens et auraient également été accueillis dans des hôpitaux civils.

Le député Georges Dallemagne (Les Engagés) dénonce la maigreur de l’aide militaire et humanitaire belge à l’Ukraine.
Le député Georges Dallemagne (Les Engagés) dénonce la maigreur de l’aide militaire et humanitaire belge à l’Ukraine. © belga image

Du côté du ministère des Affaires étrangères, on indique que «depuis le début du conflit, l’aide humanitaire de la Belgique à l’Ukraine atteint 45 millions d’euros en cumulant les aidées allouées dans un cadre bilatéral et celles allouées dans un cadre multilatéral». Si l’on cumule les chiffres des ministères, soit 120 millions d’euros, on est proches du chiffre avancé par le Premier ministre, 134 millions, au titre de l’aide bilatérale, plus éloigné de celui qu’il a cité en la conjuguant à l’aide multilatérale, 179 millions d’euros. Dans tous les cas, ces montants indiquent bien que l’Institut Kiel pour l’économie mondiale a été bienveillant avec les chiffres attribués à la Belgique, 220 millions d’euros. Mais qu’il s’élève à 179 millions ou à 220 millions d’euros, le soutien de la Belgique à l’Ukraine n’est pas particulièrement glorieux en regard de celui apporté par la Lettonie (320 millions d’aide pour un pays de deux millions d’habitants) ou même, à plus longue distance de l’Ukraine, de celui du Danemark (390 millions d’aide, selon les chiffres de l’Institut Kiel, pour 5,8 millions d’habitants).

Un dernier chiffre pour situer la place de notre pays dans cet effort de guerre: l’assistance belge représente 0,17% de l’aide totale accordée par la communauté internationale, qui dépasse aujourd’hui les cent milliards d’euros.

Toujours pas de visite

Cette statistique est invoquée par le député Georges Dallemagne pour juger que l’aide de notre pays à l’Ukraine est «scandaleusement faible par rapport à nos capacités, à notre responsabilité historique au centre de l’Europe et à notre devoir de solidarité. Les paroles sont claires de la part du gouvernement belge mais elles ne sont pas suivies d’actes ni sur les plans symbolique et politique ni sur le plan concret.» Quand il aborde le champ du symbolique, le parlementaire de l’opposition se réfère au constat que la Belgique est l’un des rares pays de l’Union européenne à ne pas avoir encore dépêché ses chefs du gouvernement et de la diplomatie à Kiev pour exprimer le soutien du pays au peuple et aux dirigeants ukrainiens.

Des Etats membres de l’Union européenne ont déjà donné des indications sur les montants qu’ils allaient accorder dans le cadre de la reconstruction. Nous, absolument rien.

Les présidents, Premières ministres et Premiers ministres des Vingt-Sept se sont succédé en Ukraine depuis le déclenchement du conflit. Seuls la Hongrie, en raison de la poutinolâtrie de son Premier ministre Viktor Orban, Chypre, à cause d’un différend avec Volodymyr Zelensky sur sa non-dénonciation de l’occupation turque de l’île, et la Belgique se sont gardés jusqu’à aujourd’hui d’envoyer un Premier ministre ou une ministre des Affaires étrangères en voyage à Kiev. Etrange, n’est-ce pas?

A la Chambre, Alexander De Croo a dit ne pas contester l’importance des symboles et donc de se rendre en Ukraine. «Mais, a-t-il ajouté, le travail que nous faisons, le support concret que nous apportons, les mesures que nous prenons, sont beaucoup plus importants.» «Quand l’occasion se présentera, nous ne dirons pas non», a-t-il précisé. Le discours est sensiblement le même au cabinet de la ministre des Affaires étrangères: Hadja Lahbib «prévoit d’y aller, au « bon moment » et « avec un projet ».» On peut supputer que le Premier ministre, la ministre des Affaires étrangères et la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder, finiront bien par prendre le train pour Kiev. Et, peut-être même, au vu du peu qui a été fait jusqu’à présent, qu’ils y présenteront un projet d’envergure dans le cadre du soutien belge à l’Ukraine. Mais pourquoi si tard?

Le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, a rencontré le président Volodymyr Zelensky à Kiev, le 21 juin.
Le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, a rencontré le président Volodymyr Zelensky à Kiev, le 21 juin. © belga image

L’ argument du «voyage utile»? «Cet argument est incompréhensible et, pour moi, tout à fait fallacieux, juge Georges Dallemagne de retour de son troisième voyage en Ukraine depuis le début du conflit. Je rappelle que ce sont les Ukrainiens eux-mêmes qui insistent pour que notre Premier ministre se rende à Kiev. Le chef du gouvernement ukrainien, Denys Shmyhal, l’a encore indiqué lorsqu’il a rencontré Alexander De Croo à Bruxelles, le 5 septembre.» La question de la sécurité? «Des responsables politiques sont allés en Ukraine, y sont retournés. La route a été tracée depuis longtemps. On sait très bien comment aller en Ukraine en prenant les précautions nécessaires», insiste le député Les Engagés. Une autre explication? Début novembre, The New York Times a publié une étude montrant que la Belgique avait accru la valeur de ses échanges commerciaux avec la Russie de 81% depuis l’entame de la guerre en Ukraine et le volume de ses importations de 130%. Cette progression s’explique en partie par la hausse du prix des carburants et par la place d’ Anvers comme plaque tournante du commerce de gaz.

Le contexte commercial

Il reste qu’un chiffre interpelle, celui des importations de diamants de Russie en juin 2022, soit 394 millions d’euros alors que la moyenne mensuelle du montant des importations en 2021 était de 150 millions d’euros. Dans le secteur des pierres précieuses aussi, les cours ont eu tendance à être tirés à la hausse. Et, d’après la directrice communication de l’ Agence pour le commerce extérieure, Christelle Charlier, interrogée par le quotidien L’Echo, la Belgique «a importé en quantité nettement moindre», même si la valeur d’achats de diamants a augmenté, passant de 711 à 885 millions d’euros pour les mois de mars à juillet entre 2022 et 2021. On se rappellera néanmoins qu’ Alexander De Croo a bataillé à l’échelon européen pour éviter que le secteur diamantaire soit inclus dans les sanctions décidées par l’Union. Saine préoccupation d’un chef de gouvernement à l’égard d’un secteur d’activité important? «A la lecture de l’enquête du New York Times, on observe qu’aujourd’hui, contrairement à ce que le Premier ministre a déclaré à plusieurs reprises, y compris au Parlement, le commerce du diamant semble florissant avec la Russie. Il pourrait y avoir dans l’attitude de la Belgique la volonté de ne pas vexer la Russie, de se la ménager pour des raisons économiques. C’est troublant», estime Georges Dallemagne.

Le travail que nous faisons, le support concret que nous apportons, les mesures que nous prenons, sont beaucoup plus importants [qu’une visite à Kiev].

Le déplacement officiel tardif de la Belgique en Ukraine interpelle parce qu’il se conjugue à une relative discrétion dans l’aide militaire et humanitaire. «Qu’en est-il de l’assistance judiciaire après les massacres de Boutcha? Notre gouvernement a annoncé qu’il enverrait des équipes d’enquêteurs sur le terrain pour participer aux efforts menés par l’Ukraine et par plusieurs pays européens dans la lutte contre l’impunité. Ils ne sont toujours pas sur place», interroge le député Les Engagés. «En matière de reconstruction, Alexander De Croo a simplement déclaré que la Belgique avait assisté à la réunion de Berlin le 25 octobre, alors que des Etats membres de l’Union européenne ont déjà donné des indications sur la manière dont ils allaient travailler et sur les montants qu’ils allaient accorder. Nous, absolument rien.»

La Belgique a accueilli quelque 59 000 réfugiés ukrainiens depuis le début du conflit, plus qu’un pays comme la France proportionnellement à sa population.
La Belgique a accueilli quelque 59 000 réfugiés ukrainiens depuis le début du conflit, plus qu’un pays comme la France proportionnellement à sa population. © photo news

L’accueil des réfugiés

Les besoins, pourtant, sont immenses, à moyen terme pour la reconstruction, et à plus brève échéance pour le secours aux Ukrainiens en cette période d’hiver où une partie de la population risque d’être privée d’électricité et de chauffage à cause des bombardements russes sur les infrastructures énergétiques. L’urgence est donc à la collecte d’appareils de chauffage, de générateurs de toutes tailles, de carburant, de matériel médical, de médicaments, mais aussi à la recherche d’assistance en matière de déminage quand un habitant de Kiev est blessé chaque jour par l’explosion d’une mine posée par les Russes dans les bois qui entourent la capitale. Ce sont là autant de secteurs où la Belgique pourrait déployer ses moyens et son expertise.

Derrière ce constat, il est un domaine où la Belgique peut s’enorgueillir d’avoir répondu à l’attente des Ukrainiens. C’est celui de l’accueil des réfugiés. Près de 59 000 ont été hébergés sur notre territoire depuis le début du conflit, plus, proportionnellement, que bien d’autres pays de l’Union européenne. Mais c’est une satisfaction dont le mérite revient autant aux citoyens qu’aux structures de prise en charge. Les Belges ont montré leur générosité.

Le classement des donateurs

L’Institut Kiel pour l’économie mondiale a classé les vingt-sept pays de l’Union européenne plus la Norvège, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada en fonction de leur contribution dans l’assistance militaire et humanitaire à l’Ukraine rapportée à leur produit intérieur brut (PIB). Voici les bons et les moins bons élèves.

0,9% et plus de leur PIB: Lettonie (0,99%) et Estonie (0,9%).

Entre 0,4% et 0,9% de leur PIB : Pologne, Lituanie, Norvège.

Entre 0,2% et 0,4%: Slovaquie, République tchèque, Autriche, Danemark, Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Portugal, Slovénie, Grèce.

Entre 0,15% et 0,2% : Suède, Allemagne, Espagne, Grèce, Finlande, Pays-Bas, Croatie, Belgique, France, Italie.

Entre 0,10% et 0,15%: Hongrie, Bulgarie, Chypre, Roumanie, Malte, Irlande.

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