La liberté d’expression est brandie par à peu près tout le monde comme une valeur essentielle au bon fonctionnement démocratique. Pourtant, dans les faits, ses défenseurs ne sont pas toujours conséquents dans leurs actes.
Tout le monde, ou presque, défend la liberté d’expression. Lorsque le sujet émerge, il n’est guère difficile de trouver quelqu’un pour scander la fameuse citation indûment attribuée à Voltaire: «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.» La liberté d’expression inclut l’acceptation du désaccord, y compris lorsque les propos heurtent ou dérangent, pour autant qu’ils soient conformes à la légalité.
Il n’est pas beaucoup plus compliqué, parmi les personnes qui ont la liberté d’expression chevillée au corps, d’en trouver qui agissent en contradiction avec leurs principes. Ou d’autres qui défendent cette même liberté pour autant que les expressions ne contreviennent pas trop à leurs opinions.
«Savoir ne pas être d’accord devient une compétence démocratique clé», exprimait Anne-Sophie Nyssen, la rectrice de l’ULiège, quelques jours après que la devanture de son université avait été le théâtre d’un fameux grabuge. Sa recommandation devrait idéalement être une banalité, mais elle sonne comme un appel incrédule à la sérénité du débat démocratique.
Empêcher physiquement, voire molester les membres d’un parti politique qui souhaitent participer à une conférence n’est pas de nature à favoriser la liberté d’expression, ni d’association d’ailleurs.
Se saisir de ces violences pour stigmatiser l’ensemble des manifestants, et avec eux toute la gauche et l’extrême gauche, pour former un ensemble qui aurait le monopole de la violence, ne favorise pas particulièrement ces libertés non plus. Cela relève plutôt d’un procédé de généralisation hâtive. Et ce n’est pas exact, accessoirement. Selon les rapports d’instances compétentes, l’Ocam et la Sûreté de l’Etat, l’extrémisme de gauche pourrait certes représenter une menace, mais très marginale par rapport à d’autres idéologies (islamiste et d’extrême droite).
«Savoir ne pas être d’accord devient une compétence démocratique clé.»
En conclure qu’il faut «dissoudre les Antifa», comme l’a suggéré le président du parti concerné, relève du vœu pieu. Il n’y a pas grand-chose à «dissoudre», au sein d’un courant de pensée et d’action politiques très diversifié et peu structuré. Brandir l’avant-projet de loi du ministre de l’Intérieur, Bernard Quintin (MR), qui vise à interdire les organisations radicales en octroyant beaucoup de marge au pouvoir exécutif, pourrait aussi ouvrir une boîte de Pandore anticonstitutionnelle et illibérale. Ce ne sont pas des radicaux de gauche qui expriment ces craintes, mais des partenaires de gouvernement (le CD&V) ou des libéraux de l’opposition (l’Open VLD).
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Face à la présence de manifestants, une librairie bruxelloise a récemment été contrainte d’annuler la venue de l’essayiste Raphaël Enthoven, auteur de propos pour le moins contestables sur Gaza. Il n’est pas normal qu’une rencontre avec un auteur «doive se dérouler sous protection policière», exprimait l’établissement, tout en affirmant vouloir «faire de cette librairie un sanctuaire de la liberté d’expression». On y retrouve, condensées, toutes les contradictions autour de la question. Où les uns et les autres –les manifestants, le principal concerné et quelques observateurs loquaces– auront chacun agi, quelque part, au nom de la liberté d’expression.