Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Pourquoi la société n’aime pas les vieilles

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Les femmes ont-elles le droit de vieillir comme les hommes ? Non, répond l’autrice d’un récent livre sur le sujet. Parce que la société les considère d’abord par rapport à leur physique, là où les hommes sont valorisés sur leur réussite et leur position. Les rides leur sont donc moins fatales…

C’est l’histoire d’un gars, cinquante piges, qui aimerait trouver l’amour et qui passe beaucoup de temps à essayer de le dénicher sur des applis de rencontre. Parce que, bon, «les filles de [son] âge, ça ne [l]’intéresse pas (t’as vu comment elles sont? )», son profil indique qu’il a 44 ans, histoire d’avoir accès à de plus jeunes chairs. Lorsque ses matchs digèrent mal le mensonge, il s’offusque presque. «C’est pas comme si je faisais mon âge, hein!» Mais oui, oui, assure-t-il (sans rire), les femmes ont le droit de vieillir et non, mais non, elles ne sont pas périmées une fois la quarantaine passée. «Il y a bien quelqu’un qui sera intéressé par elles.» Juste pas lui, quoi.

Donc une ride sur un front féminin enlaidit (vite, vite, du botox! ), mais exhausse les tempes masculines.

Juste pas la majorité des hommes, en fait. Plus de Johnny que de Macron. Plus de Trump, de DiCaprio, de Cassel, de Gainsbourg, de Besson, de Hefner, de Vadim voire de Polanski… Amanda Castillo, ancienne journaliste au quotidien suisse LeTemps et autrice du récent ouvrage Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes? (éd. de L’Iconoclaste), les classe en deux catégories, ces amateurs de nymphettes. Les (autodéclarés) pygmalions, qui aideraient les jeunes pousses à éclore mais disparaissent avant leur fenaison, puis les angoissés, qui espèrent oublier leur propre flétrissure au contact de corps lisses et fermes.

Tous élevés au grain d’une «culture pédophile assimilant la jeunesse à la beauté», écrit-elle. Une fille attirante, aux yeux de (tant de) ces messieurs, sera de préférence petite ; taille fine et stature fragile ; peau lisse et douce ; grands yeux innocents, «voix de bébé sexy», souligne Mona Chollet dans son essai Réinventer l’amour (éd. Zones, 2021). Car «l’expression de faiblesse peut aussi passer par la voix», comme par sa stature menue. «La minceur traduit l’obligation de prendre le moins de place possible.» Puis il y a le vagin, bien sûr: de préférence glabre et surtout bien serré, faudrait pas qu’un petit pénis y flotte trop. Bref, la beauté féminine flirte indécemment avec l’enfance. Celles qui ne cochent pas ces cases apprennent, très jeunes, à mépriser leur corps. Ayant intégré leur décote «à l’argus sur le grand marché de la baisabilité» (copyright Ovidie, La Chair est triste hélas, Julliard, 2023).

Donc une ride sur un front féminin enlaidit (vite, vite, du botox! ), mais exhausse les tempes masculines. Le mâle ne souffrira pas davantage de sa petite bedaine, de ses cheveux gris voire de sa fort peu glamour calvitie (ceux qui teignent leur cheveux survivants ou s’autorisent une greffe capillaire sont d’ailleurs abondamment moqués, signe que ce n’est pas sur leur apparence qu’ils seraient censés miser). Car il n’est point principalement valorisé au sein de la société quant à son apparence, mais bien par rapport à sa réussite professionnelle, son statut social, son pouvoir économique. Que toutes les jeunettes qui se tapent un vieillard osent affirmer qu’elles furent d’abord séduites par ses oreilles poilues, sa flasque panse et ses articulations grinçantes.

Pourquoi cette attirance féminine pour le troisième âge, aussi? Sans doute par intégration du stéréotype de la masculinité associée à la protection, à la sécurité. Pour Amanda Castillo, les femmes, comme tout «peuple colonisé», ont le choix de résister ou collaborer. La première option épuise, reconnaît-elle. Alors elle propose la piste de «l’ancrage en soi-même». S’aimer avant d’être éventuellement aimée. Se suffire à soi-même, y compris et d’abord financièrement, condition première de l’indépendance. Difficile? Sans doute moins que d’essayer d’arrêter le temps qui passe…

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