Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Pourquoi certaines femmes sont-elles antiféministes ?

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Pourquoi toutes les femmes ne sont-elles pas féministes ? Pourquoi les antiféministes aiment-elles agresser les féministes ? Pourquoi les antiféministes se plaignent tout de même que leur conjoint ne glande rien à la maison ?

Cela va du banal «Oh, ta gueule» à l’énervé «Encore un torchon signé Mélanie Geelkens. Avec une bonne b*te en bouche, iel dirait moins de conneries». Si ces mots doux étaient signés Albert et Lucien, mâles cisgenres entre deux âges lassés de se sentir critiqués hebdomadairement dans ces quelques lignes, ça pourrait limite se comprendre. Mais non, ces gentils messages sont envoyés par Lena et Cindy.

S’il faut de tous les points de vue pour faire un monde, que des femmes s’opposent au féminisme déroute particulièrement. Peut-être n’ont-elles pas encore aperçu l’iceberg. Celui qu’une professeure de l’ULiège, un jour, confiait n’avoir jamais discerné, jusqu’à ce que ses étudiantes lui dessillent les paupières et qu’elle ne puisse plus le lâcher du regard. Toujours ce menaçant tas de glaçantes inégalités de genre quelque part dans sa vision périphérique. Mais les yeux des femmes antiféministes sont parfois parfaitement ouverts. Juste qu’elles s’y plaisent bien, sur le Titanic patriarcal.

«Les femmes peuvent parfois être leurs pires ennemies. Certaines ont à ce point intégré le patriarcat qu’elles collaborent. Pis: elles l’incarnent», taclait, en 2019, l’actrice Emma Thompson dans Le Monde, en réponse à la fameuse carte blanche de Catherine Deneuve et compagnie en plein déferlement MeToo. Pour la journaliste suisse Amanda Castillo, autrice du récent ouvrage Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes? (L’Iconoclaste), comme tout «peuple colonisé», la gent féminine n’aurait que deux options: résister ou collaborer. «Comme tous ceux que la servitude a brisés, de nombreuses femmes sont devenues antiféministes et misogynes, détaillait-elle dans LePoint, le 8 mars dernier. Elles se surveillent les unes les autres, se jugent à travers le male gaze, qu’elles ont profondément intégré.»

La résistance est rude. Alors qu’elle est confortable, la collaboration.

Or, la résistance est rude. Passionnante, obsédante, mais épuisante. Violente, parfois. Alors qu’elle est confortable, la collaboration. Elle permet de ne pas payer la note au resto, de se faire ouvrir la porte, d’avoir accès à cette population majoritaire de mâles alpha pour qui la notion de «privilèges» est aussi irritante qu’une chemise mal repassée. Tant pis si, en contrepartie, il faut accepter d’être moins bien payées, d’être systémiquement agressées, d’être frustrées au pieu (ledit mâle alpha ne connaissant généralement d’autre organe sexuel que le sien). Puis, accessoirement, de se taper seule la manne de linge et de se choper les commentaires outrés en cas de faux plis.

Assurément, ces dames se plaignent pourtant quotidiennement du manque d’implication de leur cher et tendre au sein du foyer, à coups de «c’est moi qui fais tout, ici», «tu pourrais ramasser tes slips sales» et autres «occupe-toi enfin du gamin, moi j’en peux plus». Démontrant, par l’absurde, qu’elles aussi aspirent en réalité à davantage d’égalité.

Donc pendant que les résistantes feront fondre l’iceberg (malheureusement moins vite que le réchauffement climatique), les collaboratrices resteront bien au chaud, dansant sur le ponton comme si le sexisme n’allait pas finir par sombrer. Pas grave. Leur existence même témoigne de la pertinence de la lutte. En 1999, déjà, l’historienne et militante Michelle Perrot écrivait dans l’ouvrage Un siècle d’antiféminisme qu’«aux moments forts d’un féminisme conquérant répondent des bouffées d’antiféminisme crispé». Les premières marquent leur temps. Les secondes finissent par s’évaporer.

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