Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Comment désavantager ses filles lors d’un héritage

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Filles et garçons, inégaux face à un héritage: même sans le vouloir, les parents désavantagent souvent leurs filles. Voici pourquoi.

Chaque année, il revient, dans ces pages comme ailleurs: le dossier spécial «héritage et donations», youpie! Parmi toutes les questions qui le jalonnent (comment éviter les droits de succession prohibitifs, quel est l’intérêt d’un pacte successoral…), celle du «déshéritage» reste la plus populaire. Alors, une bonne et une mauvaise nouvelle: non, il n’est légalement pas possible de priver totalement sa progéniture, aussi ingrate, pénible et profiteuse soit-elle. Par contre, si des filles figurent parmi cette horrible descendance, il est tout à fait envisageable de sérieusement les désavantager. Suivez le guide!

C’est qu’en fait, léser les femmes en matière d’héritage, «est une situation que tout le monde vit, tout le temps, juste qu’on ne l’avait jamais interprétée comme ça», selon Titiou Lecoq, autrice du livre Le Couple et l’argent. Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes (L’Iconoclaste, 2022). Heureusement, les sociologues françaises Céline Bessière et Sibylle Gollac, en signant Le Genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités (La Découverte, 2020), ont permis d’identifier ce phénomène qui devrait ravir nombre de pingres parents.

Etre de moins bonnes héritières fait qu’elles hériteront effectivement moins bien.

Première condition: avoir plusieurs enfants. Deuxième condition: que ceux-ci soient des deux genres (même si cela peut aussi fonctionner en cas de descendance uniquement masculine). Très concrètement, il suffit alors de revendre son bien immobilier (ou son entreprise, ça marche aussi) au fils. C’est de toute façon ce dont rêvent tant de familles, non? Avoir un héritier – l’aîné, de préférence – à qui léguer sa villa quatre façades ou son business, dans l’espoir qu’il y entretienne l’empreinte familiale.

«Les hommes sont davantage considérés comme de “bons” héritiers, observe Titiou Lecoq. Il y a sans doute quelque chose de culturel: celui qui perpétue le patronyme est aussi celui qui reprend le patrimoine. En plus, recevoir une maison ou une entreprise nécessite d’avoir les moyens financiers pour les entretenir.» Par-fait! Vu que ces dames gagnent structurellement moins bien leur vie (l’écart salarial, le plafond de verre, tout ça tout ça), elles auront elles-mêmes tendance à ne pas vouloir recevoir leur part, trop onéreuse à assumer. «Etre de moins bonnes héritières fait qu’elles hériteront effectivement moins bien», comme le résume l’écrivaine. La vie est tout de même bien faite.

Mais faudrait pas être accusé de favoritisme, tout de même (bien sûr que non, les parents ne font aucune préférence entre leurs enfants, m’enfin!). Alors, il s’agira de compenser par une certaine somme d’argent à octroyer à la (aux) rejetonne(s) restante(s) (ça marche aussi avec les cadets masculins, bien sûr).

Or, «pour être juste, il faudrait vendre ce bien structurant et en diviser le produit en parts équitables à répartir entre tous», souligne Titiou Lecoq. Mais puisque le but est plutôt de léser, double bingo!

1. Pour compenser financièrement l’enfant qui n’a pas reçu ledit bien structurant, les parents auront tendance à en sous-estimer la valeur. Donc à filer, in fine, moins de pognon aux autres héritier(e)s.

2. Un immeuble ou une entreprise auront tendance à prendre de la valeur au fil du temps, donc le chouchou pourra plus tard en retirer une belle plus-value. Bien plus dodue que s’il avait dû placer de l’argent quelque part, par les temps financiers qui courent.

Et voilà le travail! De rien, de rien. Si les inégalités de genre peuvent parfois servir à quelque chose…

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