Thierry Fiorilli

La rue qui t’emmène (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Il y a des villes et des villages, on dirait que la fête y habite. Tout y est bon pour hisser les lampions, dresser une scène, envoyer la fanfare et changer un mur en galerie. Ecaussinnes en est. Dès qu’on peut, bamboche! C’est pas le Reine Elisabeth, Werchter, Avignon ni le Guggenheim. Ça sent la pitta et les churros, ça descend tout ce qui mousse comme ailleurs on tire sur tout ce qui bouge, il y a un stand où on vend l’hydromel de la Chaudasse, un urinoir en plein air juste avant le Broc Bar et des types que, s’ils vont voir un pote à l’hosto, on les laisse pas repartir. Mais d’y battre le pavé, troubadours et saltimbanques font résonner fort le cœur de la cité.

Il y a des villes et des villages, on dirait que la fête y habite. Comme Ecaussinnes, étincelle dans la pénombre.

C’était donc encore le cas le premier week-end d’octobre. Cette fois, festival Les Tailleurs : spectacles, concerts, artisans, course des canards (en plastique)… Ici, deux clowns à vélo, acrobates-poètes, tirent même des chagrins d’amour et de la peur de l’échec des raisons de rire et vivre. Là, trois danseuses tout de blanc vêtues qui, sous l’œil de deux gardiens tout de noir enrobés, repoussent l’obscurité à coups de rubans et flammèches. Plus loin, au pied du château fort – XIe siècle, s’il vous plaît bien – qui a toujours l’air grave des hauts magistrats confrontés à la plèbe, le groupe français La Rue qui t’emmerde chante trois quarts d’heure de son répertoire libertaire, avec son accordéon aussi rageur qu’enjoué, sa contre-bassine «de combat», sa guitare «taillée dans du bois de potence» et ses farandoles sur fond d’anarchisme. Le trio a sa playlist griffonnée sur un carnet, par terre, il a oublié ses CD à vendre à Montreuil, où il jouait la veille, mais il transforme la petite tente en estaminet portuaire où on se voit snober la fortune, décroisser la Lune et gravir les haubans.

Dans un parc, sous chapiteau, c’est projection de La Planète sauvage, animé de René Laloux et Roland Topor, primé à Cannes en 1973 et dont Joris Oster et Olivier Justin assurent la bande-son, en live. Ils ont composé 52 nouvelles musiques, qu’ils jouent à la guitare, à la basse, à la batterie, au clavier et à l’insensé thérémine – on ne le touche pas, c’est la proximité des mains avec les deux antennes (l’une pour le volume, l’autre pour la note) qui produit les sons –, ils déboursent 250 euros par projection, il n’y a pas vingt personnes sur les gradins, à quatre euros le ticket, et ça caille. Mais c’est de l’authentique magie audiovisuelle durant une heure douze.

Et fin de soirée, place des Comtes, c’est l’Orchestre international du Vetex, tous cuivres dehors – saxos, trompettes, trombone, soubassophone. On se demande comment on a pu penser concevoir certains d’entre eux et pourquoi on décide un jour de s’y mettre mais les douze membres de ce groupe mêlant origines, langues et rythmes de Flandre, Wallonie, France, Balkans, Asie, Amérique latine et Moyen-Orient envoûtent jusqu’aux plus petits du public. C’est Copacabana en Hainaut. Le soleil aux lèvres. Les déhanchements du bonheur. La rue qui t’emballe.

Cette ville, c’est le QG de la fête. Etincelle dans la pénombre.

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