Franklin Dehousse

Changement climatique : « Les gouvernements européens sont assez taiseux sur les réponses à cette menace »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

On connaît l’histoire de la grenouille qui ne réalise pas que l’eau devient bouillante lorsqu’on élève la température par paliers. Elle s’en rend compte trop tard, et meurt. La race humaine ressemble de plus en plus à cette grenouille. Le rapport du Giec 2022 indiquait la nécessité de prendre vite des mesures avant 2030. Celui de 2023 aggrave le constat et souligne que le détraquement climatique altère déjà la vie de milliards de personnes. Ainsi, la moitié de la population mondiale souffre déjà d’un manque d’eau pendant une partie de l’année.

Après tous les records de 2022, soit dit en passant, nos pays sont menacés du même sort. La France, la Grande-Bretagne et la Belgique souffrent ainsi d’un déficit hydrique croissant, alors même qu’elles sortent de l’hiver. En Europe du Sud, les températures actuelles sont déjà anormalement élevées, ce qui renforce la tendance. Les gouvernements européens, qui communiquent sans cesse sur n’importe quoi, sont assez taiseux sur les réponses à cette menace.

Les gouvernements européens, qui communiquent sans cesse sur n’importe quoi, sont assez taiseux sur les réponses à cette menace

L’Union européenne affiche des objectifs climatiques grandiloquents, mais leur mise en œuvre se heurte à des résistances grandissantes. Ainsi, l’Allemagne a remis en cause la décision déjà intervenue sur l’interdiction de vente des moteurs thermiques à partir de 2035 (une date qui laissait pourtant déjà douze ans de transition). Elle l’a fait sous la menace du parti libéral FDP, qui veut éviter l’implosion électorale en se reprofilant comme le grand défenseur de l’auto de papa. La Commission, qui vit depuis longtemps sous tutelle allemande, a accepté de revoir sa copie.

L’Union européenne fait face à « une pression politique montante »

L’épisode reflète une pression politique montante. Aux Pays-Bas comme en Espagne, les mesures prises pour réduire l’agriculture intensive suscitent des discours populistes. Aux Pays-Bas, elles ont entraîné un séisme électoral au Sénat (Le Vif du 23 mars). En France, malgré ses promesses, le président Macron a enterré les propositions de sa convention citoyenne sur le climat. Un peu partout, la pénurie de gaz a entraîné des investissements pharaoniques dans des infrastructures de gaz liquide incompatibles à terme avec la réduction de carbone.

L’Europe, comme les autres continents, semble souffrir d’un conflit de personnalité sur le changement climatique. Le décalage entre les discours et les actes grandit. Ce conflit ne provient pas seulement de la représentation politique, mais aussi de l’opinion publique. Tout le monde se déclare prêt à lutter, mais à la condition de ne changer ni les pratiques de transport, ni celles de l’alimentation et du logement, ni les modèles de consommation.

Le continent est pris en tenaille entre, d’une part, une menace de plus en plus destructrice (n’oublions pas que tous les dérèglements actuels surviennent avec seulement 1,2 °C supplémentaire) et, d’autre part, une résistance de plus en plus intense. On peut néanmoins supposer que ce n’est pas en défendant sans arrêt le monde d’hier qu’on prépare le monde de demain.

Franklin Dehousse est professeur à l’ULiège, ancien représentant de la Belgique dans les négociations européennes, ancien juge à la Cour de justice de l’UE.

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