Nicolas de Pape

Prolonger les centrales nucléaires : une question de bon sens

Nicolas de Pape Senior writer au Journal du médecin

Partout dans le monde, fleurissent de nouveaux projets de centrales. Que le gouvernement réfléchisse à prolonger jusque 5 réacteurs nucléaires sur 7 est donc un tournant politique majeur par rapport à la loi de sortie du nucléaire, estime Nicolas De Pape. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

Pour faire face à la crise gazière et énergétique, la France d’Emmanuel Macron a promis de « rallumer » d’ici juin 2023 quelque 20 réacteurs nucléaires. Fin 2022, 21 réacteurs étaient à l’arrêt sur 56. François Hollande s’était en effet promis en 2016 de ramener la production d’électricité à 50% d’origine nucléaire d’ici 2035. Se mettant d’abord dans les pas de Hollande en fermant les deux réacteurs de la  centrale de Fessenheim, le président Macron a fait ensuite un virage à 180° en relançant une filière pensée par le général de Gaulle qui voulait assurer l’indépendance énergétique de la France. Un rétropédalage macroniste qui mérite les applaudissements tant cette décision tombe sous le sens.

Cette technologie, critiquée depuis des décennies par des militants encouragés par certains médias complaisants et une industrie du cinéma fantasmagorique (cf. l’assez risible « Syndrome chinois » avec Jane Fonda en 1979), est présentée comme dangereuse alors qu’elle est une des plus belles conquêtes de l’humanité. Rappelons les quasi zéro mort de Fukushima (les Japonais ont pour la plupart péri noyés ou sous les décombres provoqués par le tsunami) et de Three-Mile Island. Même à Tchernobyl qui proposait une approche technologique moyenâgeuse sans dôme de protection, les morts furent infiniment moins nombreux qu’on pouvait le craindre.

Eoliennes et panneaux solaires ne peuvent en effet seuls affronter les pics énergétiques hivernaux lorsque un anticyclone, doublé de brouillard ramène le vent à presque zéro et qu’il fait nuit à midi

Une fois le réacteur en ordre de marche et le combustible acheminé, cette technologie est décarbonée et pilotable à savoir qu’elle n’est pas, comme les panneaux solaires et les éoliennes, intermittente. Alors que même la Cop 26 a accueilli favorablement le nucléaire, les partisans du « tout-renouvelable » devraient avoir l’honnêteté d’expliquer que celui-ci a pour corollaire une économie également intermittente. Eoliennes et panneaux solaires ne peuvent en effet seuls affronter les pics énergétiques hivernaux lorsque un anticyclone, doublé de brouillard ramène le vent à presque zéro et qu’il fait nuit à midi. Dans l’optique d’un 100% renouvelable, le caractère intermittent de ces technologies toucherait également les hôpitaux et les services d’urgence et de soins intensifs, nonobstant la possibilité – temporaire – d’utiliser des groupes électrogènes polluants qui fonctionnent au diesel.

En 2035, les voitures thermiques seront interdites à la vente dans toute l’Union européenne. A terme, 100% de voitures électriques, cela signifie 2 centrales nucléaires supplémentaire rien que dans notre pays de chacune 1.000 MW, selon un calcul de la VRT assistée d’experts (soit l’équivalent de 1.220 éoliennes terrestres ou 15.200 terrains de foot jonchés de panneaux solaires). Et ce n’est qu’un début, puisqu’il faudra ensuite, si la technologie le permet, électrifier les camions qui occupent près de la moitié du ring de Bruxelles aux heures de pointe. D’autant que l’hydrogène vert n’en est qu’à ses balbutiements (avec seulement 0,04% de cette molécule produite par de l’énergie verte et des problèmes complexes pour l’acheminer, à l’état liquéfié, du producteur au consommateur)[1].

Dans l’intervalle, la Belgique vient de fermer le 2 février, dans une certaine indifférence, Tihange 2. Après Doel 3 en septembre 2022, il s’agit du second des 7 réacteurs que compte la Belgique à être mis à l’arrêt. Définitivement ? Après des décennies de loyaux services, ces réacteurs auraient pu sans danger être prolongés de 20 années supplémentaires. Cette fermeture s’inscrit dans le cadre de la loi de sortie du nucléaire de 2003, une loi déjà imprudente à l’époque, mais dont le manque d’anticipation apparaît encore davantage à la lumière de la crise énergétique que nous connaissons depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Fort heureusement, après la possibilité de prolonger Doel 4 et Tihange 3, le gouvernement réuni vendredi 3 février en « kern » a décidé d’étudier la prolongation d’autres réacteurs nucléaires (jusque 5). Un tournant politique majeur et à souligner mais qui rencontre apparemment de fortes résistances au sein d’ENGIE. Et pour l’heure, le prolongement de Doel 4 et Tihange 3 nous garantit un approvisionnement énergétique pour le pays seulement lors des hivers 2025-2026 et 2026-2027. Le risque est donc réel de voir à moyen terme les 7 réacteurs que possédait la Belgique définitivement à l’arrêt.

Jusqu’à récemment, seules quelques voix politiques – Les Engagés qui proposent la construction de  nouveaux réacteurs, Marie-Christine Marghem laquelle a tenté de rallier une majorité de rechange pour supprimer la loi de sortie du nucléaire, la N-VA – et quelques rares intellectuels ou scientifiques se faisaient entendre pour « inverser la vapeur ».  

Pourtant, partout – Chine, Europe, États-Unis, Canada, Amérique du Sud et même Moyen-Orient -, des projets de nouveaux réacteurs fleurissent. Il y a actuellement dans le monde 438 réacteurs en fonctionnement, 58 en construction et 104 planifiés (pour une puissance respectivement de 394 + 64 + 107 GW). On parle de doubler les capacités mondiales d’ici 2050.

La Belgique, qui était un des fleurons européens de l’énergie nucléaire, va-t-elle réellement redonner sa chance à la cette filière ? Vu les impératifs de lutte contre le réchauffement climatique, ce serait certainement une voie à suivre.


[1] Le 14 février, la Commission européenne a fort heureusement admis que si l’électrolyseur est alimenté par un mix renouvelable/nucléaire, l’hydrogène serait considéré comme vert.

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