François-Xavier Druet

Notre monde devient le jouet de « fumistes »: qui sont-ils?

François-Xavier Druet Docteur en Philosophie et Lettres

Pour François-Xavier Druet, docteur en Philosophie et Lettres, le monde actuel est gangréné de « fumistes ». Carte blanche.

En 1956, Nathalie Sarraute donnait un beau titre à son essai sur le roman : L’Ère du soupçon. L’ouvrage remet en question toute la structure traditionnelle du romanet ouvre la voie au « Nouveau Roman ». Imaginons qu’aujourd’hui un quidam, frappé par la destructuration des repères contemporains, prenne pour titre L’Ère de la fumisterie ? Il s’inquiéterait de voir notre monde de plus en plus jouet d’illusionnistes – de « fumistes » – de tous bords, qui enfument et embobinent le commun des mortels.

Distinguo : le fumiste et le sérieux

Qu’est-ce qu’un « fumiste » ? Le petit Robert répond qu’au-delà de celui qui installe et répare cheminées et appareils de chauffage, c’est « une personne qui ne fait rien sérieusement, sur qui on ne peut pas compter ».

Plus bavard grâce à l’infinitude de ses sources, le petit Gemini de Google vous proposera comme synonymes farceur, blagueur, charlatan, menteur, mystificateur, escroc, incompétent, et comme antonymes sérieux, fiable, honnête, compétent. Attention ! Le petit Gemini me prévient aussi qu’il s’agit d’un terme familier, qui, dès lors, ne doit pas être utilisé dans un contexte formel. Voulez-vous bien me pardonner de l’utiliser malgré tout, puisque nous sommes entre nous ?

Bien que minoritaires par rapport aux gens sérieux, les fumistes n’occupent-ils pas trop le terrain et les positions clés ? Au point de déployer bien des fumisteries, face auxquelles une majorité, si elle les détecte, s’indigne, mais, ne disant mot, consent.

Fumistes politiques

Le secteur politique apparaît a priori comme très bien fourni en la matière. Des menteurs y ont de tout temps figuré, mais les années récentes leur ont accordé une audience inégalée par le passé. Ici et là, ils ont conquis le pouvoir en mentant. Ils mentent au pouvoir. Parfois, ils restent au pouvoir, car on dirait que le mensonge ne les discrédite pas auprès de leurs soutiens. Que l’incompétence soit due à l’indigence intellectuelle, aux troubles psychologiques ou à la sénilité, elle non plus n’exclut pas du pouvoir ni de la dévotion populaire.

Les fumistes politiques, trop médiatisés, sont les arbres qui cachent la forêt, trop discrète, des politiques honnêtes et fiables. L’emprise de ces imposteurs sur le « système » risque, aux yeux des citoyens non-fumistes, de réduire la politique même et la démocratie au rang de fumisteries. Les désabusés hésiteront entre l’abstention et l’extrémisme obtus.

Fumistes numériques vedettes

Cinq des fumistes qui tiennent le haut du pavé ont été convoqués par le Sénat américain pour s’expliquer et répondre de leurs actes, comme devant un tribunal. Ces créateurs de réseaux sociaux ont lancé leurs produits avec la préoccupation majeure – à moins qu’elle ne soit la seule – de rentabiliser au maximum cette étrange croisade. Le moindre de leurs soucis était de protéger les utilisateurs contre des excès pourtant prévisibles. Un sénateur a demandé au Grand Manitou s’il était prêt à indemniser les victimes. Aucune réponse claire.

L’irresponsabilité crasse de ces sommités numériques suffit-elle pour donner le statut de fumisterie à l’internet même ? Cet espace de pseudo-liberté a été ouvert tout grand, sans la plus élémentaire prévoyance, pour tous les candidats fumistes à petite échelle.

Fumistes numériques lambda

Pour pouvoir duper, il faut des dupes. Les apprentis sorciers en ont trouvé sans peine des millions, qui se sont rués sur les réseaux. Enivrés de liberté illusoire, beaucoup y ont perdu tout sens des responsabilités. La fumisterie a fleuri, plus du tout comme un simple manque de sérieux, mais comme un droit qu’on se donne de bafouer la vérité sous tous ses aspects.

Une imagination prolifique et maléfique a inspiré des armadas entières de charlatans, d’escrocs, de menteurs, de complotistes, d’arnaqueurs, de harceleurs, de faussaires… Et la liste est très incomplète. En matière d’information, le rapport à la vérité est devenu tellement flou et difficile à maîtriser qu’il met en péril l’exercice de la démocratie.

Comment sortir de l’ornière ?

Le mouvement est-il irréversible ? On pourrait le craindre. Car le seul remède radical serait un boycott immédiat et unanime de tous les réseaux sociaux, qui est impensable. L’appel au sérieux rebondit donc vers chacun d’entre nous : notre lucidité critique reste le seul instrument qui puisse déjouer les mystifications. Elle est mobilisée – si nous le voulons et le pouvons – chaque fois que nous avons à opérer un vote, un choix, un soutien ou un rejet. Elle suppose une rigueur intransigeante vis-à-vis des sources d’information. Chacun dispose en principe d’un esprit qui peut faire le tri entre le déraisonnable et  le raisonnable, entre le loufoque et le sérieux.

La réussite des fumistes s’enracine dans l’immédiateté et la précipitation, terreaux de l’à-peu-près. Patience, recul et analyse approfondie seront nos meilleures armes.

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