Carte blanche

Il est temps de reconnaître la communauté sourde comme une minorité culturelle et linguistique en Belgique

En Belgique, plus d’un million de personnes sont sourdes et 6% d’entre elles souffrent de surdité profonde à totale. Depuis le Moyen-Âge, où la surdité était perçue comme une « punition de Dieu », jusqu’à aujourd’hui, le parcours de cette communauté vers la reconnaissance de ses droits à la citoyenneté et à l’éducation a été parsemé d’embûches.

Un premier pas crucial a été franchi au 18ème siècle par l’Abbé Charles-Michel de l’Épée en France, qui a non seulement défendu l’importance de l’éducation pour les sourds, mais a également permis le développement de la langue des signes. Son initiative a jeté les bases pour une plus grande reconnaissance de la communauté sourde.

Cependant, l’histoire de la reconnaissance de la communauté sourde et de sa langue a été marquée par des périodes sombres. En 1880, lors du Congrès de Milan, une décision funeste a été prise : celle de privilégier l’enseignement oraliste à celui de la langue des signes. Les répercussions de cette décision ont été désastreuses : le non-accès des sourds à une éducation de qualité, leur mauvaise intégration sociale et professionnelle, leur exclusion et la marginalisation de la langue des signes.

La situation s’est encore dégradée lors de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les sourds ont été victimes de la politique d’eugénisme des nazis. Ceux-ci ont mené des politiques de stérilisation forcée à leur encontre, en les considérant comme « inaptes » à se reproduire, dans le but déclaré de « purifier » la race humaine.

Malgré ces obstacles et souffrances, la résilience de la communauté sourde n’a jamais fléchi. En 1951, la Fédération Mondiale des Sourds a été créée. Des mouvements de revendications Sourds se sont développés dans les années 60, ravivant l’étude linguistique de la langue des signes à l’international. En Belgique, des initiatives en faveur de la reconnaissance des Sourds se sont multipliées, aboutissant en 2003 à la reconnaissance officielle de la langue des signes de Belgique francophone (LSFB).

Aujourd’hui, nous célébrons les 20 ans de cette reconnaissance officielle par la Communauté française, mais il reste encore beaucoup à faire pour que l’inclusion des personnes sourdes soit réellement effective. Les défis concernent notamment l’éducation, l’accès aux services, la culture, l’information et l’emploi.

Dans ce contexte, il est impératif de repenser l’instruction des personnes sourdes pour garantir leur pleine inclusion dans la société. Des projets comme celui de l’école bilingue de Namur montrent la voie, avec une approche inclusive et une place pour la LSFB à côté du français. Il faut également s’inspirer des pays anglo-saxons, qui, contrairement à nous, n’ont pas interdit l’usage de la langue des signes suite au Congrès de Milan et ont su mettre en place des institutions telles que l’Université Gallaudet, une université dirigée par des Sourds pour des Sourds.

Nous devons  également initier une réflexion profonde sur notre relation avec la communauté sourde, sur la perception que nous en avons et sur la reconnaissance de son identité.

La langue est le ciment d’une communauté, elle est la fondation sur laquelle se construit et se transmet une culture. Elle est le moyen par lequel nous partageons des idées, des sentiments, elle façonne notre pensée et notre perception du monde. Pour la communauté sourde, c’est la Langue des Signes de la Belgique Francophone (LSFB), qui unit ses membres et leur donne un sentiment d’appartenance.

Reconnaître la LSFB comme langue officielle et la communauté Sourde comme minorité linguistique et culturelle n’est donc pas seulement une question de droit ou d’égalité. Il s’agit de reconnaître l’identité culturelle Sourde et  sa place dans la mosaïque culturelle belge.

Le gouvernement fédéral a un rôle crucial à jouer. Il doit, non seulement reconnaître la LSFB comme langue officielle,  mais aussi la communauté Sourde comme une minorité linguistique et culturelle. Ces actions seraient un pas majeur vers l’inclusion véritable des personnes sourdes dans notre société. Elles leur offriraient la possibilité de participer pleinement à la vie sociale, culturelle et politique de notre pays.

Par Ahmed Mouhssin, député Ecolo, membre de la commission des personnes handicapées au parlement francophone bruxellois

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