Hakim Benbouchta, de la pub à la télé
Son premier roman feel good est adapté en téléfilm par TF1. Un aboutissement surprenant pour Hakim Benbouchta, qui pensait passer sa vie professionnelle dans la pub, au service de grandes marques.
Dehors, le temps est doux et ensoleillé et, en son for intérieur, Hakim Benbouchta est serein. En ce début de printemps 2020, il vient pourtant d’être licencié. Quelques jours après le début de la pandémie en Belgique. Chez Degroof Petercam, la banque privée pour laquelle il travaillait depuis dix-huit mois au département marketing, l’évaluation de son management a soudainement viré d’exceptionnelle à problématique. «J’ai senti qu’il se passait quelque chose d’anormal, se souvient-il, trois ans après les faits. Quand j’ai voulu en savoir plus, j’ai été convoqué par la direction des ressources humaines qui m’a signifié mon renvoi. J’avais eu des frictions avec un autre employé et il a visiblement eu plus d’influence que moi. J’ai tout de suite mis cette affaire dans les mains d’un avocat.» En confinement et en famille, il parvient rapidement à tourner la page. Pour écrire la suivante, deux options se présentent alors à lui…
Fils de pub
La première consiste à reprendre son numéro de TVA, souvenir de ses dix années de consultance dans la pub. Après tout, il s’est bâti un joli réseau en tant que «strategic planner». «La fonction exige beaucoup d’études de marché et de discussions de groupe pour analyser la société, les tendances, les courants et arriver à définir la bonne façon de communiquer pour la marque.» Souvent, le marketeur est passionné par son travail. Parfois, il s’en lasse. Comme à la fin de ses années passées chez McCann Erickson, où la stratégie des clients internationaux tels qu’Opel ou Mastercard est déterminée en amont à Londres, New York ou Francfort. «Dans ces cas-là, je ne faisais rien d’autre qu’adapter le texte en néerlandais.» Un crève-cœur pour cet amoureux de la publicité, tombé sous le charme des campagnes de la fin des années 1980, comme lorsque Citroën n’hésitait pas à consacrer une partie de son budget à un spot spectaculaire tourné sur un porte-avions. «J’ai toujours été intéressé par l’aspect rédactionnel de la pub. En France, ils ont un fantastique sens de la formule, que ce soit pour une annonce placée en bord de route ou pour Perrier.»
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« C’était gai et très concret »
Diplômé de l’Ichec en 1991, Hakim a dégoté son premier job dans le secteur en parvenant à gratter la carte de visite d’un commercial pourtant en pleine séance de drague lors d’une soirée. Six années durant, il se fera les dents dans une agence avant de créer la sienne, The Sales Factory, avec deux amis. «On se chargeait de la pub “below”, on réfléchissait aux techniques qui favoriseraient le processus d’achat de notre public cible. On organisait des points de vente, des concours… C’était gai car très concret. Je n’ai jamais considéré le marketing comme de la manipulation, plutôt comme une manière de bien connaître quelqu’un pour bien lui parler.» Ethias, Bon Grain, Lipton Ice Tea, Hyundai… En trente ans de carrière, ses clients ont été aussi nombreux que variés. En ce mois d’avril 2020, le quinqua n’aurait donc probablement aucun mal à faire son retour dans le game.
Hakim va pourtant privilégier sa deuxième option. Ou plutôt, il ne choisira pas la première. Parce qu’il ne sait pas encore l’allure que pourrait prendre sa reconversion. Encore moins lors de cette après-midi de confinement, quand ils évoquent avec sa fille Line les comédies françaises qu’ils adorent. Elle embraie en inventant le pitch d’un film fictif où une ado s’inscrirait sur un site de rencontre en se faisant passer pour son père. La semaine suivante, en discutant, Line et Hakim approfondissent oralement ce nouveau concept. Pour le plaisir. «Puis un matin, je me suis dit que j’allais essayer.» Le natif de Strasbourg s’installe à un coin de la table de la salle à manger devant son ordinateur. «Très vite, je me rends compte que je prends énormément de plaisir à écrire, à imaginer des trucs. Je n’ai pas de plan, je connais juste le début et la fin, mais je bosse dessus tous les jours.»
Pitch fictif et véritable père
En trois mois, Hakim Benbouchta boucle Le Pseudo, un roman feel good qui fait, entre autres, la part belle aux sites de rencontres. Le néoécrivain imprime une centaine d’exemplaires à ses frais, mais juge rapidement que cela ne suffit pas. «Je n’avais jamais écrit que des e-mails et des textos, je n’y connaissais rien à l’édition. J’ai envoyé le bouquin à plein d’éditeurs. Même en France, à des grands noms comme Gallimard.» Finalement publié par Marque belge, Le Pseudo s’offre une jolie critique médiatique.
«Je suis partisan des histoires simples. Le Pseudo en est une, et je pense que son pitch retient assez facilement l’attention: une ado qui gère le compte de son père sur un site de rencontre, ça laisse imaginer pas mal de scènes comiques.» La plume à la main, le Brabançon a un style bien à lui: il n’est pas homme de longues formules trop soignées, plutôt de dialogues courts et intenses. Il y a un peu de lui dans le rythme et les expressions. Il y a aussi pas mal du fruit de ses observations. «J’ai besoin de donner vie à mes personnages: j’ai par exemple imaginé que l’une des protagonistes ressemblait à Florence Foresti, elle est donc cette petite brune piquante et agitée. Quand il s’agit de personnalités, je m’inspire de leurs vidéos. Mais dès que j’entends une réplique sympa qui passe à la radio ou dans la bouche d’un pote, je note tout dans des petits dossiers sur mon téléphone ou mon ordi.»
Inspiré par sa vie
Puis il y a les clins d’œil à sa vie privée. Le prénom Harold, celui de son meilleur ami décédé d’un cancer au début des années 2010, apparaît ainsi dans chacun de ses romans. Parce qu’Hakim Benbouchta ne s’est pas arrêté au Pseudo. Enthousiasmé par sa première expérience, il se rassied dans la salle à manger dès l’été suivant. «Un jour, ma fille et les enfants de ma compagne m’ont parlé de leur wish list idéale. Ça allait de la rencontre avec Mbappé à un match au Parc des Princes. J’ai repensé à mon papa et je me suis demandé comment je réagirais s’il revenait.» Hakim a perdu son père à l’âge de 16 ans. «Une cirrhose du foie qui ne l’a pas convaincu d’arrêter de boire.» A l’annonce de son décès, il s’était senti délesté d’une chape de plomb. «Je suis très fataliste, j’ai à peine pleuré. Ce n’est peut-être pas normal, mais c’est peut-être aussi une manière de me protéger.» En écrivant Le Plus Beau Cadeau, le romancier s’est trouvé une façon poétique de rêver à d’heureuses retrouvailles.
Ecran géant
Lorsque le premier déconfinement lui permet de rencontrer ses lecteurs, beaucoup lui glissent qu’ils verraient bien Le Pseudo à l’écran. Hakim s’inspire alors de scénarios dégotés sur le Net, polit le sien à temps plein pendant huit semaines puis, totalement décomplexé, écume les comptes Instagram de réalisateurs et producteurs français dont il trouve la référence sur le site Web AlloCiné. Des jours durant, il multiplie les missives où il pitche son histoire et propose d’envoyer son scénario.
A sa grande surprise, sur les 10% de répondants figurent Cédric Klapisch, Franck Dubosc ou encore Philippe de Chauveron (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu? ), dont les feed-back positifs encouragent l’auteur à persévérer. «J’ai rencontré un premier réalisateur à Cannes – en short et en baskets vu que ma valise avait atterri au Togo – puis le cinéaste Gilles Paquet-Brenner (NDLR: Elle s’appelait Sarah, Gomez et Tavarès) m’a contacté. Il m’a convaincu par son expérience, notamment auprès de Glenn Close ou Kristin Scott Thomas, et par le projet avec lequel il a d’emblée débarqué: adapter Le Pseudo en un téléfilm, diffusé sur TF1 à Noël 2023.»
Un peu de neige par-ci par-là
Paquet-Brenner se veut rassurant: la chaîne française demande uniquement de «Noëlliser» le récit, soit de transformer une banque en une fabrique de chocolat et de placer un peu de neige par-ci par-là. Le marché est conclu. «J’ai cédé tous les droits: ça me passionnait de me dire que le film allait exister et je me doutais qu’ils n’allaient pas en faire un porno. J’avais démarré un truc sur un coin de table et mes dialogues allaient être dits par Lannick Gautry et Hélène de Fougerolles sur TF1 le jour de Noël. C’était complètement fou.»
Entre-temps, à la suite d’une nouvelle salve d’e-mails envoyés au petit bonheur la chance, Hakim a trouvé un agent chez UBBA, l’une des trois plus célèbres agences artistiques parisiennes, qui s’occupe entre autres de Marina Foïs, Guillaume Canet et Gilles Lellouche. Loin du tumulte des open spaces et des salles de réunion, le Belgo-Marocain mène désormais sa vie professionnelle depuis la mezzanine de sa chambre. Seul. Contraint de se faire à l’idée que, contrairement au monde de la pub, il est tout à fait ordinaire d’attendre deux semaines pour recevoir un accusé de réception après l’envoi d’un scénario.
Tant mieux, ça lui laisse plus de temps pour plancher sur sa troisième intrigue, qui dévoile les histoires d’amour d’une grand-mère et de sa petite-fille. «Je ne suis pas le plus perfectionniste, mais j’ai du mal à m’arrêter pour prendre le temps de réfléchir. Je dois être physiquement en mouvement pour stimuler l’inspiration. Pour le moment, elle vient assez naturellement.» Ce lundi matin, Hakim Benbouchta se sent bien. Dehors, le temps est doux et ensoleillé et, en son for intérieur, il est assez serein. A l’approche du printemps 2023, il sait qu’il a pris la bonne décision.
Son plus gros risque
«Descendre le Mur suisse alors que je ne suis pas le meilleur skieur de la station. Sinon, je ne suis pas un risqueur…»
Son mantra
«Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre.» (Marc Aurèle)
Dates clés
1989 «La chute du mur de Berlin me fait comprendre qu’il se passe vraiment quelque chose à l’échelle internationale.»
1990 «Je me produis en tant que DJ pendant trois ans. C’est mon premier salaire.»
2008 «L’année de naissance de ma fille, Line.»
2014 «Je prends contact avec ma future compagne via les réseaux sociaux. Une thématique que l’on retrouvera dans mon premier roman.»
2017 «Je lance, avec deux amis, une marque de peignoirs pour homme après avoir ouvert un bar à yaourt. Deux opportunités amusantes, mais qui n’ont pas tenu sur la longueur.»
Sa plus grosse claque
«Mon licenciement de chez Degroof Petercam. Ça m’a vraiment touché, c’était très injuste.»
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