Une soirée avec Eugène Ysaÿe

Barbara Witkowska Journaliste

On connaissait l’immense violoniste. On sait moins qu’Ysaÿe n’a jamais cessé de composer. Voici Harmonies du soir, ses poèmes symphoniques enregistrés pour la première fois par l’Orchestre philharmonique royal de Liège.

Issu d’une famille très musicienne (son père fut chef d’orchestre), le violoniste virtuose Eugène Ysaÿe (né à Liège en 1858, mort à Bruxelles en 1931) et conseiller musical de la reine Elisabeth (le Concours qui porte son nom depuis 1951 s’appelait, à sa création, en 1939, Concours Ysaÿe), fut aussi un compositeur éclectique qui s’illustra dans différents genres (polonaises, mazurkas, concertos) avec une prédilection pour les poèmes pour instruments à cordes et orchestre. Rayonnant de toutes les séductions du romantisme, ils ont pourtant été très peu joués. Les voici tous réunis, grâce à la curiosité intellectuelle et musicale de l’ASBL Musique en Wallonie qui ne cesse de batailler pour la reconnaissance du patrimoine musical wallon.

L’interprétation a été confiée à l’Orchestre philharmonique royal de Liège, placé sous la direction du chef et violoniste français Jean-Jacques Kantorow, très grand connaisseur d’Ysaÿe.  » Petit, j’ai joué ses sonates pour violon, surtout la 5e, il y avait un engouement énorme pour ces sonates, explique- t-il. Ysaÿe a été l’inspirateur et le créateur du poème pour violon et orchestre car il lui donnait plus de liberté. Grâce à ce CD, on va découvrir une grande figure du passé, une écriture de premier ordre. Elle constitue le maillon manquant entre la musique française et la musique allemande. Ysaÿe, c’est le trait d’union entre Wagner et Debussy, il est celui qui a réussi le mieux le rapprochement entre les deux cultures et il est donc unique dans la musique.  »

Virtuoses, énergiques, tantôt méditatifs et mélancoliques, tantôt mouvementés, les poèmes d’Ysaÿe évoquent des images et des sentiments divers. Emplis de détresse et d’isolement, les poèmes Exil et Méditation ont été écrits aux Etats-Unis au cours de la Première Guerre mondiale où le violoniste s’est exilé suite à l’invasion de la Belgique le 4 août 1914. Et il a dirigé lui-même Exil à Cincinnati en 1919, au cours d’un concert donné en l’honneur du roi Albert Ier et de la reine Elisabeth en visite officielle aux Etats-Unis. Plein de douceur méditative et rêveuse, le poème Harmonies du soir a été créé le 29 décembre 1925 au palais de Laeken lors d’une audition privée. Il a été repris une seule fois, à la fin des années 1970, à New York, annoncé comme  » A Rare Belgian Work « , puis est tombé dans l’oubli, comme tous les autres poèmes.

 » Il y a toujours eu un grand engouement pour ses sonates, mais pas pour ses poèmes, rappelle Jacques Ysaÿe, le petit-fils du compositeur. Je pense que l’appellation faisait un peu peur car elle se rapporte à une oeuvre écrite. Si mon grand-père les avait appelés concertos et pas poèmes, je crois qu’ils seraient joués plus souvent. Le Poème élégiaque est mon préféré. Avec ses trois mouvements, il est tellement voisin d’un Concerto. Les autres sont plus libres, hors du carcan du concerto. Je crois que c’est cela qui faisait peur aux interprètes qui se demandaient : « Serons-nous capables de restituer l’imagination du compositeur ? » En tout cas, je suis très admiratif et enthousiasmé à l’audition de ce CD et très heureux qu’on mette enfin ces oeuvres splendides à la disposition du public.  »

Harmonies du Soir, Musique en Wallonie, Collection Inédits. Ce CD a été récompensé par un Diapason d’Or. www.musiqueenwallonie.be

Barbara Witkowska

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