Un Daan dansant

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Avec un étonnant second disque solo, l’outsider de Berchem s’échappe du peloton rock et remporte le Grand Prix de l’inspiration 2002

Comme Gainsbourg, Daan pratique l’art de la dernière minute. Capable d’envoyer par e-mail une musique de film, une heure avant la fin du mixage final, ou de mettre trois ans à livrer le successeur d’un premier album solo ( Profools) déjà remarqué pour ses tonalités décalées: à la fois hors époques et complètement actuelles. La remarque s’applique autant au nouveau Bridge Burner: deux tiers de faux disco-rock-house existentiel et un tiers de ballades mirifiques. Daan s’en explique: « Je voulais un univers avec beaucoup de couleurs, presque en 3D, qui exprime mon envie d’agrandir l’émotion musicale. Celle-ci doit effacer les journées trop lourdes. Si mes paroles sont volontiers noires, tordues, disons que ma musique est orange. J’aime les grandes émotions mais j’ai besoin de les alléger pour les présenter. C’est comme danser, j’adore ça mais je préfère attendre 5 ou 6 heures du matin, quand la boîte est vide. » La quasi-intégralité de Bridge Burner a été enregistrée à son domicile, au rez-de-chaussée de sa maison de la banlieue d’Anvers. Entre lettrages pop art – il fut longtemps graphiste – et machines à sons de toutes les époques, Daan vit sa vie d’artisan. « Le statut de musicien permet davantage d’être soi-même que le métier de graphiste, plus fonctionnel. J’ai eu une enfance solitaire de gamin bricoleur, je passais mes journées dans les bois près de la maison. Je construisais aussi beaucoup en Lego: des prisons, des cafés et des mobile homes; avec mes chansons, je suis toujours en train de faire des maisons, mais je ne veux pas habiter dedans. La musique sert aussi à canaliser mon énergie: je suis incapable de prendre un jour de repos et quand je dors, il paraît que mes pieds continuent à bouger ( rires). »

How Deep Is Your Fjord ?

Daan aime la mélodie et les structures complexes d’une pop qui se veut forcément curieuse. « Tous les disques que je possède à la maison sont « impurs », je suis incapable de faire de la « vraie house » ou du « vrai rock ». Je suis un bâtard, mais je suis heureux de l’être. » La plage titulaire qui ouvre le disque fait partie des moments dansants de l’album que Daan s’amuse à malaxer, à tordre, à « daaniser » avec ses vieilles machines et son Protools, bêbête numérique qui permet le montage de toutes les folies analogiques. Ainsi, les faux violons Philadephia Sound de Love revisitent nos années 1970 mais le morceau sonne parfaitement 2002. Swedish Designer Drugs, autre titre dansant, est une hilarante parodie de feuilleton genre flics & voleurs, et contient cette immortelle allusion aux sirupeux Bee Gees: How Deep Is Your Fjord. Pour le clip de la chanson, prochain extrait de l’album, Daan a embarqué sa vieille Volvo dans la tournée d’un « designer scandinave qui vend des aspirateurs et fait des rencontres ». Daan a quelque chose du neveu irrévérencieux de Marcel Broodhaerts, dans le regard sur l’absurdité de la vie que nous menons. La qualité de ce regard attire les réalisateurs de fictions et de documentaires qui multiplient les commandes: déjà deux longs-métrages de jeunes cinéastes flamands et le premier de Philippe Blasband. Daan est aussi capable de composer des chansons qui sont nimbées d’une douceur étrange et Bridge Burner en contient deux exemples magnifiques: le sidérant Fireproof et Appetite au refrain contagieux. « Ma copine voulait absolument un grand steak avec des frites -comme toujours- mais je n’avais pas faim: je suis descendu au rez-de-chaussée et j’ai composé Appetite. Littéralement, cela parlait de ma non-envie absolue de steak mais, ensuite, je me suis rendu compte qu’il y avait aussi matière à métaphore… » Ne croyez pas qu’il s’agisse de détails sans importance: la musique de Daan se vit aussi dans la finesse de ses « pointillements » sonores et l’architecture de ses drôles de pensées.

CD Bridge Burner, chez Tracks/Lowlands, en concert ce 29 mai à l’AB-Club (complet). D’autres dates suivent, notamment à Nandrin et au Lokerse feesten.

Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire