TSANTSA : CURIOSITÉ INCONTOURNABLE… ET AUTHENTIQUE !

Lors de ma première visite au château de Jehay, face à la tête réduite présentée dans le fumoir (Le Vif/L’Express du 13 juillet), je me suis senti profondément troublé. Comment un Africain s’était-il égaré au pays des réducteurs de têtes ? Afin d’éclaircir ce mystère, la conservatrice du château m’accorda le privilège d’examiner plus en détail cette  » curiosité « . Outre les traits du visage, le caractère crépu de la chevelure (étudié en microscopie électronique) contrastant avec les cheveux longs et raides des membres des tribus amazoniennes levait toute ambiguïté sur l’origine africaine du sujet. La longueur apparente des cheveux, des cils et des sourcils, tout comme la densité de la chevelure ne sont que relatives suite à la réduction du volume de la tête.

Ce qui me semblait le plus étrange, c’était la présence de sutures tant des paupières que de la bouche sur une tête réduite d’Africain ! Ces sutures me semblaient spécifiques de pratiques rituelles intertribales amazoniennes. A l’origine pour obtenir une tête réduite ou  » tsantsa « , il s’agissait d’aller à la conquête d’un individu d’une tribu voisine et d’en ramener la tête, de la désosser sans laisser de traces visibles et de la réduire sans oublier les sutures rituelles mentionnées avant de retrouver les siens. Au sens de la pensée magique, cette  » tradition  » nous rapprocherait de la pratique du  » scalp « , trophée guerrier attestant la récupération de l’esprit, du courage et de la force de l’ennemi battu, ou, dans un tout autre registre anatomique mais relevant du même contexte symbolique, de la pratique de l’  » excision « , reflétant une domination du groupe sur la vie individuelle de ses membres par la destruction du sexe… Poussant plus loin ma démarche sur le plan éthologique, ce qu’il me fut donné d’apprendre était moins reluisant pour l’humanité. En effet, il semblerait bien que les sujets africains, descendants d’esclaves, furent l’objet d’une seconde exploitation et la  » pièce  » en question en est une preuve tangible dont il conviendrait, sans doute, d’expliquer plus en détail l’origine probable aux futurs visiteurs.

De nombreuses têtes, d’origine africaine ou autre, fussent-elles les reliques de condamnés à mort, auraient été soumises de manière détournée aux procédés ancestraux des tribus autochtones. Après réduction, ces têtes devinrent l’objet d’une activité commerciale pour touristes en mal d’exotisme. Les voyageurs exhibaient ce  » curiosum  » chez eux dès leur retour ou le laissaient auprès de leurs amis, chemin faisant, en remerciement de leur accueil ! Pour rentabiliser l’opération, une peau animale grossièrement travaillée pouvait donner le change comme  » attrape-touriste « . C’est ainsi que le docteur Semmelweiss, un des pères de l’antisepsie, rapporta un  » faux « … que l’on peut toujours admirer dans son musée à Budapest. Si Tintin en aurait rencontré de bien réels lorsqu’il s’égara chez les Arumbayas (L’Oreille cassée), les plus curieux pourront observer d’authentiques  » tsantsas  » au Musée royal d’Afrique centrale lors de sa réouverture après les travaux de restauration… Pour ce qui est du  » tsantsa africain « , ce serait bien en  » cadeau-souvenir  » et au bout d’un long périple que cette  » curiosité incontournable… et authentique  » aurait débarqué au château de Jehay. […]

DOMINIQUE VAN NESTE, DERMATOLOGUE AGRÉGÉ DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR UNIVERSITAIRE, BRUXELLES, PAR COURRIEL

DOMINIQUE VAN NESTE

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