Tourisme en fleurs

A Charleroi, le tourisme a le vent du patrimoine en poupe. Depuis la forteresse à la chaîne des terrils en passant par l’architecture et l’industrie, l’offre de visites à thème augmente à la mesure des fréquentations.

Après Louvain-la-Neuve, Charleroi est la plus jeune ville de Belgique. On trouve peu de littérature sur son origine militaire, mais des visites guidées de l’Office de tourisme permettent de prendre la mesure de sa construction qui témoigne de l’application de l’urbanisme renaissant. Dans son mémoire de fin d’études qu’il consacre aux fortifications de Charleroi au XIXe siècle et à leur insertion dans la tradition des cités fortifiées des temps modernes, Laurent Verschueren souligne que  » ce n’est pas Vauban qui crée la forteresse primitive en 1666. Celle-ci est commandée par le marquis Dom Castel Rodrigo à l’ingénieur flamand Salomon Van Es. Pour mettre les Pays-Bas espagnols à l’abri des invasions françaises, il imagine un système de défense qui s’articule autour d’une enceinte hexagonale bastionnée avec six demi-lunes et d’un ouvrage à corne : si la ville est baptisée du nom de Charles II, les travaux d’édification de sa place forte sont encore inachevés quand Louis XIV la prend l’année suivante.

Ce sera le premier d’une série de cinq changements de souveraineté jusqu’à la cession définitive à l’Autriche en 1713 et l’intégration à la Barrière des Pays-Bas de 1715 dirigée contre la France. C’est durant cette période que les ingénieurs du roi -dont Vauban – réalisent des ajustements aux défenses extérieures et participent à la réalisation de la ville basse et de l’entre-villes. Il s’agit d’attirer de nouveaux habitants et de renforcer le contrôle de la Sambre. Ces chantiers doublent la surface occupée par la ville. Trois étangs (respectivement à l’ouest, au sud et à l’est) bordent la forteresse et sont alimentés par la Sambre et deux ruisseaux affluents. Plusieurs ouvrages de défense rapprochée, appelés redoutes et composés de terre et de palissades de bois, sont construits en avant de la forteresse.

En 1782, Joseph II d’Autriche déchire le traité de la Barrière de 1715 : il déclasse plusieurs places fortes dont celle de Charleroi. Sous Napoléon, en 1804, ce qu’il en subsiste est rasé. Seul un arsenal et une caserne sont maintenus, comme le montrent des plans, mais le rôle clé stratégique de Charleroi dans la défense du territoire amène les Hollandais à reconstruire une forteresse trois à quatre fois plus grande, à la ville haute, et de taille légèrement supérieure au point bas. C’est aux ouvrages détachés que l’architecte Ortwijn apporte les améliorations les plus importantes : des ouvrages maçonnés en pierres et en briques remplacent les redoutes et contre-gardes en terre. Un réseau de souterrains de combat, d’écoute et de communication équipe les défenses de la crête orientale ; il se complète de galeries aménagées sur le front nord de la ville haute. Pour mettre la cité à l’abri des invasions, deux étangs sont aménagés : le premier sur le ravin de Lodelinsart à l’ouest, alimenté par le ruisseau local, et un autre au sud de la ville basse (équipée également de douves de ce côté), rempli par la Sambre. Selon les archives belges qui les mentionnent, huit jours sont nécessaires pour les remplir.

Prise sans combats pendant la Révolution belge, Charleroi dispose d’une garnison de 2 000 hommes. De multiples projets d’améliorations sont déposés, dont le plus intéressant est celui du major du génie belge Eyckholt, en 1834, qui confirme que la forteresse hollandaise n’a pas été achevée. Il organise le recul des remparts de la ville basse d’environ 200 mètres sur Marcinelle afin de détourner la Sambre canalisée et d’installer une première station de chemin de fer. Accepté en 1840, il est mis en £uvre pendant trois ans.

En 1863, Léopold Ier déclasse Charleroi comme place de guerre mais la maintient comme caserne avec terrains militaires. Quatre ans plus tard, le 10 juillet 1867, son successeur ordonne la destruction complète des fortifications, exauçant les souhaits de la commune et de ses habitants qui ne supportent plus le carcan imposé au développement urbain. Les démolitions commencent dès la fin de l’année 1867 par une série d’expériences de tirs de mines et de sapes utilisés pour l’entraînement d’un bataillon du corps du génie belge. Avec des travaux de nivellement, ce chantier s’étale sur sept ans, de 1868 à 1875. Il préfigure l’aménagement d’une capitale bourgeoise et industrielle. De grands boulevards haussmanniens arborés sont tracés sur les remparts, puis la construction d’immeubles Art déco et Art nouveau donnent à Charleroi un visage urbain neuf.

 » A la ville haute, on peut délimiter les secteurs d’extensions des deux forteresses successives : la zone radiocentrique marque l’emplacement de la forteresse franco-espagnole, tandis que la zone orthogonale marque celui de la forteresse hollandaise « , écrit Laurent Verschueren. Dans l’entre-ville et à la ville basse déjà peuplées en majorité de civils, on se contente de prolonger les rues.

Depuis cinq ans, la découverte du patrimoine architectural a le vent en poupe à Charleroi. Les promenades guidées à travers les quartiers façonnés par l’architecte Cador, la visite de certains intérieurs des bâtiments modernistes de Marcel Leborgne comme la résidence Albert à Marcinelle entièrement classée suscitent un intérêt croissant. André Lierneux et Béatrice Garny, un couple d’historiens de l’art passionnés par l’architecture de leur ville, éveillent des groupes aux beautés cachées de Charleroi. Il suffit de lever le nez pour observer les sgraffites d’une façade, de pousser une porte sur des intérieurs joliment décorés. Comme ceux de la maison Régniers où vivent André et Béatrice dont la véranda couverte d’une toiture de vitraux est une merveille à voir. Ils ont commencé leur activité de guides en marge des circuits officiels du tourisme pour le plaisir de partager leurs coups de c£ur.  » C’était lors des Journées du patrimoine en 2002, nous venions d’achever la remise en état de notre maison de famille « , dit André. Désormais, ils s’intègrent dans les équipes de la Maison du tourisme de Charleroi.  » L’offre de visites s’est diversifiée et la fréquentation est en hausse. Nous participons à une petite dizaine de visites à thème autour du patrimoine urbain et de l’industrie. Nous accueillons des groupes d’une dizaine de personnes à près de cinquante. « 

Histoire avec la forteresse, architecture, intérieurs, édifices religieux, nature avec la chaîne des terrils : sous cette mandature, l’offre s’est étoffée et a considérablement agrandi son rayonnement. On vient régulièrement de Bruxelles, de Flandre et même de France pour découvrir la ville. Le projet d’adhésion de Charleroi au réseau international des  » greeters  » (littéralement les hôtes) devrait augmenter le poids et la visibilité du tourisme citoyen et participatif. L’échevine en charge du tourisme, Anne-Marie Boeckaert, espère pouvoir signer la convention avant la fin du mois.

DIDIER ALBIN

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