Sublimes dessins de Michel-Ange

La capitale britannique accueille plusieurs grandes expositions. Le clou : Michel-Ange tel qu’on ne l’a jamais vu, avec 90 de ses dessins que l’on ne verra plus avant trente ans

A l’encre, à la pierre noire, à la sanguine ou à la pointe d’argent, chaque jour de sa longue vie, Michel-Ange (1475-1564) a dessiné. Les corps se cabrent, les muscles se tendent, les mêlées se multiplient. Entre la main, l’£il et l’esprit, la tension monte, gagne des paroxysmes et cela se voit. Voici, au British Museum, 90 feuilles (en provenance des collections de l’Ashmolean Museum d’Oxford, du Teyler Museum de Haarlem et du musée organisateur). C’est peu en rapport des 600 aujourd’hui conservées et, surtout, des milliers qu’il a remplies. Mais c’est cependant exceptionnel, si on tient compte de la fragilité et de la qualité de ces dessins-ci.

Le dessin, c’est en effet le jardin secret, le laboratoire de l’artiste florentin, le miroir de son pouvoir et, aussi, la clé de son génie. Comme pour Picasso, la pratique du  » designo  » exprime ici le c£ur de la création en marche perpétuelle. Et tous deux partageaient le même but : être le meilleur. Le phare du xxe siècle pour l’Espagnol, celui du xvie pour Michel-Ange. Comme Picasso, sa vie ne fut pas celle d’un ange, même s’il était poète. Son nez cassé, mémoire d’une bagarre avec l’un de ses congénères, témoigne de son caractère violent. Il savait être odieux, méprisant, suffisant. A la mort de son éternel rival Raphaël, Michel-Ange a gagné : il domine l’art italien pendant quarante ans. On a beaucoup écrit sur le peintre de la Sixtine qui a fondé sa carrière à l’ombre des Médicis, que ce soit dans la Florence républicaine ou dans la Rome des papes. Sur le coup de l’enthousiasme ou des ranc£urs, les premières monographies sont écrites du vivant même de l’artiste : Vasari l’intègre dans ses Vies des peintres les plus illustres (1550), mais l’artiste n’en est pas satisfait, et il demande à son élève Condivi de corriger l’image donnée : pour longtemps, ce sera la version officielle du mythe Michel-Ange.

Pourtant, il restait beaucoup à découvrir… La restauration de la Sixtine a révélé naguère, au grand dam des amateurs de clair-obscur, ses audaces de coloriste. L’exposition londonienne vise, elle, les procédés. Que cherche Michel-Ange, comment procède-t-il ? Ici, on évoque peu ses ambitions et son orgueil démesuré. A l’anecdote (il y en a tant à raconter), au contexte (un long ruban chronologique court tout le long du parcours), on préfère l’analyse visuelle comparative. Soit la mise en évidence des liens entre l’£uvre terminée, peinte ou sculptée (rappelée par des photographies) et les recherches dont elle est l’aboutissement.

Au début, la manière est patiente, les ombres traitées par des hachures régulières et les contours, précis. Mais déjà, au peintre Ghirlandajo dans l’atelier duquel il entre à 12 ans et qui donne la primeur aux lumières, Michel- Ange oppose une figure gorgée d’ombres profondes qui font ressortir les masses. On devine le sculpteur à venir. On sait qu’il étudie l’antique au point même de l’imiter jusqu’à tromper l’amateur. On connaît aussi sa passion pour l’anatomie et sa pratique de la dissection jusqu’à l’éc£urement. Mais c’est à l’occasion des premières commandes (comme la fresque de la bataille de Cascina) qu’il met au point une véritable révolution visuelle. Au lieu de chercher l’expression dans le traitement des visages, il concentre toute son attention à la pose. C’est ainsi le corps nu, sans tête, qui devient le lieu de toutes les tensions, au risque même de l’invention aberrante. Comme Picasso. Parallèlement, les tracés prennent leur envol. Les lignes se courbent en renforçant les creux ou en gonflant les reliefs, se rebiffent, se dispersent, s’alourdissent par endroits, ciselant d’autres contours, plus fragiles.

Fragments de corps

Le processus se précise (1508-1512) à l’occasion du chantier de la Sixtine. Michel-Ange multiplie les croquis d’ensemble et de détail. L’épaule touche le bord de la feuille ? Qu’à cela ne tienne : dans un coin laissé vierge, il trouve la place pour dessiner le bras, ailleurs, la main, et peu importe si les divers fragments sont en ordre dispersé. La man£uvre, stupéfiante, de ce  » copier-coller  » est ici reconstituée sur des écrans vidéo. On n’est pas au bout de nos surprises. Ainsi, le fameux tombeau des Médicis à Florence. Les dessins montrent comment, avant même d’imaginer l’architecture qui servira d’écrins aux sculptures, Michel- Ange précise la façon dont la lumière devra caresser les volumes. Il ne s’agit donc pas d’intégrer de la statuaire à une architecture déjà réalisée, mais de prévoir celle-ci au service de la sculpture. Au sommet de son art (entre 1516 et 1534), il accepte quelques élèves. De jeunes garçons fortunés, souvent sans talent mais dont la beauté le trouble comme jamais.  » La puissance d’un beau visage me transporte vers le ciel « , écrit-il dans un de ses sonnets. Du coup, la pierre noire se fait plus tendre, les courbes s’alanguissent, les ombres se grisent, les corps s’élancent, aériens.

Beauté et spiritualité

Mais, en même temps, cette beauté adolescente le prend à la gorge : il vieillit et rien ne peut désormais empêcher l’inexorable avancée vers la mort. Le Jugement Dernier (réalisé entre 1534 et1541) vient évidemment renforcer ses peurs. Se serait-il trompé ? N’a-t-il pas, comme il l’écrit, trop aimé la beauté au détriment de l’essentiel, le chemin spirituel. D’où trois dessins ultimes, d’une modernité frémissante : trois Christ en croix. Plus question ici de dessins préparatoires mais d’£uvres en soi, insaisissables, énigmatiques. Des apparitions, incarnations douloureuses d’un homme de plus de 80 ans que son corps fait souffrir et son esprit davantage encore. Trois £uvres en guise d’apothéose. Et, pour le visiteur, soudain, un terrible silence.

British Museum, Great Russel Street, jusqu’au 25 juin. Tous les jours, de 10 h à 17 h 30, nocturne les jeudis et vendredis jusqu’à 20 h 30 ; www.thebritishmuseum.ac.uk/michelangelo (par Eurostar : prix aller-retour à partir de 70 euros. Durée du trajet : 2 h 15 ; www.eurostar.com)

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